Une pharmacienne propriétaire radiée pour ventes factices de médicaments

C'est ce qu'on appelle un dossier à tiroirs. Pendant plus de deux ans, une pharmacienne propriétaire de Québec a effectué des réclamations à la RAMQ pour des ventes factices de médicaments à des centaines de patients, pour un total de plus de 200 000$. Anne-Marie Ratté vient d’être condamnée par le conseil de discipline de l’Ordre à une radiation temporaire de 16 mois, suivie d’une période de limitation d’exercer des activités professionnelles à titre de pharmacienne propriétaire de 12 mois, ainsi que d’une amende de 5000$. La pharmacienne faisait face à sept chefs d’accusation, pour manque d’intégrité dans le cadre de réclamations illégales aux tiers payeurs, inscriptions illégales dans le dossier de sa patiente, défaut de préserver l’intégrité des inventaires et entrave au travail du syndic. Des médicaments facturés à une patiente hospitaliséeLe 20 août 2013, Anne-Marie Ratté reçoit une demande de transfert de profil de la part du médecin de la patiente avec la mention «urgence». À sa demande, la pharmacienne lui transmet la liste à jour de ses ordonnances. Entre le 21 août 2013 et le 8 septembre 2013, «des services quotidiens apparaissent au dossier pharmacologique de la patiente». Seul hic: cette dernière est hospitalisée pendant toute cette période. Ce dont la pharmacienne est parfaitement au courant. Anne-Marie Ratté reçoit même, le 9 septembre 2013, l’ordonnance de congé de l’hôpital de la patiente. À lire aussi: Deux pharmaciens épinglés pour sollicitation excessive et errements dans la gestion des SDCSC«En total, 14 médicaments d’une valeur de 2 630,22$ auraient été servis à cette patiente par l’intimée et réclamés à la RAMQ, alors que celle-ci était hospitalisée», note le conseil dans son rapport. De surcroît, les justifications de la pharmacienne quant à ses agissements diffèrent au fil du temps. À la RAMQ, en 2016, elle explique en effet se souvenir de cette patiente et reconnaître qu’elle était à domicile et pas en résidence, «de sorte que la médication en principe lui était remise directement», et explique les services et leur facturation par «un problème de communication entre divers membres de son équipe [...] notamment entre le livreur et la technicienne qui effectuait le renouvellement et la facturation, en ajoutant que ce n’est pas toujours la même technicienne au quotidien».Face au syndic, cinq ans plus tard, Anne-Marie Ratté assure toutefois ne pas se souvenir de la patiente, ne pas avoir été avisée de son hospitalisation et attribue le tout à une mauvaise communication au sein de son équipe. Un excédent de ventes dû à des achats intraçables entre pharmaciesMais ce n’est pas tout. Entre le 15 mai 2013 et le 29 octobre 2015, la pharmacienne est accusée de ne pas avoir assuré l’intégrité de ses inventaires de médicaments et de bandelettes de glucomètres, et d’avoir réclamé illégalement aux tiers payeurs le paiement du coût de certains médicaments et bandelettes qui n’avaient jamais été vendus. Une centaine de patients sont cette fois concernés, selon le rapport du conseil, pour des montants de 79 713,88$ et 60 637,88$.À lire aussi: Un pharmacien coupable d’avoir obtenu de la clientèle par l’intermédiaire de deux hôpitauxD’après une précédente enquête de la RAMQ menée en 2016 sur les activités de cinq pharmacies dont celle d'Anne-Marie Ratté, «pour 35 des 39 formats concernant les 34 médicaments ciblés par la RAMQ, les ventes rapportées par l’intimée sont plus élevées que les achats, ce qui démontre un écart de 537 856 unités». Dans la foulée de son rapport, la régie publique requiert 219 667,02$ pour des services non rendus mais réclamés à la RAMQ; la pharmacienne émettra finalement un chèque de 209 997,57$ à la RAMQ. D'après le syndic de l’OPQ, ces écarts ne peuvent s’expliquer que par des ventes factices.Mais la principale intéressée, elle, attribue plutôt l’excédent des ventes par rapport aux achats constaté par la RAMQ à des achats interpharmacies non traçables à l’époque, des lacunes dans la gestion de son inventaire et l’exclusion de certains médicaments se trouvant dans des piluliers, robots ou sachets, rapporte le rapport du Conseil. Des arguments «incohérents et invraisemblables» qui «ont mené les enquêteurs sur une fausse piste», indique la sanction. «Cette erreur prétendue se serait répétée quotidiennement sur plus de deux semaines et à l’égard de 14 médicaments, alors que la livraison, qui était à domicile dans le cas de cette patiente, ne pouvait clairement pas avoir lieu.»Une volonté de s'enrichir aux dépens des patientsPour le syndic, les faits reprochés à Anne-Marie Ratté sont «des infractions extrêmement graves et hautement répréhensibles», pointant le manque d’intégrité de la pharmacienne et sa volonté de s’enrichir au dépens d’une patiente vulnérable notamment. Quant à la centaine de patients concernés par les activités de la pharmacienne entre 2013 et 2015, «si un autre professionnel de la santé consulte ces dossiers, il aura un portrait inexact, car il sera fondé à croire que le patient a réellement pris ces médicaments», souligne le syndic.Enfin, le syndic indique que la pharmacienne avait déjà été reconnue coupable et écopé d’une amende de 16 000$ en 2016 pour avoir illégalement versé à diverses résidences un avantage relatif à l’exercice de la profession, à savoir l’usage de chariots de distribution de médicaments, entre octobre 2014 et novembre 2015. Une période concomitante à celle de la nouvelle plainte. À lire aussi: Ententes frauduleuses et transactions de stupéfiants: un pharmacien condamné à 45 000$ d'amendesDe son côté, Anne-Marie Ratté explique avoir vendu sa pharmacie en 2022 – elle exerce désormais à titre de pharmacienne remplaçante ainsi que dans le domaine de l’immobilier, éliminant tout risque de récidive, selon elle – et impute ces erreurs à son jeune âge à l’époque: elle n’était propriétaire que depuis 2011, d’une pharmacie qu’elle qualifie de «start-up». Malgré ces arguments, le Conseil souligne un manquement à l’intégrité prévue par l’article 55 du Code de déontologie, car «il n’est pas possible pour un assureur comme la RAMQ, avec le volume de transactions qu’il traite au quotidien, de vérifier chacune des réclamations effectuées par les pharmaciens propriétaires. Celle-ci doit donc pouvoir se fier sur l’intégrité des pharmaciens qui lui soumettent des réclamations pour le remboursement de médicaments». Si l’ampleur, la répétition et la durée des infractions sont des facteurs aggravants, la sanction est atténuée par le faible risque de récidive et le plaidoyer de culpabilité de la pharmacienne.

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