Suicide: «Personne ne l'a sauvé»

Ce texte a été écrit par Alexane Ricard en 2019. L'inspiration lui est venue après la lecture de cet article: «Suicide: toutes les 40 secondes, une personne met fin à ses jours, dit l'OMS».***Mon père commençait une cirrhose. Début d’un ultimatum imprévu: il devait arrêter de boire. Son corps n’en pouvait tout simplement plus. Mais l’alcoolisme, ça fait des ravages pendant le sevrage. Au cours des mois précédant son suicide, son état reposait sur un équilibre très fragile. Une goutte d’alcool rendait son foie gravement malade, nécessitant ainsi une hospitalisation à chaque fois qu’il reconsommait. Donc essayer, ou juste diminuer, dans ces cas-là, ce n’est pas assez. Il n’avait pas le droit aux rechutes. Et il avait ce sentiment de ne pas pouvoir y arriver. L’hôpital avait été informé à maintes reprises qu’on avait plusieurs raisons de s’inquiéter pour sa santé mentale, mais mon père avait honte. Incroyablement honte. Honte de lui, de ce qu’il nous cachait, de ce qu’il buvait, de sa difficulté à se sevrer, de ce qu’il nous faisait endurer et de sa tristesse dans toute sa maladresse. Tellement honte que lorsqu’un intervenant lui demandait comment ça allait, il disait que personne ne devait s’inquiéter pour lui, il allait y arriver.Mais un alcoolique, c’est bon pour mentir.Car un alcoolique, c’est fait pour mentir.Donc, un alcoolique parvient à partir sans avertir. Trop gêné d’en parler, mon père préférait se faufiler que de se confier. Et personne n’a cherché à creuser. Pour ça, je vais toujours en vouloir au système de santé. À chaque fois, l’hôpital a retourné mon père à la maison lorsque son problème de foie était réglé, sans s’attarder à sa condition psychologique alors qu’on les implorait de le faire. Quatre fois. Quatre fois j’ai amené mon père à l’hôpital au cours du mois précédant son suicide, en sueur et en pleurs, et les quatre fois, personne n’a cru bon de s’y attarder plus en profondeur. Personne ne l’a sauvé. Personne n’a su en faire assez. Le suicide frappe, et fort. Il laisse des bobos, trop gros. On en parle, mais pas assez. On intervient plus qu’avant. Mais ce n'est absolument pas suffisant. Au Québec, en 2019, il y a encore 3 suicides et 80 tentatives à chaque jour*. [ndlr selon le plus récent rapport de l’INSPQ sur les comportements suicidaires, on a recensé 4854 visites aux urgences pour tentative de suicide en 2023 et plus de 1100 suicides en 2022, soit encore 3 suicides par jour.] C’est épouvantable. Épouvantablement trop.En tant qu’étudiante en pharmacie, je fais moi-même partie du système de santé. Pourtant, je ne l’ai pas sauvé non plus. Pour ça, je suis moi-même à blâmer. #culpabilitéTout comme Janie Houle du département de psychologie à l’UQAM, je crois en effet qu’il y a «un manque de formation de la part des professionnels sur la manière d’aborder les questions de santé mentale, le suicide, et quoi faire ensuite. C’est vraiment quelque chose à travailler: non seulement de former les professionnels à mieux détecter, mais ensuite de mettre en place les ressources nécessaires pour assurer une bonne prise en charge».••| Papa, je souhaite m’impliquer pour donner un sens à ton départ. Je veux créer du beau autour de ce gros dégât et remplir ce grand vide d’un sentiment d’accomplissement. Je te l’ai dit quand tu es parti, et je te le répète aujourd’hui: «J’espère du plus profond de mon cœur qu’une bonne journée tu me regarderas aller d’où tu es, et que tu souhaiteras être encore en bas pour crier au monde entier que c’était toi mon père et que t’en étais vraiment fier.» l••P.S.: Partagez l’amour autour de vous et dites à vos proches que vous les aimez. D’un coup que ça les ferait changer d’idée au cours d’une mauvaise journée. Et arrêtez de penser que ce n’est pas à vous d’agir. On est tous aussi mal outillés les uns que les autres pour intervenir auprès de quelqu’un en détresse. Et faire l’autruche en espérant qu’une personne mieux formée va le prendre en charge adéquatement, c’est prendre le risque qu’il se faufile. Cela dit, merci. Et surtout, le message à retenir et à faire passer: Vous. Êtes. Importants.Alexane RicardSi vous ou l’un de vos proches êtes en détresse, appelez le 1 866 APPELLE [277-3553] ou visitez suicide.ca.

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