Tragédie de Lac-Mégantic: «Je ne souhaite pas revivre une situation pareille dans ma vie de pharmacien» – Luc Rodrigue

Pendant les trois jours qui ont suivi la tragédie ferroviaire à Lac-Mégantic, survenue dans la nuit de vendredi à samedi, la pharmacie de Luc Rodrigue, sous la bannière Familiprix, a été la seule ouverte dans cette ville de près de 6000 habitants, puisque l’autre pharmacie de cette municipalité, propriété de Claude Charron et d’Antoine Leclerc (affiliée au Groupe Jean Coutu), est située dans la zone sinistrée.Depuis mardi, ces derniers ont toutefois ouvert une pharmacie d’urgence pour continuer à desservir leur clientèle.Un samedi très mouvementéC’est en pleine nuit que Luc Rodrigue a appris la nouvelle de la catastrophe ferroviaire au centre-ville, car sa conjointe, Anne Boulet, pharmacienne-chef au CSSS du Granit, a été appelée par un responsable de l’hôpital, par mesure d’urgence.« Nous n’avons plus dormi du reste de la nuit, relate-t-il à Profession Santé. Au fur et à mesure du déroulement des événements, nous avons appris que la pharmacie de nos confrères Charron et Leclerc était dans la zone sinistrée. Nous nous attendions à ce que des patients de cette pharmacie – évacués de leur domicile – soient mal pris, parce qu’évidemment ils n’ont pas pensé à apporter leurs médicaments. »Des citoyens ont même appelé chez lui, tôt le matin, pour savoir s’ils pouvaient avoir des médicaments.Pour répondre à cette demande accrue de services pharmaceutiques, il a heureusement pu compter sur l’aide de son épouse, Anne Boulet, et de son pharmacien salarié Daniel Morissette, de même que sur plusieurs de ses assistants techniques en pharmacie (ATP), dont certains habitent dans la zone sinistrée.Toutefois, la tâche a été colossale, puisque les pharmaciens devaient communiquer avec d’autres pharmacies de la région qui sont affiliées au Groupe Jean Coutu pour effectuer un volume important de transferts d’ordonnances.« Nous disions à ces nouveaux clients de revenir dans trois ou quatre heures, le temps d’obtenir les informations pour remplir leurs ordonnances, car les autres pharmacies avaient aussi leur clientèle habituelle à servir », explique Luc Rodrigue.« Nous leur suggérions aussi d’aller dans une autre pharmacie affiliée au Groupe Jean Coutu s’ils voulaient un service plus rapide », ajoute-t-il.Les pharmaciens ont dû également mettre en priorité certains patients aux prises avec des pathologies importantes pour éviter d’aggraver leur état de santé.Pour prévenir une pénurie de médicaments, Luc Rodrigue a décidé de servir une quantité de médicaments équivalente à quatre jours de traitement à tous les patients qui se sont présentés à sa pharmacie, le temps de lui permettre de se réapprovisionner en début de semaine.Il s’est dit touché que des pharmaciens propriétaires, principalement de sa bannière, lui aient offert leur aide et même des médicaments, bien qu’il n’en ait pas eu besoin. Familiprix lui a aussi offert son soutien.Ce n’est pas le cas de la Sécurité civile, dont il déplore le manque de communication.« C’est moi de mon propre chef qui ai pris la peine d’appeler à l’urgence de l’hôpital et de me rendre à la polyvalente pour informer les gens que nous ouvrions le dimanche », donne-t-il comme exemple.Il déplore aussi que certains médias aient laissé entendre qu’il n’y avait plus de pharmacies ouvertes à Lac-Mégantic.Il n’a pas été nécessaire pour lui de prolonger les heures d’ouverture de sa pharmacie pendant la journée de samedi. « Mais c’était intense pendant les heures d’ouverture. »À la fermeture, à 17 heures, son équipe avait rempli 600 à 700 ordonnances de plus qu’au cours d’un samedi normal.Achalandage plus acceptable dès dimancheHabituellement fermé le dimanche, Luc Rodrigue a ouvert sa pharmacie le dimanche après-midi, alors qu’il est habituellement fermé ce jour-là, pour continuer à desservir les patients en provenance de l’hôpital avec une nouvelle ordonnance et ceux de la pharmacie sinistrée, ainsi que pour informer les clients de cette pharmacie qu’un service de distribution de médicaments en provenance d’une pharmacie de Saint-Georges-de-Beauce affiliée au Groupe Jean Coutu avait été mis en place.« Dimanche, c’était plus tranquille. Nous avons orienté les patients vers le service téléphonique de Jean Coutu, car notre but n’était pas de leur soutirer des clients, mais d’aider les gens le plus possible. »À partir de lundi, le volume de la clientèle est revenu à un niveau plus acceptable. Par conséquent, les patients ont pu recommencer à recevoir un service de 30 jours de traitement.Cette pharmacie accepte aussi les bons de la Croix-Rouge pour les produits pharmaceutiques et d’hygiène.Poursuivre sa pratique malgré de vives émotions Citoyen de Lac-Mégantic et pharmacien depuis 1986 à cette pharmacie de la rue Laval (dont il est le propriétaire depuis septembre 2004), Luc Rodrigue a dû composer avec le drame qui affecte la communauté de Lac-Mégantic. Deux de ses employés sont toujours sans nouvelles d’un membre de leur famille porté disparu depuis la catastrophe.« Je ne suis pas touché personnellement et directement. Mais, ça fait tellement longtemps que je travaille avec mes employés. Je les considère un peu comme ma famille. »Il a reçu aussi les confidences de patients qui sont inquiets de la disparition de leurs proches et de l’état de leur maison.Il ne pensait pas vivre une telle catastrophe dans sa carrière.« Je ne souhaite pas revivre une situation pareille dans ma vie de pharmacien. Nous avons vécu l’enfer samedi, mais ce n’est rien par rapport à ce que les gens ont vécu. Pour notre pratique, c’était inimaginable. Je suis fier de mon équipe et de ma clientèle régulière qui a été compréhensive. »

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