Dis-moi qui tu veux influencer

On en attendait 150; il en est venu 300 et plus, députés et lobbyistes, à l’Assemblée nationale du Québec, au cœur de la démocratie québécoise. S’y déroulait le colloque « Le lobbyisme et la transparence à un moment décisif1 », le 21 février. L’actualité médicale y assistait. La veille, on avait franchi le cap des 5000 lobbyistes inscrits au Registre des lobbyistes du Québec.La majorité d’entre eux exercent dans les ressources naturelles (mines, hydrocarbures, etc.). La santé occupe le septième rang de la quarantaine de secteurs d’activités identifiés lors de l’inscription au Registre, avec 1087 mandats actifs, au 18 février. Parmi eux, 327 pour le seul MSSS, l’un des principaux « titulaires de charge publique » du secteur susceptibles d’être influencés.Il y a donc 327 « communications d’influence », appelées mandats, auprès du MSSS, pour essayer de lui vendre une technologie, des services informatiques et/ou professionnels, des modèles de soins. Ou encore, pour tenter d’en influencer les orientations par une proposition législative ou règlementaire.Exemples : les pharmaciens propriétaires veulent facturer de nouveaux actes professionnels; la Coalition Priorité Cancer du Québec demande un meilleur accès aux médicaments; les omnipraticiens promeuvent leurs unités d’accès populationnel. Ajoutons-y les tentatives de faire inscrire tel médicament sur la Liste de la RAMQ, ou de l’y maintenir, etc.Légitime, mais...Un consensus s’est fait au colloque autour de la perception négative du lobbyisme. Une large part de la population l’associe, ou le confond, avec la corruption, le trafic d’influence, les conflits d’intérêts, les décisions prises dans le secret, à l’encontre de l’intérêt public. Ce constat du Commissaire au lobbyisme2, le député de Mercier, le Dr Amir Khadir, le partage. Il voit l’État « assiégé par le lobbyisme d’affaires ».La Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme (2002) veut combattre cette perception lobbyisme = corruption. Grâce à l’inscription obligatoire au Registre, elle tente d’amoindrir la réalité des risques de corruption.Est lobbyiste quiconque cherche à influencer un titulaire de charges publiques (élu, décideur public, personnel politique, haut fonctionnaire), peu importe le motif. Un titulaire de charges publiques sur deux côtoie les lobbyistes3. Pour contourner l’étiquette de « lobbyiste », perçue comme péjorative, un lobbyiste se présentera comme « directeur du développement des affaires », « responsable des relations gouvernementales », « conseiller stratégique », « démarcheur ».Êtes-vous inscrit au Registre ?La Loi reconnaît que le lobbyisme constitue « un moyen légitime d’accès aux institutions parlementaires, gouvernementales et municipales ». Elle enchâsse du même souffle le droit, pour les citoyens, de savoir qui tente d’influencer les titulaires de charges publiques et ce qu’ils souhaitent en obtenir.Il s’agit de contenir le lobbyisme, de tenter de moraliser la vie publique, ou du moins, de ne pas accentuer la suspicion. Mieux encadrer « l’industrie de l’influence » aidera à préserver la confiance du public dans les institutions publiques et les personnes qui y travaillent.On dénombre 100 000 consultations au Registre (2013), avec une hausse substantielle de demandes de renseignements provenant des citoyens, précise à L’actualité médicale Me François Casgrain, Commissaire au lobbyisme. Il constate toutefois une sous-représentation des professionnels à l’inscription au Registre.Le Commissaire évoque en effet les réticences de bien des lobbyistes à dévoiler leurs intentions, du genre « Je ne suis pas un lobbyiste, je suis un avocat, un comptable, un ingénieur2... ». Et ce, poursuit-il, « même si clairement ces professionnels interviennent auprès des titulaires de charges publiques pour le compte d’un client, de leur entreprise ou de leur organisation ».Sous-représentation des professionnels au Registre donc, médecins inclus. Les Drs Gaétan Barrette et Frédéric Desjardins sont ainsi poursuivis au pénal pour n’avoir pas jugé utile de s’inscrire au Registre des lobbyistes, alors qu’ils faisaient valoir au gouvernement que les cliniques de radiologie doivent rester propriété des médecins4. Cela concerne le volet commercial de leurs activités. En conséquence, la Couronne assimile cette omission à s’inscrire au Registre à du lobbyisme illégal. L’affaire est devant les tribunaux.Avant 2002, rien n’existait pour encadrer le lobbyisme, poursuit Me Casgrain. On a désormais le Registre. « Non seulement un lobbyiste est tenu de s’y inscrire, mais un titulaire de charge publique doit s’assurer que celui qui veut l’influencer y est inscrit. Ça va dans les deux sens. » Il établit d’ailleurs un lien entre l’accélération des inscriptions de lobbyistes dans les dernières années et la responsabilisation des titulaires de charge publique à cet égard.Il s’agit désormais de montrer patte blanche quand on veut influencer un décideur public. Pourtant, si la loi date de 2002, cela fait à peine trois ans que les élus prennent la peine de demander à qui veut les influencer s’il est inscrit, selon des analystes.Réforme prévueLe colloque a déploré la complexité de la procédure d’inscription au Registre. Une révision est en cours. « On souhaite un Registre à données ouvertes, qui permettra au public, aux médias et aux titulaires de charges publiques de mener des recherches sur qui veut influencer qui. On veut une divulgation la plus complète possible, pas juste ce qui fait l’affaire des lobbyistes », précise Me Casgrain.Le ministre Bernard Drainville devait déposer un projet de loi destiné à resserrer les règles de lobbyisme, mais la Charte des valeurs a tout éclipsé. Il mène aussi, en parallèle, une révision du dossier de l’accès à l’information. Deux projets de réforme qui visent à redonner de la crédibilité à l’appareil politique, à combler le déficit de confiance de la population envers les élus.En ces temps d’élections, la réflexion sur le lobbyisme prend tout son sens. Commission d’enquête après commission (Moisan, Gomery, Charbonneau), la succession des scandales n’est pas de nature à rassurer le public. Il y a nécessité de tempérer le règne des groupes de pression les plus forts, qui veulent contraindre les pouvoirs publics à considérer en premier leurs intérêts particuliers. Surtout, il y a urgence pour une plus grande transparence quand l’intérêt public est en jeu.1. Organisé par le Commissaire au lobbyisme du Québec.2. Rapport du Commissaire Encadrement du lobbyisme : où en est le Québec ? Bilan 2002-2013.3. Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions, Université Laval.4. La Presse, 14 janvier 2014.

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