Urgences: Une crise sans précédent

Une crise majeure qui ébranle les urgences en pleine saison estivale, période normalement plus tranquille, et il n’y a aucun signe d’un retour à la normale à court terme. « Ça fait peur, dit la Dre Morris. Je n’ai jamais vu une crise comme celle que l’on traverse actuellement. En hiver, on a des pics d’affluence en raison des virus respiratoires, mais nous avons quand même du personnel et des lits Pas cet été. Il y a des chefs qui nous disent : “J’ai peur pour les patients que les soins ne soient pas adéquats en raison du manque de personnel”. » « Au moins, en hiver, on saurait que la crise aurait une fin », commente pour sa part le Dr Boucher, qui compare ce qui se passe présentement à une bombe à retardement. Les hôpitaux ont en effet beaucoup souffert des trois premières vagues de COVID-19. Le réseau était déjà fragile avant la pandémie en ce qui a trait à sa main-d’œuvre. Elle a provoqué une vague de départs qui se fait durement sentir sur les équipes médicales d’urgence alors que la quatrième vague commence à s’abattre sur le Québec. À lire aussi: Entrevue avec le Dr François Marquis: L’automne aux soins intensifs « Un médecin me disait qu’il avait fait un quart de travail seul à l’ambulatoire, avance le Dr Boucher. Il n’y avait pas d’infirmières de triage pour s’occuper des patients dans la salle d’attente. Ce sont des médecins qui les appelaient, les voyaient, faisaient les tests sanguins et rédigeaient les ordonnances. Il n’y avait pas d’infirmières pour les aider. » La situation est en effet très tendue : urgences forcées de fermer la nuit ou les week-ends à cause d’une pénurie de personnel ou qui fonctionnent à certaines périodes avec des effectifs très réduits, d’autres qui débordent ou que l’on conseille d’éviter, certaines désespérément à la recherche de médecins ou d’infirmières, ou les deux, pour combler des plages horaires. Environ 2000 médecins travaillent dans les urgences au Québec, estime le Dr Boucher. Parmi eux, 200 médecins spécialistes et 450 médecins de famille qui ont fait une troisième année en médecine d’urgence. Environ 500 médecins de famille font cette pratique à temps plein et 1000 à temps partiel. Ils se retrouvent tous au cœur de l’orage. Manque d’accessibilité à la première ligne Plusieurs facteurs expliquent ce marasme. Le manque d’accessibilité aux médecins de première ligne en fait partie. Les patients sont invités à aller consulter dans les cliniques médicales. Ils aimeraient pouvoir le faire, mais ils sont nombreux à ne pas y parvenir. Soit parce qu’il leur est impossible de rencontrer leur médecin dans un délai rapide, soit parce qu’ils ne peuvent le voir en présentiel, soit encore parce qu’ils n’ont plus de médecin de famille. Se rendre à l’urgence devient alors le dernier recours. « L’accès en présentiel dans les cliniques constitue une importante problématique », admet le président de l’ASMUQ. « Il est sûr que le manque d’accès à la première ligne est en cause et que cela a un impact sur les délais d’attente dans les salles d’urgence, reconnaît son homologue de l’AMUQ. Certaines cliniques offrent une disponibilité irréprochable, mais beaucoup d’autres sont hésitantes et ne sont pas accessibles à des patients qui ont des symptômes infectieux. Nous, on aimerait que l’accès soit le même qu’avant la pandémie. Après un an et demi sans voir de médecin, des patients ne veulent pas se faire appeler au téléphone et souhaitent se faire examiner en personne. » Départ d’infirmières et de médecins Le manque d’accessibilité en première ligne entraîne donc une forte hausse de la clientèle ambulatoire et un débordement dans les salles d’attente des urgences d’hôpital où les patients s’entassent par dizaines. Mais cela n’explique pas l’aspect le plus lourd de la crise de l’été 2021. Épuisées par la tâche et les heures supplémentaires obligatoires, beaucoup d’infirmières sont parties, ce qui a contribué à aggraver la situation. Les Drs Boucher et Morris craignent même une chronicisation de la crise si aucune mesure n’est prise pour enrayer ces départs et ramener les infirmières dans les hôpitaux et les urgences. « Nous sommes découragés parce que l’on perd du personnel d’expérience et des personnes de qualité, souligne la présidente de l’AMUQ. Dans certains milieux, 20 à 30 % du personnel des urgences a quitté l’hôpital; il est parti vers des agences ou a pris une retraite hâtive. Ça inquiète beaucoup. On sonne l’alarme, parce que l’on perd nos équipes et la possibilité d’offrir des soins de qualité à la population. » L’hémorragie se poursuit chaque semaine. Autant la Dre Morris que le Dr Boucher pressent le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, de trouver des façons de ramener les infirmières dans les hôpitaux pour mettre fin à la crise actuelle au moyen de mesures incitatives et de meilleurs horaires en vue d’affronter la quatrième vague, les effets de la rentrée scolaire et l’hiver à venir. Il n’y a pas que les infirmières qui soient au bout du rouleau. Le Dr Boucher constate que beaucoup de médecins de famille formés en médecine d’urgence abandonnent après cinq ans pour faire un autre type de pratique. La demande de médecins dépanneurs est extrêmement forte cet été. L’ajout de médecins ne réglerait toutefois pas le problème, croit-il. « On n’a pas les infirmières ni les infrastructures, il faudrait plus de salles chaudes ou froides pour examiner les patients, plus de lits aussi. Quand l’affluence augmente et qu’on diminue l’offre, on s’occupe seulement des plus malades. C’est ce qui se passe pour l’instant. » Dr Gilbert Boucher, président de l’ASMUQ « On craint des ruptures de services » Le ministre Christian Dubé avait été clair : il voulait profiter de l’été afin que le personnel puisse prendre des vacances méritées après la troisième vague. Beaucoup de lits aux étages ont donc été fermés, si bien que beaucoup de patients qui devraient être hospitalisés occupent des lits d’urgence, ce qui monopolise en même temps une partie des infirmières qui y travaillent. Selon le Dr Boucher, 40 % des lits d’urgence ont été occupés durant l’été par des patients qui devraient être hospitalisés. « On essaie d’envoyer des messages à qui veut nous entendre, lance la Dre Morris : on craint des ruptures de services. S’il y a des menaces de fermetures d’urgence, ce n’est pas juste parce que trop de patients s’y présentent, mais parce qu’il n’y a plus de place dans les hôpitaux et qu’on manque de personnel spécialisé (…) Ce qui est inquiétant, c’est que nous ne sommes pas en période de grippe hivernale, mais dans une période normale, et on traverse une crise sans précédent. » Les gens ont l’impression que les choses vont mal à l’urgence et qu’il s’agit d’un circuit fermé. Or, en réalité, insistent les Drs Boucher et Morris, si l’urgence déborde, tout le reste de l’hôpital va écoper. C’est un jeu de vases communicants. Les autres médecins pourraient être forcés d’aller aider aux urgences. Le rattrapage des chirurgies pourrait en être affecté par manque de personnel et de lits. « On commence à voir dans nos milieux des personnes qui manquent de surveillance dans les salles d’attente au triage et dans les corridors, les infirmières n’étant pas assez nombreuses, s’inquiète la Dre Morris. C’est dangereux et il y aura un jour une catastrophe. Mais on l’aura vue venir, malheureusement. »

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