Toux chronique persistante et réfractaire: diagnostic par exclusion

1 mois plus tard. La patiente se présente à nouveau en signalant que ses symptômes sont toujours présents. Les éternuements se sont amoindris avec l'ajout de montelukast, mais la toux persiste. À ce stade, je me demande s'il n’y aurait pas une cause oncologique. Je consulte son dossier et constate que tous les examens radiographiques thoraciques et tomodensitométriques (TDM) de la patiente, ainsi que les scanners du corps entier, étaient bons juste après la mastectomie, mais qu'il n'y en a pas eu d'autres depuis. J'appelle l'oncologue de la patiente (aucune référence n'est nécessaire puisque la patiente est déjà suivie par l'oncologue), j'explique la situation et je demande s'il est possible de faire un examen radiographique thoracique et un TDM du thorax pour exclure toute tumeur maligne. L'oncologue accepte et fait passer les deux examens à la patiente. Les résultats sont tous deux négatifs (heureusement!) et l'oncologue exclut toute cause oncologique, mais nous demande, à la patiente et à moi, d'effectuer un suivi auprès du médecin généraliste pour investiguer d'autres causes.Les radiographies et TDM thoracique négatifs excluent également une cause infectieuse. Les causes de reflux acide, infectieuses, oncologiques et allergiques sont maintenant exclues dans mon esprit. Je pense toujours à l'asthme et à l'écoulement post-nasal. J'envoie un nouveau fax au médecin de famille pour lui suggérer d'ajouter 20 mcg d’atrovent DMI à son traitement pour voir si cela peut l'aider. Le généraliste voit mon fax, ne répond pas, mais prend rendez-vous avec la patiente (je le sais car la patiente me l'a dit et j'ai reçu une ordonnance pour un pot neti à utiliser avant le Dymista). Alors que je conseille la patiente, elle me dit que son médecin pense qu'il s'agit d'un problème de sinus, étant donné son type de toux et ses symptômes nasaux et nocturnes.1 autre mois plus tard. Les symptômes ne sont toujours pas soulagés par le pot neti ni le Dymista. La patiente est frustrée. J'envoie un fax à son médecin pour lui demander une référence pour un pneumologue. Il refuse, déclarant qu'il pense qu'il s'agit toujours d'un problème de sinus, et oriente donc la patiente vers un ORL. L'examen ORL et l'endoscopie sont négatifs. À ce stade, j'envoie un fax à l'ORL pour lui suggérer de faire un scan des sinus et de passer de la desloratadine en vente libre (5 mg/jour) au Rupall (10 mg/jour), car il est plus fort, et de suivre la théorie de l'écoulement post-nasal et de la toux induite par les sinus, selon les spéculations du médecin généraliste. L'ORL est d'accord, étant donné que la patiente lutte depuis des mois. L'ORL va plus loin et oriente également la patiente vers un allergologue afin d'exclure tout autre allergène potentiel. Les résultats du scanner des sinus n’indiquent aucun problème.La patiente consulte un allergologue qui exclut tous les allergènes. Nous avons donc exclu le reflux acide, les causes infectieuses, oncologiques, allergiques et l’écoulement post-nasal. La question de l'asthme reste en suspens. J'envoie un nouveau fax au médecin généraliste pour qu'il m'oriente vers un spécialiste des maladies respiratoires, il est d'accord. La patiente se présente pour une exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) et un rendez-vous avec un pneumologue est fixé pour dans quatre mois. La patiente est présentement épuisée et implore de l'aide, ne voulant pas attendre quatre mois de plus! Je suis désemparé. Je lui dis que je vais me documenter pendant le week-end et que je la recontacterai.Après avoir effectué des recherches, je l'appelle la semaine suivante, lui demandant si elle a récemment contracté la COVID-19 et quand sa toux a commencé. Elle déclare avoir eu un test positif à la COVID-19 environ neuf mois auparavant, ce qui correspond vaguement au début de ses symptômes, pour autant qu'elle s'en souvienne. Une ampoule s'allume dans ma tête. Je lui dis que je vais envoyer un fax à son médecin traitant pour qu'il lui fasse une suggestion, et je lui lis la lettre:«Dr X:La patiente souffre toujours d'une toux chronique neurogène suivant une infection de la COVID-19 + il y a environ 9 mois. Elle a depuis passé de nombreux examens radiographiques et TDM (thorax et sinus/tête); tout est beau. Elle a fait l'objet d'une évaluation oncologique, d'un test EFR, d'un test ORL et d'un test allergologique, qui se sont tous révélés négatifs, et est en attente d'un rendez-vous avec le pneumologue.Je soupçonne donc qu'il s'agit d'une toux neurogène post-COVID. Malgré des inhalateurs à dose maximale + Dymista + antihistaminiques + Singulair + pot neti, la toux persiste. Les sirops contre la toux à base de dextrométhorphane ou de codéine en vente libre ne donnent pas de résultats optimaux, ce qui laisse supposer un réflexe de toux hypersensible dû à un dysfonctionnement du tonus vagal engendré par la COVID.D'après mes recherches, la COVID entraîne un dysfonctionnement du tonus vagal par le biais d'une inflammation et d'une modulation immunitaire. Comment cela se produit-il? Le virus COVID pénètre dans l'organisme par l'intermédiaire de l'enzyme ACE-2, présente dans le cerveau et les voies respiratoires. Le virus se lie aux récepteurs, rendant le réflexe de la toux plus sensible dans le système nerveux, ce qui entraîne une inflammation du tonus vagal et son dysfonctionnement, en particulier dans le système nerveux parasympathique QUI N'EST PAS sous contrôle conscient (ce qui explique pourquoi la toux n'est pas contrôlable). Les traitements efficaces sont les suivants:Les agents neuromodulateurs comme la gabapentine et la prégabaline (la gabapentine est mentionnée dans les lignes directrices thoraciques américaines, mais pas la prégabaline, car les études ont été réalisées après la publication des lignes directrices)Les antitussifs à action centrale comme le dextrométhorphane ou la codéine.Ils agissent au niveau central pour désensibiliser les récepteurs du réflexe anormal de la toux, donc la toux neurogène.Je suggère un essai de: a) Lyrica 25mg, 1 bouchon BID x 1 semaine puis 50mg BID x 1 semaine puis 75mg BID x 2 semainesb) Atrovent 20mcg DMI, 2 bouffées QID x 2 à 4 semaines -> anticholinergique mais a également des effets d'action centrale.»Bien entendu, le médecin généraliste accepte immédiatement. Je téléphone à la patiente pour la conseiller. 1 mois plus tard. La toux a pratiquement disparu! La patiente a encore 3 mois à patienter avant son rendez-vous chez le pneumologue...Les leçons à tirer de ce cas:Soyez un clinicien curieux: n'oubliez pas qu'en choisissant cette profession, vous avez fait le serment implicite de continuer à apprendre tout au long de votre carrière. Ce cas est un excellent exemple de la raison pour laquelle c'est crucial.Lorsque les patients se présentent avec une toux chronique, vous devez toujours leur demander s'ils ont des antécédents d'infections par la COVID, comme vous le feriez pour n'importe quel autre problème de santé chronique.Il y aura toujours des cas de patients qui vous mettront au défi. Retournez à la base: Il est important d'avoir une approche structurée et un plan chronologique à l'esprit pour clarifier les choses et de suivre un cheminement de pensée méthodique.L'information, c'est le savoir, et le savoir, c'est le pouvoir. Les cliniciens s'écoutent les uns les autres d'abord en fonction de leurs titres et de leurs spécialités, mais nous nous appuierons toujours sur ceux qui possèdent le plus d'informations et de connaissances. Pharmaciens, médecins de famille, spécialistes, nous sommes tous là pour le patient, qui doit toujours être au centre de nos préoccupations. Si en lisant cette histoire de cas, vous avez pensé à un moment ou à un autre: «Restez à votre place», «Vous n'êtes pas médecin», «Vous avez juste eu de la chance» ou toute autre pensée négative, interrogez-vous sur vos intentions dans votre pratique et voyez si vous placez vos patients au-dessus de vos propres insécurités et de vos complexes d'infériorité.Une partie du travail de clinicien consiste à rester humble face à ses patients et collègues et à apprendre constamment d'eux. Nous sommes une équipe.En Ontario (où j'exerce), l'ensemble du système de santé connaît des problèmes importants et critiques, qui sont absolument consternants et préoccupants pour les soins aux patients, qu'il s'agisse des longs délais d'attente pour accéder aux spécialistes et à l'imagerie diagnostique, du manque d'accès aux soins de première ligne ou de l'absence d'optimisation du champ d'action de praticiens exceptionnellement qualifiés tels que les pharmaciens.Pour un cas comme celui-ci, où sont mes honoraires de consultation? Que dois-je facturer et comment? Le gouvernement de l'Ontario doit nous considérer sous un jour radicalement différent, qui place le patient au premier plan, et qui met en pratique notre formation et notre expertise.

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