Utilisation des statines en prévention primaire des maladies cardiovasculaires

L’utilisation des inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase (autrement dit des statines) pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires athérosclérotiques (MCSA) demeure une question thérapeutique ambiguë et quelque peu controversée en raison du nombre, de la complexité et de la variation des recommandations des lignes directrices. L’objectif de cet article est d’apporter des éclairages sur l’usage des statines dans le cadre de la prévention primaire. Prévention primaire ou secondaire Pour commencer, il est essentiel de définir ce que l’on entend par prévention cardiovasculaire primaire et secondaire. La prévention primaire concerne simplement les patients qui ne présentent aucun signe ou antécédent de maladie cardiovasculaire athérosclérotiques, tandis que la prévention secondaire concerne les patients qui présentent une manifestation de MCSA, telle qu’un infarctus du myocarde, un angor stable ou instable, un accident vasculaire cérébral, un accident ischémique transitoire ou une artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Les lignes directrices s’accordent généralement pour recommander un traitement par statines à tous les patients ayant des antécédents de MCSA, généralement à une dose élevée; par exemple, 40 à 80 mg d’atorvastatine ou 20 à 40 mg de rosuvastatine par jour (1 et 3). Recommandations récentes pour la prévention primaire Les lignes directrices 2021 de la Société canadienne de cardiologie (SCC) sur la dyslipidémie recommandent le traitement par statine pour certains patients à haut risque en prévention primaire — c’est-à-dire ceux qui présentent une «condition indiquée pour les statines»(1). Il s’agit notamment de certains patients atteints de diabète sucré, d’une maladie rénale chronique ou d’une dyslipidémie génétique (cholestérol à lipoprotéines de basse densité — ou C-LDL — supérieur ou égal à 5 mmol/L). Chez les patients ne souffrant pas de MCSA ou d'une condition indiquée pour les statines, la décision d'initier un traitement par statines est basée sur une évaluation objective du risque cardiovasculaire du patient sur 10 ans (par exemple, en utilisant le score de risque de Framingham). Les lignes directrices de la SCC ne recommandent généralement pas les statines chez les patients dont le score de risque cardiovasculaire sur 10 ans est inférieur à 10%; toutefois, elles suggèrent qu’un traitement aux statines pourrait être envisagé chez les patients dont le score de risque est compris entre 5% et 9,9% et dont le taux de C-LDL est supérieur ou égal à 3,5 mmol/L, en particulier chez ceux qui présentent d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, tels qu’une lipoprotéine(a) élevée, un score de calcium coronarien supérieur à zéro ou des antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires aiguës prématurées. Il est recommandé que les patients ayant un score de risque de 10% à 19,9% prennent des statines s’ils présentent un C-LDL supérieur ou égal à 3,5 mmol/L ou s’ils répondent à d’autres critères (par exemple, hommes âgés de 50 ans et plus, ou femmes âgées de 60 ans et plus avec au moins un facteur de risque cardiovasculaire, tel que l’hypertension ou le tabagisme). Il est également recommandé aux patients présentant un score de risque supérieur ou égal à 20% de recevoir un traitement par statines. Cependant, il est important de noter que ces seuils sont arbitraires et qu’en fin de compte, la décision de commencer un tel traitement doit être basée sur les valeurs et les préférences du patient. En 2022, la United States Preventive Services Task Force (USPSTF) a publié de nouvelles recommandations concernant l’utilisation des statines chez les patients n’ayant pas d’antécédents de MCSA(4). L’USPSTF a publié trois recommandations, basées sur des données probantes, de niveau de certitude modéré. Premièrement, le traitement par statines est recommandé pour les personnes âgées de 40 à 75 ans qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque de MCSA, tels que la dyslipidémie, le diabète, l’hypertension ou le tabagisme, et dont le risque cardiovasculaire à 10 ans est supérieur ou égal à 10%. Le groupe de travail préconise l’utilisation du calculateur Pooled Cohort Equations de l’American College of Cardiology et de l’American Heart Association pour évaluer le risque cardiovasculaire à 10 ans des patients. Toutefois, pour les cliniciens plus à l’aise avec le score de risque de Framingham, celui-ci constitue également une option raisonnable. Deuxièmement, le groupe de travail recommande que «les cliniciens proposent sélectivement une statine» aux patients âgés de 40 à 75 ans qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque de MCSA et un risque cardiovasculaire à 10 ans compris entre 7,5% et 9,9%, en notant que «la probabilité d’un bénéfice est plus faible dans ce groupe que chez les personnes dont le risque à 10 ans est supérieur ou égal à 10%». Enfin, le groupe de travail conclut qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour évaluer les avantages et les risques de l’instauration d’un traitement par statines en prévention primaire chez les patients âgés de plus de 75 ans. En revanche, ces recommandations ne précisent pas s’il faut poursuivre ou non le traitement par statines chez les patients âgés de 76 ans et plus si ce celui-ci a été instauré plus tôt dans leur vie. Il convient de noter que ces recommandations ne s’appliquent pas aux patients dont le taux de C-LDL est supérieur à 4,9 mmol/L ou qui présentent une hypercholestérolémie familiale connue (4). Dosage La plupart des essais sur les statines en prévention primaire ont utilisé une dose fixe d’intensité modérée(5,6). L’atorvastatine 10-20 mg ou la rosuvastatine 5-10 mg par jour (surnommée approche «fire and forget») est une option raisonnable pour la plupart des patients. Les lignes directrices de la SCC recommandent d’augmenter la dose de statines d’un patient si ses valeurs lipidiques restent au-dessus d’un certain seuil (par exemple, C-LDL supérieur ou égal à 2,0 mmol/L) et d’envisager l’ajout d’un autre médicament hypolipidémiant (par exemple, ézétimibe, séquestrant d’acide biliaire) si ses lipides restent au-dessus du seuil malgré la dose maximale tolérée de statine(1), mais les preuves à l’appui de cette approche sont insuffisantes. L’USPSTF ne préconise pas d’objectif ou de seuil lipidique spécifique, mais déclare plutôt que «l’utilisation d’un traitement par statines d’intensité modérée semble raisonnable pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez la plupart des personnes»(4). En résumé Les lignes directrices de la SCC et de l’USPSTF recommandent généralement un traitement aux statines en prévention primaire chez les personnes âgées de 40 à 75 ans présentant un risque cardiovasculaire sur 10 ans supérieur ou égal à 10% et ayant au moins un facteur de risque cardiovasculaire. Cette population devrait faire l’objet d’efforts pour initier et optimiser le traitement par statines. Les pharmaciens peuvent d'ailleurs jouer un rôle essentiel en identifiant les patients qui répondent à ces critères et en discutant des avantages et des risques du traitement par statines.

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