Tout sur le traitement de la migraine avec les antagonistes du CGRP

L’introduction des inhibiteurs des récepteurs du peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) représente «un point d’inflexion dans le traitement de la migraine», affirme le Dr David Dodick, professeur émérite à la Mayo Clinic et coprésident de l’Atria Academy of Science and Medicine à New York.La contribution de ces nouveaux agents dans ce domaine thérapeutique est si importante que la Société canadienne de la douleur a organisé une conférence spéciale à l’intention des médecins pour présenter certains de ces traitements. Le Dr Dodick était l’un des intervenants, aux côtés du directeur de la clinique des céphalées de l’Université de la Colombie-Britannique, le Dr Sian Spacey, également professeur agrégé de clinique à l’UBC.Quand utiliser les CGRP?Quatre anticorps monoclonaux du peptide lié au gène de la calcitonine (AcM CGRP) sont disponibles au Canada: l'érénumab, le frémanézumab, le galcanézumab et l'eptinézumab. Ils sont administrés sous forme d’injections mensuelles, à l’exception de l’eptinézumab, qui est administré par perfusion.Selon le Dr Dodick, si l’on considère le nombre de patients à traiter au regard des résultats des essais randomisés, les AcM CGRP ne semblent pas meilleurs que les autres thérapies. C’est en examinant le profil des effets indésirables que l’on voit la différence.Une méta-analyse de 2021 comparant le topiramate aux AcM CGRP a montré que si les deux traitements sont similaires en termes d’efficacité chez les personnes souffrant de migraine épisodique, ils diffèrent significativement en termes de risque de nuisance. Le topiramate était associé à un risque plus élevé d’effets indésirables liés à la cognition et à la douleur. Le résultat? «Les patients traités par les anticorps anti-CGRP ont 19,2 fois plus de chances d’être aidés que ceux traités par le topiramate», résume le Dr Dodick. Les résultats de la méta-analyse ont été publiés dans la revue CNS Drugs.Un autre essai contrôlé randomisé portant sur 777 participants a comparé l’érénumab au topiramate. Les patients randomisés pour recevoir l’érénumab ont non seulement obtenu un taux de réponse significativement plus élevé concernant le nombre de jours de migraine par mois par rapport au topiramate (55,4% contre 31,2% avec une réduction de plus de 50% des jours de migraine), mais ils ont aussi été moins nombreux à abandonner l’érénumab que le topiramate (10,6% contre 38,9%) au cours des trois premiers mois. Les résultats ont été publiés dans la revue Cephalalgia, en 2022.«Les patients sont probablement en mesure de prendre ces médicaments plus longtemps», a signalé le Dr Dodick. «Et, comme vous le savez, plus les patients peuvent rester longtemps sous traitement, plus ils ont de chances d’être aidés.»Les médicaments sont aussi efficaces dans le monde réel que lors des essais. Le Dr Dodick a présenté une sélection d’études réalisées dans le monde entier, qui montrent que 42% à 66% des patients ont bénéficié d’une réduction de 50% de leurs maux de tête mensuels, et que 27% à 35% ont bénéficié d’une réduction de 75% de leurs maux de tête mensuels. Les taux d’effets indésirables étaient compris entre 22% et 70%, la constipation étant la plus fréquente.Comme d’autres médicaments contre la migraine, «ils ne fonctionnent pas chez tous les patients et ne sont pas tolérés par tous», a souligné le médecin.Une étude réalisée en 2020 et publiée dans Neurological Research and Practice a montré que l’érénumab, le frémanézumab, le galcanézumab et l’eptinézumab présentaient tous une efficacité similaire. Contrairement aux autres médicaments contre la migraine, ils n’ont pas besoin d’être ajustés et «ils agissent tous en une semaine», a mentionné le Dr Dodick.Pour quels patients?Les données recueillies après leur mise en marché ont fourni quelques indices sur les personnes susceptibles de répondre le mieux aux AcM CGRP, a indiqué le Dr Dodick. Le principal indice est si le patient répond déjà aux triptans. Le médecin a spécifié que ces patients-là pourraient bénéficier d’une diminution de 75% du nombre de jours de migraine par mois. Les personnes souffrant de migraines épisodiques sont également plus susceptibles de répondre au traitement. Le Dr Dodick a souligné que les personnes présentant les symptômes classiques de la migraine, tels qu’une douleur unilatérale et un nombre réduit de migraines mensuelles, peuvent aussi bénéficier des AcM CGRP.Des études suggèrent que les personnes souffrant d’allodynie pendant une crise de migraine peuvent également en bénéficier. Il s’agit des symptômes typiques de l’allodynie, soit lorsqu'on ressent une douleur après une simulation normalement indolore. Par exemple, soudainement, on ne supporte plus de porter une casquette ou d'avoir une queue de cheval.En revanche, une étude annoncée lors des sessions scientifiques de l’American Academy of Neurology en 2023 suggère que les personnes souffrant d’allodynie entre les crises de migraine sont moins susceptibles de répondre aux AcM CGRP que les personnes n’en souffrant pas.À lire aussi: Les femmes sont plus touchées par la migraine et continuent d'être stigmatiséesLes personnes atteintes de maladies psychiatriques, de migraines chroniques et de céphalées dues à la surconsommation de médicaments font également partie des personnes qui ne répondent pas au traitement. Celles ne réagissant pas à d’autres médicaments préventifs ont également tendance à ne pas réagir aux AcM CGRP.Les AcM CGRP peuvent être utilisés avec d’autres médicaments. «Si vous avez du mal à convaincre les patients de cesser de prendre leurs traitements actifs, les agents restent efficaces même s’ils les prennent encore», a déclaré le Dr Dodick. Les AcM CGRP semblent également pouvoir être utilisés en toute sécurité avec l’onabotulinumtoxinA (Botox).Quid des médicaments à base de CGRP administrés par voie orale?Il existe actuellement deux antagonistes du CGRP administrés par voie orale approuvés par Santé Canada: l’ubrogépant et l’atogépant. Ils peuvent être utilisés à la fois pour traiter les migraines aiguës et comme médicaments préventifs.Même si les personnes n’ont pas répondu aux triptans auparavant, elles peuvent quand même répondre aux gépants. Une analyse rétrospective de deux grands essais cliniques randomisés sur l’ubrogépant (ACHIEVE I et II) a montré que, comparé à un placebo, il était aussi efficace et bien toléré, quelle que soit la réponse antérieure aux triptans. Au bout de deux heures, les patients du groupe ubrogépant étaient significativement plus susceptibles de ne pas ressentir de douleur, d’être soulagés de la douleur et de ne plus souffrir du «symptôme migraineux le plus gênant» par rapport aux patients sous placebo. L’analyse a été publiée dans Headache, en 2021. Une autre analyse rétrospective des mêmes essais, publiée en 2021 dans Cephalalgia, a montré que l’ubrogépant soulage la douleur au bout de deux heures et que ses effets peuvent durer jusqu’à 48 heures.Les gépants peuvent être pris avec d’autres médicaments. Une autre analyse rétrospective des essais ACHIEVE a montré que l’ubrogépant restait efficace et bien toléré chez les personnes prenant des médicaments préventifs contre les migraines, y compris l’onabotulinumtoxinA. Ces résultats ont été publiés en 2022 dans la revue Advances in Therapy.Les effets indésirables des gépants sont tous gastro-intestinaux, la constipation et les nausées étant fréquemment signalées. Dans un essai clinique randomisé sur l’atogépant publié en 2021 dans The New England Journal of Medicine, 6,9% à 7,7% des 659 personnes randomisées dans le groupe atogépant ont souffert de constipation et 4,4% à 61 % ont signalé des nausées, avec des variations en fonction de la dose. Les personnes du groupe atogépant ont eu significativement moins de jours de migraine par mois que celles du groupe placebo.Qui répondra aux gépants?Selon un essai clinique randomisé comparant l’ubrogépant aux traitements habituels chez 808 patients, les gépants semblent mieux fonctionner lorsqu’ils sont pris quand la douleur est légère. L’absence de douleur au bout de deux heures a été constatée chez 47,1% des personnes lorsque l’ubrogépant (50 mg) était pris durant cette phase, et chez 23,6% des personnes lorsqu’il était pris alors que la douleur était modérée ou sévère. Les résultats ont été publiés dans la revue Neurology, en 2022.Le Dr Dodick et ses collègues ont interrogé 106 patients de leur clinique prenant de l’ubrogépant, la majorité d’entre eux souffrant de migraines chroniques. Un tiers se sont déclarés satisfaits du traitement. Les personnes qui ont le mieux répondu à l’ubrogépant étaient celles qui souffraient de migraine avec aura et celles qui avaient essayé d’autres médicaments par le passé. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Headache, en 2021.À lire aussi: Migraine: les triptans augmentent-ils le risque d’AVC ou d’infarctus du myocarde?«Le facteur prédictif le plus puissant de la réponse à un gépant est la réponse à un anticorps monoclonal», a souligné le Dr Dodick.Les données recueillies après la mise sur le marché suggèrent que les anticorps monoclonaux du peptide lié au gène de la calcitonine peuvent augmenter le risque d’hypertension. Les essais cliniques sur les gépants n’ont pas montré d’augmentation significative du risque d’hypertension par rapport aux témoins. «Si vous prenez un million de patients, vous commencez à voir des choses», a signalé le médecin.L’alopécie a également été signalée comme un effet indésirable. Le CGRP contrôle la microcirculation qui contrôle les follicules pileux. Le Dr Dodick suggère aux médecins d’interroger leurs patients à ce sujet, «car il se peut qu’ils remarquent des cheveux sur leur brosse sans faire le lien».Les inhibiteurs du CGRP pendant la grossesseÉtant donné que de nombreux médicaments contre la migraine peuvent nuire au fœtus, «il est vraiment important de parler à nos patientes de la planification de la grossesse», a recommandé le Dr Spacey.La recommandation actuelle est de ne pas prendre d’AcM CGRP ni de gépants pendant la grossesse, et d’arrêter de prendre ces médicaments cinq mois avant une grossesse planifiée. Même si la demi-vie des gépants est nettement plus courte que celle des AcM CGRP, aucun essai clinique n'a encore étudié si les femmes enceintes pouvaient arrêter les gépants moins de cinq mois avant une grossesse planifiée. Certaines grossesses non planifiées dans les essais cliniques suggèrent néanmoins que les personnes prenant ces médicaments ont des taux de fausses couches et de malformations congénitales similaires à ceux de la population générale, a mentionné le Dr Spacey.Les femmes souffrant de migraine sans aura peuvent également prendre des contraceptifs oraux. «Cependant, certaines femmes verront leurs migraines s’aggraver avec la contraception hormonale», a signalé le Dr Spacey. Si les migraines s’aggravent dans les trois mois suivant la prise de contraceptifs oraux, l’aggravation est probablement due aux contraceptifs. Les cliniciens devront trouver un équilibre entre le risque d’accident vasculaire cérébral et la nécessité de prendre des contraceptifs oraux. Les femmes qui souffrent de migraine avec aura ne devraient pas prendre de contraceptifs oraux à base d’œstrogènes, selon les directives de l’Académie américaine de neurologie et d’autres organismes.

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