Un test génétique pour optimiser le choix des antidépresseurs, financé par l’État, sauverait des millions de dollars

Perte. C’est le mot qui vient à l’esprit de Linda Riches lorsqu’elle pense à la dépression débilitante qui l’a privée de pouvoir s’occuper pleinement de son fils, de progresser dans sa carrière et de poursuivre son objectif d’obtenir un doctorat en éducation. Âgée de 67 ans, Linda Riches, raconte qu’on lui a prescrit au moins une douzaine d’antidépresseurs à partir de la trentaine, mais qu’ils n’ont pas réussi à améliorer son humeur si bien qu’enseignante dans un lycée, elle manquait de nombreux jours de travail. Lorsqu’elle retournait travailler, elle se sentait isolée et seule parmi ses collègues qui, selon elle, auraient réagi différemment si elle avait été atteinte d’une maladie physique. «Si vous avez été absent pour des raisons de santé mentale, les gens ne veulent pas en parler. Ils l’ignorent. Personne ne veut venir te dire: "Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour t’aider?"», témoigne-t-elle depuis son domicile près de Prince George, en Colombie-Britannique. Les années passant, elle a commencé à perdre espoir avant qu’un médicament ne s’avère le bon. Aujourd’hui, Linda Riches espère que d’autres personnes pourront éviter cette expérience d’essais et d’erreurs en passant un test génétique qui les aidera à prédire les médicaments qui leur conviendront le mieux et auront le moins d’effets indésirables. Connu sous le nom de test pharmacogénomique, cet examen personnalisé est payant. Un laboratoire analyse l’ADN obtenu à partir d’un échantillon de sang, de salive ou d’un prélèvement de joue afin d’identifier les variantes génétiques qui influencent la façon dont le patient métabolise et réagit à des médicaments spécifiques. Mme Riches est l’une des trois patients qui ont participé à une recherche de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) sur les économies qui pourraient être réalisées si les tests pharmacogénomiques étaient généralisés et financés par l’État. Selon l’étude publiée mardi dans le Journal de l'Association médicale canadienne, l’intégration de ce test dans les soins courants permettrait au système de santé de la Colombie-Britannique d’économiser à lui seul 956 millions de dollars sur 20 ans. Ce chiffre ne tient pas compte de toutes les retombées personnelles et économiques liées au retour au travail, à la possibilité de payer des frais de garde d’enfants et à une meilleure qualité de vie. L’un des auteurs principaux de l’étude, Stirling Bryan signale que plus de 35 antidépresseurs sont disponibles au Canada, mais que près de la moitié des patients ne réagissent pas au premier médicament qui leur est prescrit et qu’environ un quart d’entre eux rapportent des effets secondaires intolérables. «Les gènes sont responsables d’environ 42% des variations dans la façon dont les personnes réagissent aux antidépresseurs», indique le professeur à l’École de santé publique et des populations de l’UBC, aussi chercheur principal Vancouver Coastal Health Research Institute. Des milliards de dollars en jeu Les scientifiques ont consulté les données de santé d’environ 194 000 patients entre 2015 et 2020. Elles comprenaient les médicaments qui leur étaient généralement prescrits pour une dépression majeure, ainsi que des données d’essais cliniques liant l’information génétique aux antidépresseurs appropriés. À partir de ces données, ils ont élaboré un modèle de simulation de l’évolution de l’état de santé des patients sur une période de 20 ans s’ils ne bénéficiaient pas d’un test pharmacogénomique, en comparaison avec les résultats prévisibles obtenus grâce à ce test. Selon Stirling Bryan, environ 37% des patients qui ne réagissent pas aux différents médicaments sont reconnus comme souffrant d’une dépression résistante au traitement, parfois après avoir renoncé à toute nouvelle tentative en raison de leur frustration; ils peuvent alors avoir besoin de plus de visites médicales, y compris d'une psychothérapie. Ils peuvent également se retrouver à l’hôpital pour subir une électroconvulsivothérapie (ECT) ou un autre traitement, ce qui augmente les coûts des soins de santé. «Un Canadien sur dix souffrira d’une dépression majeure au cours de sa vie», souligne le professeur, qui estime que la généralisation des tests pharmacogénomiques pourrait permettre d’économiser des milliards de dollars dans l’ensemble du pays. Au-delà des économies financières, l’étude a montré que 1869 vies pourraient être sauvées sur une période de 20 ans, ajoute le chercheur. Lire aussi: À quoi ressembleront les traitements du futur? Peu de patients bénéficient d’un test génétique pour déterminer les antidépresseurs qui leur conviennent le mieux, mais de plus en plus de personnes choisissent cette option, généralement en déposant de la salive dans un tube qu’elles envoient à un laboratoire. Cependant, les médecins ne savent pas toujours comment interpréter le profil génétique d’une personne pour guider leurs décisions de prescription, observe le professeur Bryan, qui insiste sur la nécessité d’une meilleure formation à ce sujet via le programme public qui financerait les tests. D’autres recherches en cours Des recherches sur les tests pharmacogénomiques sont également en cours ailleurs au Canada. Psychiatre pour enfants et adolescents et directeur du Mathison Centre for Mental Health Research and Education de l’Université de Calgary, le Dr Paul Arnold participe ainsi à une étude portant sur des patients âgés de 6 à 24 ans qui commencent à prendre des médicaments ou qui sont sur le point de changer de médicament. Des échantillons d’ADN ont été prélevés jusqu’à présent sur environ 1000 patients en Alberta, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, mais l’objectif est de recruter 2000 enfants et jeunes adultes supplémentaires, déclare le Dr Arnold. L’étude incluait initialement des participants jusqu’à l’âge de 18 ans, mais elle a été élargie, car la plupart des maladies mentales se déclarent avant l’âge de 25 ans. Les échantillons sont testés par un laboratoire financé par l’État, mais on espère que les coûts seront éventuellement couverts par le gouvernement de l’Alberta en fonction des résultats, après que les chercheurs auront analysé les habitudes de prescription et les changements dans l’utilisation des services de soins de santé, explique le médecin. «Ce qui est intéressant dans la recherche pharmacogénomique, c’est que l’on peut en voir l’impact immédiat», ajoute-t-il, l’objectif étant d’identifier les patients le plus tôt possible, avant qu’ils n’aient à prendre plusieurs médicaments sans succès. Psychiatre et directeur médical du programme de santé mentale de l’Office régional de la santé de Winnipeg, le Dr Jitender Sareen indique travailler au lancement d’une étude qui déterminerait l’impact des tests pharmacogénomiques pour les adultes hospitalisés, y compris les personnes âgées qui prennent des médicaments pour plusieurs maladies. «Notre objectif est de recruter tous les adultes, mais nous voulons commencer par nos unités d’hospitalisation, car les preuves sont mitigées quant à savoir si ce type de test pharmacogénomique peut réellement réduire la durée de l’hospitalisation», signale le médecin. Les tests pharmacogénomiques coûtent actuellement entre 200 et 400$, mais les offrir à tous ceux qui ont besoin d’antidépresseurs serait bénéfique pour le système de santé, les prestataires de soins dans la communauté ainsi que les patients, affirme le Dr Sareen. «Les gens se lassent d’essayer différents médicaments et ce test pourrait au moins les aider à orienter leur traitement.»

Un test génétique pour optimiser le choix des antidépresseurs, financé par l’État, sauverait des millions de dollars

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