Un pharmacien coupable d’avoir obtenu de la clientèle par l’intermédiaire de deux hôpitaux

Peu importe qu’il se soit contenté de répondre à des demandes des centres hospitaliers de Sorel et du Haut-Richelieu et qu’il n’ait pas cherché à conclure des ententes pour livrer à leurs patients traités en ambulatoire des préparations injectables stériles, le pharmacien Christian Deblois a été reconnu coupable d’avoir gagné des clients grâce aux deux hôpitaux. Le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) a en effet jugé que le simple fait «de recevoir, d’avoir ou d’acquérir de la clientèle par l’entremise d’un intermédiaire suffit» à enfreindre l’alinéa 4 de l’article 77 du Code de déontologie des pharmaciens. Autrement dit qu’il n’est pas forcément nécessaire de «s’entendre à cette fin» avec ledit intermédiaire pour que l’infraction soit constituée.Ses pairs précisent que l’objectif de cette disposition «n’est pas d’interdire toute intervention de quelque intermédiaire que ce soit entre le pharmacien et le client, mais il s’agit de préserver la dignité de la profession en proscrivant l’obtention d’une clientèle de cette façon, d’interdire le dirigisme et, par voie de conséquence, de protéger le droit des clients de choisir leur pharmacien». Par la même, cet alinéa reconnaît aussi «le rôle primordial du pharmacien communautaire du client et sa position privilégiée pour évaluer (sa) thérapie médicamenteuse globale».Copropriétaire de cinq pharmacies sous la bannière Familiprix à Saint-Bruno de Montarville, Candiac, Carignan, St-Mathieu-de-Beloeil et Montréal, Christian Deblois dispose de deux hottes pour les préparations stériles dans son officine de Saint-Bruno. Depuis 2004, le pharmacien y élabore des préparations stériles d’antibiothérapie pour des patients de l’hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil, qu’il livrait ensuite dans un rayon de 30 km. En 2008, le pharmacien-chef de l’établissement le contacte pour lui demander s’il pourrait assurer le même service pour des patients de l’hôpital de Sorel, aucune des pharmacies communautaires des environs n’étant en mesure de le faire. Le professionnel lui confirme qu’«il a cette capacité de production avec sa nouvelle installation, qu’il est en mesure de bâtir une nouvelle route de livraison pour le secteur de Sorel et de livrer dans un délai de quelques heures», indique la décision du Conseil de discipline de l’OPQ.Dès lors, le pharmacien va être chargé des préparations stériles de tous les patients de l’Hôtel-Dieu de Sorel qui bénéficient du programme de traitements d’antibiothérapie intraveineuse à domicile (ATIVAD). À la même époque, l’Hôpital du Haut-Richelieu commence lui aussi à le solliciter, mais seulement pour des services pharmacologiques d’ATIVAD destinés à des patients qui habitent en dehors de la région de Saint-Jean-sur-Richelieu.Les faits reprochés à Christian Deblois ne visent cependant que la période du 1er octobre 2020 au 5 septembre 2022 concernant les patients de l’hôpital de Sorel et celle du 24 mars 2021 au 13 mars 2022 pour les patients de l’Hôpital du Haut-Richelieu. Périodes pour lesquelles le syndic de l’OPQ a été en mesure de caractériser les infractions en question. Les pharmacies communautaires des patients hors circuitLa preuve retenue par le Conseil de discipline montre que pour chaque patient faisant partie du programme d’ATIVAD de l’Hôtel-Dieu de Sorel, le pharmacien de l’établissement transmettait par télécopieur l’ordonnance et la feuille de liaison directement à la pharmacie de Christian Deblois, sans passer par les pharmacies communautaires habituelles des patients, les unes comme les autres n’y trouvant à redire et se disant satisfaites du service offert. S’agissant des patients de l’Hôpital du Haut-Richelieu, la procédure était sensiblement la même, si ce n’est que la pharmacie de l’établissement ne faisait appel à celle de Christian Deblois qu’au cas par cas, pour des malades vivant dans des secteurs éloignés, par exemple à Marieville ou à Farnham, où le professionnel était le seul à offrir la livraison des traitements. À lire aussi: Deux pharmaciens épinglés pour sollicitation excessive et errements dans la gestion des SDCSCPour offrir ces services, la pharmacie de Christian Deblois disposait d’une flotte de neuf véhicules en 2020, et de 23 livreurs environ, afin d’effectuer en moyenne trois livraisons par jour à Sorel. À l’audience, le professionnel a indiqué que ses coûts de livraison étaient couverts par les honoraires des préparations stériles qui incluaient les traitements, mais aussi les solutions de rinçage magistrales qu’il fournissait. Il existait pourtant une préparation commerciale plus avantageuse pour ses patients — qui coûtait environ 10$ de moins par seringue. Le syndic l’a donc poursuivi pour avoir «fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de ses patients». Une infraction à laquelle le pharmacien a plaidé coupable.Ce dernier a également affirmé qu’il n’y avait aucun avantage pour sa pharmacie à servir directement les patients et qu’il y avait même des contraintes en lien avec les périodes de livraison ou le mode de facturation. «Financièrement, lorsque la pharmacie sert un patient, elle n’est pas autorisée à facturer les frais d’emballage et de livraison, comme c’est le cas d’un service d’une pharmacie préparatrice à une pharmacie dispensatrice», a-t-il expliqué.Retour à la normaleInformé en juin 2022 qu’il ne pouvait plus servir des seringues de rinçage magistrales, ce qui a entraîné une diminution importante de ses revenus en ATIVAD, Christian Deblois a modifié son offre de service. Il n’effectue plus qu’une livraison quotidienne à Sorel, à 17h pour toutes les ordonnances transmises avant 16h, et celles-ci transitent au préalable par les pharmacies communautaires des patients concernés.À lire aussi: Dénoncée par un concurrent, une pharmacienne propriétaire est blanchie sur toute la ligneDans sa décision, le Conseil de discipline «tient à mentionner que la qualité des services offerts par [le pharmacien] n’est nullement en cause, pas plus que l’existence des programmes d’ATIVAD». Il ne doute d’ailleurs pas des bénéfices de tels programmes et services qui permettent à des patients d’être traités dans leur milieu de vie, avec le soutien de leur famille et d’une équipe de professionnels. Le Conseil comprend également que «des défis peuvent se présenter dans le contexte de l’évolution de l’offre et de l’organisation de services ambulatoires tenant compte de la disponibilité des ressources. Cependant, il n’en demeure pas moins que dans l’état actuel du droit, un pharmacien ne peut obtenir de la clientèle par l’entremise d’un intermédiaire, incluant la clientèle d’ATIVAD d’un centre hospitalier.»Avantages indusLa plainte comportait un autre chef d’infraction, en lien avec les services rendus par Christian Deblois à quelques patients ATIVAD de l’Hôpital du Haut-Richelieu. Le syndic lui reprochait d’avoir «illégalement versé un avantage relatif à l’exercice de sa profession, en diminuant, par le biais d’une entente avec l’hôpital du Haut-Richelieu ou son personnel, la contribution financière que certains patients devaient acquitter lors de l’achat de différentes préparations injectables stériles dont le coût est assumé par […] le régime général d’assurance médicaments» de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).Concrètement, l’hôpital avait décidé de prendre lui-même en charge la portion non remboursée par les assurances privées ou la RAMQ du coût de l’antibiothérapie à domicile quand les patients étaient dans l’incapacité de la payer et lorsque leur hospitalisation devenait alors la seule autre alternative. Christian Deblois ne facturait donc pas ces frais aux patients concernés. Il envoyait sa facture au CISSS de la Montérégie-Centre (CISSSMC), dont dépend l’Hôpital du Haut-Richelieu. Entre le 24 mars 2021 et le 13 mars 2022, les états de compte de sa pharmacie montrent que le CISSSMC lui a ainsi versé 7 196,01$ pour les antibiotiques de 15 patients.Le Conseil de discipline a estimé que cette situation découle d’une politique du CISSSMC sur laquelle il n’a pas à se prononcer. De plus, «cette décision est indépendante de la pharmacie communautaire à qui le patient est référé», ajoute-t-il. «Certes, dans ce cas, le client concerné n’a pas à payer une contribution financière [au pharmacien]. Si tant est que cela doive être considéré comme un avantage au sens du Code de déontologie, le Conseil ne peut retenir que ledit avantage est versé par [Christian 0», peut-on lire dans sa décision qui disculpe le professionnel de ce chef-là.Pour les quatre autres dont il a en revanche été reconnu coupable par le Conseil, ses sanctions seront fixées lors d’une prochaine audience dont la date n’a pas encore été fixée.À lire aussiEnquêtes: les professionnels soumis à rude épreuveLa justice disciplinaire a besoin de rénovations

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