Un pharmacien confond la lettre D avec le chiffre zéro sur une ordonnance

Certaines évidences sont bonnes à rappeler. «Le pharmacien a un rôle pivot à jouer dans le traitement de la santé. Exécuter une ordonnance ainsi qu’évaluer et assurer l’usage approprié d’une thérapie médicamenteuse constituent l’abécédaire de la profession», martèle ainsi le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) dans une récente décision visant un pharmacien expérimenté coupable de négligence dans l’exécution d’une ordonnance de prednisone. Ce dernier a remis à sa patiente un plan de traitement de quatre mois (240 comprimés), alors que son médecin lui en avait prescrit un pour 12 jours à doses décroissantes (soit 24 comprimés).«Dans une telle situation, le patient doit suivre un sevrage. N’eût été la vigilance de son médecin, les conséquences auraient pu être encore plus importantes pour la patiente», souligne le Conseil qui impose une amende de 9000 dollars au professionnel.Propriétaire de deux pharmacies, l'une à Boucherville, l'autre à Montréal, Cyr Alain Kuate Kamga est en service dans son officine de la Place Versailles, dans l'est de l'île, lorsqu’il reçoit, le 28 février 2022, une ordonnance rédigée en anglais. Le médecin prescrit à sa patiente de la prednisone à raison de quatre étapes d’une durée de trois jours chacune, avec des doses décroissantes passant progressivement de 40 mg à 10 mg. Le pharmacien confond alors la lettre «D» dans le mot «DAYS» pour le chiffre zéro, faisant en sorte que chacune des étapes est d’une durée de 30 jours plutôt que trois.Après avoir validé l’ordonnance, le professionnel exécute deux des quatre services de prednisone, soit le premier et le dernier. Les deuxième et troisième sont quant à eux effectués par d’autres pharmaciens qui n’ont pas décelé l’erreur de leur confrère. Celle-ci est constatée par le médecin prescripteur trois mois plus tard, lors d’une visite de suivi. Dans la foulée, la patiente transmet une demande d’enquête au syndic de l’OPQ. Elle veut éviter que d’autres patients ne voient leur vie mise en danger ou subissent des dommages permanents, et exprime le souhait que la faute du pharmacien «ne demeure pas impunie».Dans sa version des faits qu’il communique au syndic, Cyr Alain Kuate Kamga précise qu’en tant que francophone, il réfléchit d’abord dans sa langue, même s’il peut bien lire l’anglais. Il explique que pour une raison inconnue, il a confondu la lettre «D» avec un zéro, «ce qui a donné dans son esprit 30 jours, même si le reste du mot était en anglais». Le pharmacien reconnaît qu’il aurait pu se demander pourquoi un médecin «prescrit une si forte dose pour une longue période», ajoutant qu’il a beaucoup réfléchi afin de comprendre les raisons de son erreur. La seule explication qu’il a trouvée est «la fatigue du jour», qu’il attribue à sa charge de travail en raison de la pénurie de pharmaciens.Négligence et manque de jugementÀ l’audience, l’avocate du syndic a souligné la gravité des infractions commises par Cyr Alain Kuate Kamga qui mêlent «à la fois négligence et manque de jugement professionnel». Elle estime qu’un pharmacien expérimenté comme lui — il est inscrit au tableau de l’Ordre depuis 2011 — «aurait dû se questionner quant à savoir si quatre services de 30 jours de prednisone avaient du sens». L’avocate ajoute que l’on pourrait s’attendre à de meilleurs réflexes de sa part, en soulignant qu’il a eu «quelques occasions de se rendre compte de l’existence d’une problématique et que son erreur a mené deux autres pharmaciens à en commettre».Le Conseil souscrit à cet argumentaire. Il affirme que Cyr Alain Kuate Kamga «a eu plusieurs occasions de se rendre compte de son erreur et que le premier motif pour s’alarmer aurait dû être le nombre élevé de comprimés de prednisone prescrit, soit 240 comprimés, ainsi que la durée du traitement. De plus, le dernier service que (le pharmacien) a effectué pour ce médicament aurait dû être une occasion additionnelle pour s’apercevoir de son erreur».À lire aussi: Pensant aider ses collègues, il provoque la mort d’un patient en fin de vieL’avocat du propriétaire a quant à lui plaidé que son client a appris sa leçon, qu’il prend davantage son temps et qu’il ne veut pas comparaître à nouveau devant le Conseil, lui qui n’avait pas eu jusqu’ici d’antécédents disciplinaires. Se disant «abasourdi» et «préoccupé» par son erreur, Cyr Alain Kuate Kamga affirme de son côté qu’il est encore plus vigilant lorsqu’il procède à la validation des ordonnances. Il mentionne qu’il a informé ses deux collègues pharmaciennes afin qu’elles puissent l’être également.Jugeant que «sa bonne foi est indéniable», le Conseil ne doute pas que le professionnel souhaite éviter de commettre à nouveau la même erreur. Néanmoins, «à la lumière de l’ensemble des circonstances, dont la charge de travail importante de (Cyr Alain Kuate Kamga), la fatigue qui peut y être associée ainsi que le peu de détails offerts concernant la mise en place de mesures pour éviter que la situation ne se reproduise», il demeure préoccupé quant à son risque de récidive.

Un pharmacien confond la lettre D avec le chiffre zéro sur une ordonnance

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