Un enseignant autochtone plaide pour une meilleure formation des pharmaciens

Membre de la Première nation des Saulteaux, M.Swidrovich est également Ukrainien et bispirituel. En entrevue, il nous discute de son travail pour faire avancer la cause des Autochtones, de son parcours et de l’utilité d’Instagram. Vous avez récemment déménagé à Toronto pour occuper votre nouveau poste de professeur adjoint à la Faculté de pharmacie Leslie Dan de l'Université de Toronto. Comment cela se passe-t-il? «Tout s’est merveilleusement bien déroulé – J’aime mon poste, le corps enseignant, les gens, le programme et la ville, bien sûr. J'ai vécu ici pendant mon programme post-baccalauréat en pharmacie, de 2011 à 2013. Je connais donc la ville depuis cette époque, et aussi un peu la Faculté. C'était vraiment génial de revenir. Par contre, même si je connais bien Toronto, j'ai vécu à Saskatoon pratiquement toute ma vie, alors mes amis et ma famille me manquent. Ma mère me manque particulièrement - on lui a diagnostiqué un cancer du côlon de stade 4, alors ça m’embête vraiment de ne pas être là pour elle et le reste de ma famille. J'ai la chance d'avoir mon chien Leonard, mon golden retriever. Il a presque deux ans et pèse 45 kg. Il est trop grand pour prendre l'avion, alors j'ai loué un VUS pour venir ici, et nous avons fait le voyage ensemble.» Vous êtes le premier professeur de pharmacie autochtone au Canada. Qu'est-ce que cela représente pour vous? «Pour moi, c’est d’être le premier et l'unique. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'en parler dans le cadre de mes nouvelles fonctions à l'Université de Toronto, mais nous avons des projets pour l'avenir, notamment en ce qui concerne le renouvellement et la révision des programmes d'études. Nous allons déterminer comment intégrer davantage de contenu autochtone et de perspectives antiracistes, ainsi que recruter et retenir les étudiants autochtones dans le programme de premier cycle et les études supérieures.» Et en dehors de l’Université de Toronto? «Je participe à d'autres initiatives à l'échelle nationale. Je suis le créateur du groupe d'intérêt spécial de la CVR [Commission de vérité et de réconciliation] [pour l'Association des facultés de pharmacie du Canada] - qui existe depuis plusieurs années maintenant. Nous avons des représentants de toutes les facultés de pharmacie du Canada et nous travaillons souvent en collaboration pour veiller à ce que les demandes de la Commission de vérité et de réconciliation soient appliquées et réalisées dans nos écoles. Je viens également d'envoyer un courriel à tous les pharmaciens autochtones que j'ai pu identifier à travers le Canada, pour essayer de créer une sorte d'organisme représentatif des pharmaciens autochtones au Canada, avec un financement de l'APhC [Association des pharmaciens du Canada] - comme ceux dont disposent les infirmières, les travailleurs sociaux et certaines autres professions. J'aimerais avoir un mandat et un nom d’organisme, et dévoiler ce projet avant le Mois national de l'histoire autochtone en juin.» Qu'est-ce qui vous a poussé à vouloir devenir pharmacien? «Il m'a fallu du temps pour comprendre que ma vocation était d'être un leader autochtone dans le domaine de la pharmacie. En fait, je m’en allais à l'université pour devenir enseignant - je voulais enseigner le théâtre et la physique. Mais j'ai parlé à des gens qui m'ont dit qu'il serait très difficile de trouver un poste d'enseignant à Saskatoon. Je me suis dit qu'il était hors de question de quitter ma mère, mon père et mes sœurs. Je me suis donc dit que je devais trouver quelque chose d'un peu plus prometteur en termes de garantie d'emploi à Saskatoon. J'ai donc abandonné les cours en enseignement et je me suis inscrit aux cours préalables de médecine. Puis, un peu par hasard, j'ai fait une demande d'inscription en pharmacie, parce que quelqu'un dans mon cours de biochimie m'a dit que les demandes d'inscription devaient être remises cette semaine-là, et que les frais d'inscription s'élevaient à 75$. Je me suis dit, pourquoi pas? J'ai été admis en pharmacie, mais je n’ai pas aimé le programme immédiatement. En fait, j'ai postulé pour la médecine alors que j'étais en troisième année de ce programme. Mais ensuite, en quatrième année, j'ai fait un stage à l'hôpital et je suis tombé amoureux de cette profession. Durant ce stage: j'ai constaté que mon hypothèse, selon laquelle les infirmières, les médecins et les autres professionnels de la santé savaient ce que nous savions en tant que pharmaciens, était fausse. Ce n'est absolument pas le cas! Des étudiants en médecine, des résidents, des médecins traitants et des infirmières me demandaient constamment de l'aide sur des cas de patients, sur leurs soins et sur leurs plans de sortie, et je me disais: «Wow, OK». J'ai réalisé que les connaissances que j'avais étaient très spécifiques à ma discipline et qu'on en avait besoin. Durant mon parcours en pharmacie, je n'ai jamais eu de mentors autochtones, et j'en ai toujours pas, même si je peux dire que certains jeunes prometteurs de la relève sont mes mentors. Je ne nous voyais pas du tout représentés dans la discipline et j'ai ressenti un sentiment de responsabilité pour faire la différence.» Vous avez plus de 10 000 abonnés sur Instagram @jarisoftheprairies. Comment cela a-t-il commencé? «Pendant la pandémie, j'avais l'impression de manquer l'occasion d'éduquer les gens. Àpartir de juin 2020, j'ai donc commencé à créer une publication par jour sur mon Instagram pour le Mois national de l'histoire autochtone. Et j'ai gagné des milliers d’abonnées pendant cette période. Beaucoup de gens faisaient des commentaires ou envoyaient des messages comme: "Merci beaucoup", " Tu résumes cela si facilement" et "Je ne peux pas croire que je n'ai pas appris cela à l'école". Et "Je peux le partager avec ma classe?" ou encore "Je peux en faire une publication?" Et j'étais comme, "Whoa, c’est fou!" Donc, c'est utile. Je crois que je vais continuer à le faire. Et je me suis dit, pourquoi ne pas utiliser ce moyen pour aider à réaliser ces changements en dehors de la classe. J’ai toujours mon profil personnel, mais il y a aussi des éléments éducatifs parce que c'est ce que je suis, je suis un enseignant.» Je sais que votre famille est aussi ukrainienne. Que pensez-vous du conflit qui se déroule là-bas? Avez-vous de la famille en Ukraine? «Je n'ai pas de famille proche là-bas à ma connaissance, mais avec ou sans liens familiaux, je suis tout simplement dévasté. C'est effroyable. Je suis une personne antiguerre. Une grande partie de ces combats sont liés à l'exploitation des ressources, au capitalisme et aux industries, et c'est ce qui est au cœur de ma position en tant qu'Autochtone - dire qu'il faut arrêter de détruire la planète qui nous donne la vie. Tout cela est vraiment bouleversant.» Vous avez dit que les pharmaciens ont un rôle important à jouer pour aider à combler le fossé en santé entre les Autochtones et les non-Autochtones. Comment souhaiteriez-vous que cela se produise? «Nous savons que les pharmaciens sont les professionnels de la santé les plus accessibles et qu'ils sont souvent classés au premier ou au deuxième rang des professionnels les plus dignes de confiance. À l'heure actuelle, l'accès aux soins de santé n'est pas toujours facile pour les peuples autochtones. Nous savons que le racisme est fréquent, qu'il s'agisse de racisme interpersonnel, de racisme systémique ou de racisme épistémique, comme le fait que les systèmes de connaissances autochtones ne sont pas considérés comme équivalents aux autres. Nous savons que toute personne qui consomme des médicaments entrera en relation avec un pharmacien à un moment donné, d'une manière ou d'une autre. Souvent, les patients verront leur pharmacien plus fréquemment que leur médecin. Et plus les pharmaciens, les techniciens en pharmacie et les assistants en pharmacie en sauront sur les peuples autochtones, sur l'histoire et sur les raisons pour lesquelles les choses sont ce qu'elles sont, mieux ils seront équipés pour fournir les meilleurs soins possible aux peuples des Premières nations, aux Métis et aux Inuits et à leurs familles. Je ne jette jamais le blâme sur des individus ou des pharmaciens, mais plutôt sur nos systèmes, sur les lacunes de la maternelle jusqu’au collégial, et ensuite certainement sur les écoles de pharmacie. En raison du manque de contenu enseigné dans tous ces programmes, des personnes peuvent obtenir leur diplôme et devenir des praticiens avec un manque considérable de connaissances sur la façon de soigner les personnes qui vivent avec les plus grandes carences en matière de soins de santé dans ce pays. Pouvez-vous imaginer que nous ne donnions aux étudiants pharmaciens qu'une heure d'éducation sur le diabète, tout en nous attendant qu'ils soient d'excellents praticiens pour les personnes atteintes de diabète? Comment pouvons-nous donner une heure de contenu autochtone dans les programmes de pharmacie et nous attendre à ce qu'ils soient capables de fournir les meilleurs soins possibles aux clients autochtones? Le groupe d'intérêt spécial de la CVR [Commission de vérité et de réconciliation] que j'ai créé et que je copréside a été contacté par le Conseil canadien de l'agrément des programmes de pharmacie. Nous souhaitons qu'il existe des normes adéquates afin de rendre fondamentalement obligatoire une certaine base, de manière à aller au-delà des résultats du programme d'études et à inclure une formation axée sur les compétences, parce que c'est ce qui a été demandé aux survivants des pensionnats dans la CVR.» Qu'est-ce que cela vous fait, d'essayer de mener tous ces changements en même temps? «Je suis très optimiste et plein d'espoir, mais j’ai aussi un sentiment de responsabilité. Je sais qu'il y a beaucoup d'autres pharmaciens autochtones, mais je suis le seul enseignant universitaire à pouvoir entraîner ces changements dès maintenant. Il y a donc un fort sentiment de responsabilité envers les peuples autochtones du pays. C'est plus qu'un projet, vous savez - ce n'est pas comme créer une nouvelle façon de fournir des cours en ligne ou une nouvelle stratégie d'évaluation. Je pense aux sacrifices et à la résilience de ma propre famille et de mes ancêtres qui ont fait tout leur possible pour que je puisse être dans une position comme celle-ci. Ma mère est une survivante de la rafle des années '60; ma grand-mère et mon arrière-grand-mère étaient des survivantes du système des pensionnats. Je dois les honorer à ma façon en poursuivant mon travail.»

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