Travail biographique: Faire de sa vie une œuvre d’art

Un travail sur soi, et avec les autres, à partir de l’œuvre du Dr Bernard Lievegoed, médecin psychiatre néerlandais (1905-1992).Biographie, «écrire sa vie», se confronter à son histoire personnelle, en devenir l’auteur conscient. L’Atelier d’art social de Montréal contribue depuis 26 ans à cette laborieuse introspection, individuelle ou en groupe, et de façon artistique. « Le travail biographique génère toujours l’enthousiasme et peut donner l’énergie pour remettre un peu d’ordre dans son destin », indique Denis Schneider1, son fondateur.Qu’est-ce que le travail biographique ?C’est l’effort que fournit consciemment et librement le moi pour explorer, avec créativité et sens critique, sa propre vie, ses rythmes, ses tournants. Ces observations sur nos expériences, nos épreuves, deviennent autant de repères objectifs de recherche sur notre destinée. Elles nous aident à envisager notre devenir, à éclairer notre propre route.Quel en est l’objectif ?Donner sens, en se racontant, à ce qui nous arrive. L’une des grandes signatures du moi consiste à prendre des décisions. Une biographie est tissée d’une foule de décisions, petites et grandes, que chacun prend pour devenir plus humain.Le travail biographique retrace ce cheminement de conscience, le moi se révélant aussi par les questions qu’on se pose. Les mots « question » et « quête » ont une racine commune. Quelles étaient les questions qui nous animaient à 14 ans, à 21 ans, aujourd’hui ? Ont-elles des points communs ? Sont-elles récurrentes, lancinantes ou stimulantes ?Septaines - Ce qu’en dit Solon*L’enfant, encore nourrisson, produit ses dents durant les sept premières années de sa vie. Quand le ciel lui aura octroyé encore sept années, il aura atteint la puberté. Dans sa 3e période, ses membres maintenant s’allongent, la barbe de couleur changeante pousse à son menton. Chacun dans sa 4e septaine atteint sa pleine force et fait preuve de valeur virile. Dans la 5e, l’homme, maintenant mature, pense à prendre femme et à sa postérité future.Dans la 6e, l’esprit de l’homme s’applique à toutes choses et ne trouve plus plaisir aux choses triviales.Dans la 7e et la 8e, la parole et la compréhension sont à leur meilleur et s’exercent ainsi pendant ces 14 ans.Dans la 9e, il a encore des forces, mais l’éloquence et la sagesse ne sont plus capables de grands efforts. Et maintenant, laissez-le, celui qui doit atteindre sa 10e septaine, se préparer à une mort anticipée.* Philosophe grec né à Athènes vers 640 av. J.-C., mort sur l'île de Chypre vers 558 av. J.-C., homme d’État, législateur et poète athénien.Quels moyens utilisez-vous pour ce travail ?La parole et l’art (dessin, peinture, sculpture, poèmes, individuels et collectifs), et ce, pour chaque étape de la vie. Dessiner par exemple le chemin qui menait de notre maison familiale à l’école fait resurgir bien des éléments. Nous nous inspirons de la littérature, des tableaux des grands maîtres aussi, qui fourmillent d’indications sur l’âme humaine. Il s’agit de révéler à notre propre regard cette vie qui n’appartient qu’à soi.Le Petit prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, est un archétype de la destinée humaine : il quitte son étoile, naît, rencontre des gens, tisse des liens, fait face à des résistances, puis retourne à son étoile. Par essence, nous sommes tous des Petit Prince.Pourtant, n’a-t-on pas parfois le sentiment de ne pas avoir choisi sa vie ?Ma vie me fait comme un gant parce que je décide qu’elle me va comme un gant. C’est tout un apprentissage de pouvoir dire : « C’est ma vie, c’est ma maladie par exemple, et j’en ai besoin pour évoluer. » Voilà pourtant tout un travail d’authenticité, puisque le chercheur en biographie part de la substance de sa propre vie (milieu familial, amitiés, rencontres, épreuves, voyages, rapport à la santé et à la maladie, à l’argent, etc.). C’est son matériau brut.Il découvre à mesure des éléments nouveaux, à la façon des peintres impressionnistes, par petites touches lumineuses, ou à la façon expressionniste, par gros traits qui caractérisent. S’en dégage peu à peu l’évidence d’un fil d’or dans le destin d’un être qui veut s’approprier sa vie.Comment juger des éléments à retenir dans ce travail sur soi ?Aucun geste n’est insignifiant dans une biographie et le moi est seul juge en la matière. L’âge auquel nous arrivent certains événements, comme un accident, une maladie ou un divorce, n’est pas anodin. À 15 ans, on ne compose pas avec un cancer avec la même conscience qu’à 50 ans. Les défis propres que l’on doit relever à 15 ou à 50 ans révèlent une histoire qui s’ajoute à celle du cancer. Tout événement se trouve ainsi inséré dans un tout organique.Psychiatre, éducateur et écrivain, le Dr Bernard Lievegoed est le pionnier du travail biographique. Il l’a approfondi à partir des indications données par le philosophe et pédagogue Rudolf Steiner (1861-1925). Le Dr Lievegoed est l’inspirateur de centres de formation dans plusieurs pays (Angleterre, Allemagne, Suisse, États-Unis, Brésil).Consultant en développement organisationnel, il s’est intéressé à la gestion de conflits en entreprises.Il a fondé le Netherlands Pedagogical Institute, devenu Association for Social Development.Peut-on faire seul ce travail de biographie ?Oui, mais l’expérience montre que le moi individuel a besoin de la présence d’un autre moi pour se raconter et ainsi faire surgir son histoire personnelle. Le moi se trouve en se reliant aux autres tout en cultivant la plus grande autonomie. En ce sens, je ne serais pas qui je suis sans tous ceux et celles que j’ai rencontrés. Chaque homme ou chaque femme sur ma route est un possible messager d’une des couleurs de mon destin. Mais cette couleur, c’est moi qui l’incorpore librement à mon destin.Qu’est-ce qui vous étonne le plus dans ce travail ?L’unicité originale de chaque être. Elle transparaît rapidement, même si tous, nous empruntons le chemin de l’enfance à la vieillesse, et franchissons sensiblement les mêmes seuils (études, mariage, profession, naissance des enfants, retraite, etc.).Au-delà de cette apparence d’uniformité de toutes les vies humaines, la biographie de chaque être est une autocréation unique. La conscience de ce caractère unique de la biographie s’est éveillée plus particulièrement au 20e siècle. Avant, on habillait les enfants comme de petits adultes : le garçon en complet-cravate et la fillette, comme une petite madame. Aujourd’hui, on reconnaît l’originalité de chaque parcours.Existe-t-il des lois de croissance ou des rythmes universels ?Oui. Ces lois de croissance de la personne, la sagesse populaire les résumait ainsi (encadré sur Solon) : les dents tombent à 7 ans, les poils poussent à 14 ans et à 21 ans, on a le droit de vote. Bien sûr, tout semble s’accélérer extérieurement, mais toute étape intérieure demande à être vécue pleinement.Tous les sept ans, on vit un nouvel accouchement. La biographie est l’histoire continue de la façon dont on s’accouche soi-même. Sortir du ventre de sa mère et former, de 0 à 7 ans un corps physique indépendant n’est que la première étape. De 7 à 14 ans, il faut ensuite sortir du ventre des soins indispensables au maintien de la vie que prodiguent la mère et l’environnement familial. À 1’adolescence, on sort du ventre des valeurs de sa famille. Comme cette ado de 15 ans, persuadée qu’elle n’aimait pas les chats siamois. Pour s’apercevoir qu’en fait ce sont ses parents qui ne les aimaient pas.Le moi est en devenir, jamais en arrêt, et vit une quête d’autonomie jusqu’à la mort. Surtout, ce moi prend des décisions, celle du moment portant déjà en germe celle qui la suivra, avec tous les obstacles qui surviennent pour l’empêcher mais aussi pour lui servir de levier.Quelles sont les applications du travail biographique ?Il sert à approfondir la connaissance de soi dans le but de faire le prochain pas créateur. Plusieurs de celles et ceux qui entreprennent ce travail vivent un temps de crise (d’un mot grec signifiant : distinguer, choisir, décider) ou de questionnement. Ils sont alors invités à entrer en dialogue avec leur vie, à regarder en arrière pour mieux voir en avant. En Europe, certaines cliniques médicales recourent au travail biographique, notamment la Lukas Klinik (cancérologie) à Arlesheim, Suisse. Elles aident des patients à mieux vivre avec cette maladie grave.En quoi ce travail a-t-il un effet thérapeutique pour la personne qui s’y adonne ?Il aide la personne à mieux apprécier comment les événements de sa vie se sont placés dans le passé, résonnent maintenant et pourront être intégrés positivement dans l’ensemble de la vie. Qui suis-je ? Qu’est-ce que les événements de ma vie ont affaire avec moi ? Pourquoi ça m’arrive ?La connaissance des rythmes a aussi quelque chose de guérissant. À partir de la quarantaine par exemple, c’est clair, le déclin des fonctions physiologiques doit être compensé par un travail de connaissance de soi, sinon l’être se sclérose. À quoi l’être s’identifie-t-il ? Le travail biographique conduit à une certaine acceptation des « vertus » de son âge. La formule « meurs et deviens » de Goethe résume cette acceptation de la fin d’un cycle pour mieux préparer le suivant.Le travail biographique n’exige-t-il pas de tenir en haute estime l’être humain ?C’est sûr. Vous n’avancez pas dans la vie avec le même élan si vous vous identifiez à vos cellules ou à vos gènes, à un produit de votre milieu, ou à des forces économiques. Par un travail conscient de biographie, chacun peut participer à sa propre autocréation. Ce qui importe dans cette quête, c’est la question sans cesse renouvelée : quel est mon prochain pas pour devenir qui je suis ?1. Formation en sciences humaines, en arts plastiques, maîtrise en arts visuels. Formé au Centre de développement social d’Emerson College, Grande-Bretagne. Formateur en biographie, formation continue en Suisse et en France. Responsable pendant 14 ans du Programme de jour d’arts plastiques au Collège André-Grasset.Atelier d’art social de Montréal :514 382-1574Ce texte vous inspire un commentaire, une réflexion ? Partagez-les avec vos pairs et écrivez-nous à courrier@lactmed.rogers.com

Travail biographique: Faire de sa vie une œuvre d’art

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes