Une classe de secondaire visionne une vidéo scabreuse: «On ne s'habitue pas à l'horreur» -- Joël Monzée

Une trentaine d’élèves d’une école secondaire montréalaise ont visionné, début juin, la vidéo de Luka Rocco Magnotta montrant l’exécution de l’étudiant Lin Jun.L’enseignant a été congédié, mais qu’en est-il des effets à long terme sur les élèves ?ProfessionSanté.ca a posé la question à Joël Monzée1, docteur en neurosciences et psychothérapeute.A-t-on franchi une ligne dans l’horreur avec cette vidéo?Je ne sais pas. Le côté sain, c’est qu’on s’indigne désormais de ce genre de situation. Jusqu’à récemment dans l’histoire, on trouvait encore quelque valeur culturelle à exposer sur la place publique, par exemple, le corps meurtri des suppliciés. Pendaisons et guillotine étaient l’objet d’un spectacle de foule.En 1972, certains ont trouvé normal que des soldats tirent sur des ouvriers, lors du Bloody Sunday à Londonderry. Au début des années 1990, TF1, une chaîne française, avait diffusé en soirée un film tourné par l’une des ethnies en lutte au Libéria, où l’on avait capturé le chef ennemi en lui enlevant les yeux au couteau. Par contre, combien n’adorent pas, et j’en suis, les séries «CSI» qui sont explicites!Mais les scènes d’horreur sont stressantes à regarder pour les ados…Une étude a montré que les ados éprouvent un niveau de stress plus élevé que celui des enfants de 4-5 ans. Le neuroscientifique Michel Desmurget* explique que c’est corrélé au nombre et au niveau de violence des films visionnés. On ne s’habitue pas à l’horreur, au fond de soi, même en la raisonnant, même si l’on joue les braves en public.Stress post-traumatiqueComment vivre ensuite avec ces images et s’en protéger?J’espère que les élèves en question ont reçu une aide psychologique, mais il faut aller plus loin. Il s’agit de détecter les plus fragiles d’entre eux, puis de leur offrir un suivi thérapeutique, car Desmurget rapporte que ce type d’images peut causer un stress post-traumatique.La recette des films d’horreur se base sur deux ingrédients, au fond:une identification aux personnagesle rappel des angoisses existentielles inscrites profondément dans la psyché, probablement au niveau du cortex cingulaire, qui active ensuite les complexes amygdaliens et altère la perception de l’expérience réelle. Mais savoir cela intellectuellement ne suffit pas à se protéger... Non. Le travail sur soi et le fait de cultiver une vie intérieure riche nous fortifient face aux effets délétères de ce genre d’images. Évidemment, on ne peut demander une telle maturité à un élève de 14 ans. Manifestement, ce professeur n’a pas su s’autoréguler, dans une situation où il a sans doute voulu être «le bon prof». Peut-être aussi que les jeunes l’ont mis au défi, en pensant qu’il n’irait quand même pas jusqu’à diffuser la vidéo.Travail personnelLe travail sur soi a un effet de rempart psychique contre l’effet des images nocives, dites-vous. Comment cela se passe-t-il?Plus on fait du développement personnel ou de la méditation au sens large, plus l’organisation de notre cerveau permet à la pensée de rester fluide. Toutes ses structures collaborent alors pour nous mener à des choix responsables. Des études ont démontré que l’état de prière des carmélites, l’effet biochimique d’une psychothérapie ou la pratique de la méditation augmentent l’efficacité des ressources neurales et les habiletés de mentalisation.Par contre, plus on a vécu de blessures psychiques dont on ne s’est pas occupé, plus l’organisation de notre cerveau se fractionne, ce qui induit des clivages dans la pensée. Cela augmente ainsi la fréquence des réactivités schizoparanoïaques, où l’individu cherche paradoxalement un contact guérissant avec autrui qui est, pourtant, perçu comme un ennemi contre lequel il réagit. Dans les cas extrêmes, cela conduit malheureusement à des bascules psychiques qui induisent les troubles de la personnalité.Télé et jeux toxiquesVous estimez nécessaire, en prévention, de réduire la télévision et d’interdire aux enfants trop jeunes les jeux électroniques. Pourquoi?Ce ne sont ni la télévision ni les jeux électroniques qui sont responsables de la violence, et l’enfant battu ou victime d’intimidation n’a pas besoin de la télé pour savoir que la vie est violente. Télé et jeux électroniques constituent cependant deux facteurs qui induisent la violence chez les enfants les plus fragiles, qu’il faut protéger en priorité.À parents angoissés, enfants angoissés aussi, et le niveau d’anxiété est tel, dans notre société, qu’un certain nombre de personnes ne sont plus capables de s’autoréguler. La peur s’insinue partout, véhiculée entre autres par les jeux électroniques, qui disent implicitement : «J’ai le droit de tuer le plus de monde possible». Alors, après une intense frustration ou pour libérer une vive tension accumulée, certaines personnes fragiles au plan psychique passent à l’acte, incapables de distinguer la fiction de la réalité. Le jeu libreComment prévenir ces actes violents?Comparativement à l’écran, le jeu libre réduit de beaucoup l’anxiété de l’enfant, parce que là, c’est lui qui mène, qui agit, il ne rentre pas passivement et sans défense dans des scénarios de violence établis par d’autres. C’est d’ailleurs la base de la pratique psychomotrice. Il est nécessaire aussi de réduire à moins d’une demi-heure par jour l’accès aux jeux vidéos. Un enfant qui s’ennuie finira par développer son imaginaire et sa créativité.Par ailleurs, les zones orbitale gauche et préfrontale droite sont très actives chez les gens qui méditent. Cultiver la vie intérieure aide à atténuer l’impact des structures archaïques de notre cerveau. Accueillir et ressentir l’émotion, ainsi que bouger lentement pour sentir les mouvements comme dans le taï-chi, permet aussi de réduire l’activité des amygdales cérébrales.Vous déplorez aussi le rôle des médias dans cette tragédie.Oui, le cirque médiatique contribue à propager et à nourrir la paranoïa pour faire consommer les individus ou les manipuler pour faire accepter des choix politiques questionnables. Desmurget rapporte qu’aux États-Unis, 9% de la population disait avoir peur de la criminalité en 1994. L’affaire O.J. Simpson a propulsé ce pourcentage à 35%, car les gens du marketing avaient compris que les images violentes accroissaient l’audimat, les recettes publicitaires et la consommation. Le niveau d’insécurité s’est stabilisé ensuite à 21%, pour ne jamais revenir au niveau d’avant 1994. Et que dire depuis septembre 2001?Le neuroscientifique a aussi démontré en France que les campagnes présidentielles tablent sur l’insécurité, la peur ainsi entretenue pouvant conduire à des lois liberticides. Voyez ici-même au Québec, sur les réseaux sociaux, tout ce déchaînement de peurs autour de la révolte des étudiants. Certains internautes suggèrent même qu’on fasse appel à l’armée pour calmer le jeu. Et nombreux sont ceux qui minimisent les effets collatéraux de la loi 78!1Directeur des collectifs Ce que le cerveau a dans la tête (2011) et Neurosciences et psychothérapie (2009) (Éditions Liber).2Neurophysiologiste, docteur en neurosciences, auteur de TV lobotomie.Quand violence et rigidité mentale vont de pair…«Les recherches quantitatives ont peut-être induit un biais dans la compréhension du rôle de l’anxiété dans la structuration du cerveau. Comme on veut contrôler les variables, beaucoup de cliniciens que je rencontre séparent l’anxiété des troubles psychopathologiques.Pourtant, les données en neurosciences et en ethnologie démontrent à quels points les structures amygdaliennes sont largement impliquées dans le déclenchement des réactions comportementales, végétatives et hormonales lorsque l’individu a peur.AmbiancesPar ailleurs, on cherche souvent des déclencheurs, là où, surtout chez les enfants, ce sont des ambiances qui déclenchent la peur. C’est d’ailleurs un phénomène bien documenté en neuromarketing: rien de tel qu’induire de l’anxiété pour stimuler la consommation.Si un individu, à cause d’un stress post-traumatique, dû à la télé ou aux jeux vidéos, perçoit l’environnement comme menaçant, il n’a plus besoin de déclencheurs spécifiques des comportements défensifs.Le cerveau filtre les informations et l’expérience de danger conditionne la compréhension de l’environnement. Ce sont alors les structures archaïques de notre cerveau qui prédominent sur les structures préfrontales et les réactivités schizoparanoïaques ou les comportements pathologiques sont privilégiés.Un bel exemple est le comportement des personnes qui abusent de l’alcool : il y a une désactivation du préfrontal au profit des structures archaïques et la violence peut être présente».-Joël MonzéeVoir aussi les chroniques de Joël Monzée:Tout se joue avant six ans! Et après?La psychothérapie, une petite tape dans le dos pour les riches?Psychothérapie: l'heure juste sur la loi 21

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