Une pédiatre sanctionnée pour une prise en charge déficiente

Les faits remontent au 18 février 2017. Ce samedi matin, un enfant qui s’apprête à fêter ses deux ans est admis aux urgences de l’Hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil. Il est évalué à 8h10 par l’infirmière au triage, qui prend ses signes vitaux. Ses parents lui indiquent qu’il est moche et toxique depuis la veille, qu’il fait de la fièvre, qu’il est possiblement déshydraté après avoir vomi quatre ou cinq fois et eu des selles molles. On lui attribue alors une cote de priorité de niveau 3. Le patient est vu à 11h par un urgentologue. Il recopie les signes vitaux pris à 8h10 et prescrit un bilan sanguin, une radiographie des poumons et une échographie. La radio montre que l’enfant souffre d’une bronchopneumonie. L’urgentologue annule l’échographie et requiert une consultation en pédiatrie. De garde ce week-end là, la Dre Monique St-Denis-Demers se rend rapidement au chevet de l’enfant, qu’elle évalue vers 12h15. Après avoir pris connaissance des informations au dossier, la pédiatre expérimentée procède à un examen complet. Elle constate «une légère difficulté respiratoire» et que le patient «est moche, non pas toxique». Selon elle, «il n’y a rien d’alarmant (…) compte tenu du diagnostic de pneumonie». En raison de sa difficulté à respirer, elle requiert l’hospitalisation de l’enfant en cochant la case «admission urgente», afin qu’il soit transféré rapidement en pédiatrie. Elle lui prescrit également des examens complémentaires et donne différentes instructions médicales, dont l’administration par inhalation d’un bronchodilatateur. L’enfant arrive au département de pédiatrie vers 14h30. Son état va se dégrader progressivement. Lors de son admission, une infirmière note «qu’il est éveillé, mais moche et faible» et indique «la présence de pétéchies sur le corps» du patient. La Dre St-Denis-Demers le revoit à 15h. Elle note au dossier «l’apparition de lésions, de plusieurs pétéchies, un abdomen ballonné, mais souple, et une augmentation du volume du foie (hépatomégalie)». Après avoir pris connaissance d’autres résultats de laboratoire concernant le foie et le cœur, la pédiatre pose à 15h30 un diagnostic de sepsis. Elle prescrit alors des examens complémentaires ainsi qu’un demi-bolus liquidien «afin de le réhydrater [et] améliorer son état général». Lire aussi: Sanction confirmée pour une psychiatre au langage fleuri et vindicatif À 16h40, la pédiatre voit l’enfant à son retour de la salle d’examen et consigne au dossier que l’échographie abdominale signale la présence de gaz et non pas de liquide à l’abdomen. Cela l’a rassurée. Trente minutes après, elle le revoit de nouveau et observe qu’il n’a toujours pas uriné, mais que son tonus est correct. Elle souligne aussi que le bolus doit être complété, ce qui sera fait dans le quart d’heure suivant. Détérioration du patient en l’absence de la médecin À 17h35, la Dre St-Denis-Demers quitte l’hôpital pour aller souper chez elle, son domicile se trouvant dans les environs. L’état général de l’enfant va alors se détériorer. La médecin est avisée de la situation vers 18h30. L’infirmier lui indique que son pied droit est blanc et froid, que la tension artérielle a chuté à 70/36 au niveau du pied, qu’il était léthargique et que son urine est coke. Elle pense à un choc septique, un choc cardiaque ou à une coagulation intravasculaire disséminée et, pour elle, ça devient un cas de transfert vers le CHU Sainte-Justine. La pédiatre revient aussitôt à l’hôpital et, après avoir vu son patient, elle appelle vers 19h15 l’urgentologue pédiatrique du CHU Sainte-Justine, en application du protocole CCAR (Centre de coordination d’activités réseau). Elle conclut à un choc septique et prescrit un premier bolus complet. Les résultats n’étant pas satisfaisants, un second bolus complet est administré à 20h10. Sur ces entrefaites, les ambulanciers arrivent à l’hôpital. L’enfant est préparé pour son transfert et la pédiatre l’accompagne dans l’ambulance, qui quitte Longueuil vers 20h50. Quarante minutes plus tard, le jeune patient est pris en charge par l’équipe médicale de l’urgence de Sainte-Justine. Après des manœuvres de réanimation infructueuses, son décès est constaté vers 22h30. Six chefs d’accusation, quatre retenus Le père de l’enfant va porter plainte auprès du médecin examinateur de l’Hôpital Charles-Le Moyne. Le syndic du Collège des médecins va également ouvrir une enquête qui aboutira à une plainte disciplinaire. La Dre St-Denis-Demers s’est ainsi vu reprocher: de n’avoir pas élaboré son diagnostic avec la plus grande attention, en ne contrôlant pas ou en ne mesurant pas le rythme respiratoire, la fréquence cardiaque, la tension artérielle et l’état de perfusion périphérique lors de son évaluation initiale; et en ne reconnaissant pas rapidement l’état de sepsis et sa progression vers un état de choc septique. de n’avoir pas dirigé son patient vers un centre tertiaire dès le moment où elle a posé un diagnostic de sepsis. de n’avoir pas exercé sa profession selon les normes médicales actuelles les plus élevées possibles, en prescrivant des traitements inadéquats et/ou tardifs; et en n’effectuant pas de contrôle ni de réévaluation clinique de l’état de perfusion de son patient après l’administration de bolus liquidiens. de n’avoir pas exercé sa profession selon les normes médicales actuelles les plus élevées possibles en modifiant la perfusion de dopamine lors du transfert interhospitalier. Dans une décision rendue en septembre 2021, le Conseil de discipline du CMQ a jugé la pédiatre coupable de quatre chefs d’accusation et l’a acquitté pour deux autres: celui concernant le diagnostic de l’état de sepsis et celui visant la modification de la dopamine. Le 30 mai dernier, le Conseil de discipline s’est à nouveau réuni pour se prononcer sur les sanctions à imposer à la Dre St-Denis-Demers. Pour chacun des quatre chefs retenus, il a imposé une radiation temporaire de trois mois, à purger de manière concurrente. Lire aussi: Trois mois de radiation pour avoir misé sur le mauvais traitement Le Conseil argumente dans sa décision que la Dre St-Denis-Demers «a contrevenu à trois dispositions du Code de déontologie des médecins impératives [les articles 42, 44 et 47, NDLR] et qui sont au cœur de l’exercice de la profession médicale». Il indique également se trouver «en présence d’une pluralité d’infractions au sujet d’un même patient, qui fera les frais d’une série d’omissions et de retards menant à une prise en charge, globalement déficiente, alors que (la médecin), au moment des événements, n’a toujours pas suivi la formation PALS [Peadiatric advance life support, NDLR], formation intrinsèquement liée à l’amélioration et au maintien des compétences, du savoir-faire et du savoir-être, du médecin pédiatre dans leur rôle de leader au sein de l’équipe soignante, alors qu’elle est cheffe du département de pédiatrie de l’Hôpital Charles-Lemoyne». Le Conseil souligne par ailleurs que, depuis le début de la prise en charge de ce patient et alors que celui-ci est sous la supervision de la pédiatre, «d’importants délais s’accumulent dans la prescription et l’administration des traitements dont il a besoin, de sorte que la gravité de la situation clinique de l’enfant est continuellement sous-estimée, les traitements mal structurés et qu’aucun suivi efficace de la réalisation des prescriptions n’est fait par (la Dre St-Denis-Demers)». Il ajoute que la séquence des événements révélée démontre que la médecin «est toujours dans une posture attentiste, qui fait en sorte que les retards s’accumulent les uns après les autres, au point de se placer constamment dans le pire des scénarios par rapport aux décisions cliniques à prendre». Depuis ce 18 février 2017, la Dre St-Denis-Demers signale que sa vie professionnelle et personnelle ont été bouleversées. «Je pense à lui à tous les jours, une profonde tristesse m’habite», confie-t-elle, en déclarant qu’elle a pris conscience des problèmes survenus ce jour-là et qu’elle a le désir d’apporter des correctifs à sa pratique. Deux éléments dont le Conseil a tenu compte dans ses sanctions, en soulignant que la médecin «a corrigé une faiblesse évidente de sa pratique en obtenant récemment la certification PALS».

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