Combinaison d'antidépresseurs / Dépression unipolaire

Question : J'ai reçu une prescription de 2 antidépresseurs (Wellbutrin XL 150mg/jr et Celexa 20mg/jr) d'un médecin de famille pour le traitement de la dépression majeure. J'ai regardé dans plusieurs articles et guidelines, ils ne mentionnent pas la combinaison d'antidépresseurs comme traitement INITIAL de la dépression. Avec votre expérience, avez-vous lu des articles sur cette pratique ? S'agit-t-il d'une nouvelle façon de traiter la dépression majeure ?Réponse: La littérature scientifique démontre que le traitement « initial » de la dépression majeure unipolaire à l’aide d’une « monothérapie d’antidépresseur » entraînera une rémission chez seulement 30 % des sujets. Par « rémission », on insinue que la condition du patient retourne à son état de base. En fait, « rémission » suggère que l’individu a maintenant la capacité de retourner au travail, de reprendre ses activités sociales, le goût de ses loisirs… et de la vie.Ainsi, en adoptant le paradigme qui dicte que l’on se doit de favoriser la monothérapie dans le traitement de la dépression majeure, 70 % de nos patients demeureront, à la suite d’un premier essai pharmacologique, cliniquement très souffrants psychologiquement et physiquement. Le clinicien doit se rappeler que la dépression est neurotoxique. Ainsi, plus la latence dans l’instauration de l’intervention thérapeutique est importante, plus il sera difficile de soigner notre patient de façon adéquate.Pierre Blier, MD, Ph.D., psychopharmacologue émérite anciennement au McKnight Brain Institute à Gainesville en Floride et maintenant affilié à l’Université d’Ottawa, est un chercheur qui s’intéresse aux effets bénéfiques des combinaisons d’antidépresseurs depuis maintes années. Ses travaux les plus récents seront d’ailleurs publiés incessamment. Les résultats de cet essai randomisé à double insu de 6 semaines sont des plus intéressants…105 patients furent randomisés à l’un des 4 groupes suivants : 1- Fluoxétine 20 mg/jour + Placebo2- Fluoxétine 20 mg/jour + Mirtazapine 30 mg/jour3- Bupropion 150 mg/jour + Mirtazapine 30 mg/jour4- Mirtazapine 30 mg/jour + (Venlafaxine 75 mg/jour x 1 semaine, 150 mg/jour x 1 semaine, 225 mg/jour par la suite) Les résultats-clés de cette étude sont exposés ci-dessous :1) D’abord, les patients ayant reçu une combinaison ont 2 fois plus de chance d’atteindre un état de « rémission » :Rémission (selon les critères du Hamilton Depression Rating Scale (HAM-D))Groupe Fluoxétine + Placebo (n = 28) 25%Groupe Fluoxétine + Mirtazapine (n = 25) 52%Groupe Bupropion + Mirtazapine (n = 26) 46%Groupe Mirtazapine + Venlafaxine (n = 26) 58%(n = nombre de sujets)2) Mais qu’en est-il des effets indésirables? Fait très intéressant, les combinaisons furent aussi bien tolérées que la monothérapie à la fluoxétine (les taux de cessation pour cause d’effets indésirables furent également semblables entre les groupes).Ce qu’il faut comprendre, c’est que les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine : citalopram, escitalopram, fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, sertraline) et les IRSN (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine : venlafaxine, desvenlafaxine, duloxétine) stimulent le récepteur sérotoninergique 5HT2 post-synaptique. La stimulation de celui-ci peut entraîner plusieurs désagréments cliniques : dysfonction sexuelle, altération du sommeil, agitation, anxiété, akathisie, tremblements, sudation, SIADH, effets « hyponoradrénergisants » et « hypodopaminergisants »…La mirtazapine, en antagonisant ce récepteur sérotoninergique 5HT2 post-synaptique, permet donc d’éviter la plupart des effets indésirables cités ci-dessus. Notons que d’autres molécules, tels que les antipsychotiques atypiques (quétiapine XR, aripiprazole…) ont également la capacité de bloquer ce récepteur : le pharmacien doit s’attendre à exécuter de plus en plus d’ordonnances combinant un antidépresseur « standard » (un ISRS, par exemple) et un antipsychotique atypique chez des patients atteints de dépression majeure unipolaire.3) Depuis très longtemps, les psychopharmacologues sont « hantés » par une question très élémentaire : « Si mon patient répond de façon satisfaisante à une combinaison à court terme, dois-je maintenir cette combinaison à long terme? » L’étude de Blier et al. démontre que la cessation d’un des deux agents (en double aveugle) s’est soldée par une rechute chez 40 % des patients chez qui on a observé une réponse satisfaisante avec une de ces combinaisons.4) Notons aussi que la littérature scientifique suggère qu’une combinaison d’antidépresseurs (en traitement « initial ») entraîne une réponse plus rapide qu’une monothérapie.Il est évident que le blocage des récepteurs 5HT2 post-synaptique ne représente qu’un exemple de « recette » permettant d’augmenter l’efficacité et/ou l’innocuité de notre pharmacothérapie anti-dépression. À titre d’exemple, certains psychiatres vont avoir recours à des combinaisons [antidépresseur + non-antidépresseur] dans le but d’obtenir un effet clinique plus rapide (ex : antidépresseur + (clonazépam ou pindolol ou zopiclone…)). Une autre tactique visant à accroître nos chances de succès est de combiner un agent pro-sérotoninergique (ex : citalopram) avec une molécule « pro-dopaminergique » (ex : bupropion).Lorsque l’on considère que la plupart des experts recommandent un essai d’une durée minimale de 4 semaines pour juger de l’efficacité (ou de l’inefficacité) d’un traitement antidépresseur, l’idée d’obtenir un effet clinique plus robuste et plus rapide avec une combinaison d’antidépresseurs « dès le début » est tout simplement cliniquement sublime.Le pharmacien doit se rappeler qu’« une journée de plus en dépression » implique que notre patient demeure grandement hypothéqué au niveau de son fonctionnement global et que les tâches les plus simples semblent gargantuesques (hygiène personnelle, répondre au téléphone, se rendre à la pharmacie pour récupérer ses médicaments…)Il est intéressant de noter qu’aucun clinicien ne semble être « choqué » lorsqu’un de ses patients reçoit 4 anti-hypertenseurs (ex : HCTZ + IECA + bêta-bloqueur + BCC) ou lorsqu’un « grand » infectiologue prescrit, dès l’admission d’un sujet à l’unité de médecine interne, 3 antibiotiques… dans le but, évidemment, d’éliminer l’entérocoque, le staphylocoque ou tout autre agent pathogène… Il est peut-être temps de se rendre à l’évidence que, pour la plupart de nos patients atteints de dépression, le recours à une combinaison de molécules comme traitement initial soit la stratégie la plus optimale pour éliminer… le dépressocoque.Références :Bauer M et al. World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) guidelines for biological treatment of unipolar depressive disorders in primary care. World J of Biological Psychiatry 2007; 8: 67-104Blier P et al. Combination of antidepressant medications from treatment initiation. Am J Psychiatry 2010 (sous presse)Blier P et al. Mirtazapine and paroxetine in major depression: a comparison of monotherapy versus their combination. Eur Neuropsychopharmacol 2009; 19: 457-65Blier P. The pharmacology of putative early-onset antidepressant strategies. Eur Neuropsychopharmacol 2003; 13: 57-66Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) clinical guidelines for the management of major depressive disorder in adults. I. Classification, burden and principles of management. J Affect Disord 2009;117 Suppl 1:S5-14Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) clinical guidelines for the management of major depressive disorder in adults. III. Pharmacotherapy. J Affect Disord 2009;117 Suppl 1:S26-43Fava M et al. Definition and epidemiology of treatment-resistant depression. Psychiatr Clin North Am 1996; 19: 179-200Nelson JC et al. Combining norepinephrine and serotonin reuptake inhibition mechanisms for treatment of depression: a double-blind, randomized study. Biol Psychiatry 2004 ;55:296-300Papakostas GI et al. Augmentation of antidepressants with atypical antipsychotic medications for TRD: a meta-analysis. J Clin Psychiatry 2007;68:826-31Rush AJ et al. ACNP Task Force: report by the ACNP task force on response and remission in major depressive disorder. Neuropsychopharmacology 2006; 31: 1841-53Shelton RC et al. Augmentation of antidepressants with atypical antipsychotics for TRD. Acta Psychiatr Scand 2008;117:253-9Trivedi MH et al. Evaluation of outcomes with citalopram for depression using measurement-based care in STAR*D: implications for clinical practice. Am J Psychiatry 2006 ; 163: 28-40

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