Stratégies pour limiter la polypharmacie en psychiatrie

Si la définition de la «polypharmacie» est tout sauf facile, de nombreux pharmaciens sont parfaitement conscients de sa prévalence, en particulier dans le domaine de la psychiatrie. Selon une enquête nationale sur les soins ambulatoires menée aux États-Unis, près de 60% des patients interrogés se sont vus prescrire deux médicaments psychotropes ou plus en 2005, ce qui représente une forte augmentation par rapport aux 42,6% observés en 1996. De même, le pourcentage de patients à qui l'on a prescrit trois médicaments psychotropes ou plus est passé de 16,9% en 1996 à 33,2% en 2005.Dans le cadre de cet article, nous considérerons la polypharmacie comme l'utilisation de deux médicaments ou plus pour traiter la même affection psychiatrique. Certaines combinaisons sont étayées par des données probantes, comme l'ajout de certains antipsychotiques atypiques à un antidépresseur pour le traitement d'un trouble dépressif majeur. Cependant, de nombreuses autres combinaisons ne sont pas solidement fondées sur des preuves et peuvent même exposer les patients à des risques d'interactions médicamenteuses et d'effets secondaires supplémentaires pour un bénéfice clinique incertain1,2. Dans ce contexte, pourquoi la polypharmacie en psychiatrie est-elle si fréquente?Polypharmacie rationnelle ou irrationnelleLa polypharmacie en psychiatrie peut être conceptualisée comme «rationnelle» et «irrationnelle». La polypharmacie rationnelle implique l'utilisation de plusieurs médicaments dans le cadre de stratégies d'augmentation ou de combinaison fondées sur des données probantes, comme l'association d'un antidépresseur et d'un antipsychotique atypique pour le traitement d'un trouble dépressif majeur. Cela se fait souvent lorsque le patient ne répond que partiellement à la monothérapie, dans l'espoir d'obtenir une résolution plus complète et plus fiable des symptômes. Il existe de nombreux autres exemples de ce type en psychiatrie, les combinaisons s'étant avérées sûres et efficaces lors d'essais cliniques et de recherches1-6.À lire aussi: Optimiser les médicaments et réduire la polypharmacie grâce aux bilans de médicationLe recours à la polypharmacie peut être particulièrement répandu en psychiatrie étant donné le taux d'efficacité malheureusement faible de nombreux médicaments de première intention. Par exemple, 63,2% des patients ayant participé à l'essai STAR*D n'ont pas atteint leur rémission après avoir reçu du citalopram en monothérapie pour traiter un trouble dépressif majeur. De même, 23,7% des patients ont interrompu leur traitement antipsychotique de première ou de deuxième génération dans le cadre de l'essai CATIE en raison d'un manque d'efficacité dans le traitement de la schizophrénie. Avec des pourcentages aussi élevés de patients ne répondant pas à la monothérapie, il est facile de comprendre pourquoi les cliniciens se tournent souvent vers la polypharmacie dans l'espoir d'aider les patients à soulager leurs symptômes, en particulier dans les cas réfractaires au traitement.Malheureusement, cela peut parfois conduire à une polypharmacie irrationnelle, ou à l'utilisation de plusieurs médicaments psychotropes redondants, antagonistes ou délétères. De nombreux pharmaciens se souviennent sûrement d’un cas de ce type dans leur pratique. Un exemple classique est l'utilisation de plusieurs benzodiazépines différentes, ce qui non seulement ne présente aucun avantage du point de vue de l'efficacité, mais peut potentiellement conduire à une sédation additive et à des risques accrus de chutes et de surdose. D'autres exemples de polypharmacie irrationnelle peuvent initialement sembler rationnels, comme l'ajout d'une faible dose de quétiapine pour l'insomnie à un traitement antipsychotique déjà bien établi. Mais cette association présente en fin de compte le même risque accru d'effets indésirables et le même manque de preuves irréfutables que dans le cas de la polypharmacie irrationnelle. Il incombe au pharmacien d'identifier la polypharmacie irrationnelle et de s'efforcer de «rationaliser» le régime médicamenteux du patient.Rationalisation de la polypharmaciePuis-je simplifier le schéma thérapeutique? C'est la question que tout pharmacien devrait se poser lorsqu'un patient se présente à la pharmacie avec une liste à rallonge de médicaments psychotropes. Tous les médicaments sont-ils indiqués? Les combinaisons utilisées sont-elles fondées sur des données probantes ou recommandées par les lignes directrices? La condition d'origine est-elle toujours présente? Si la réponse à l'une de ces questions est «non», un examen plus approfondi peut être justifié, et la déprescription du médicament envisagée, en collaboration avec le patient et l'équipe soignante.À lire aussi: Une nouvelle classe d’antipsychotiques pour traiter la schizophrénieRecourir à certains médicaments à indications multiples peut aussi s'avérer bénéfique. En d'autres termes, il s'agit de déterminer s'il est possible de «faire d'une pierre deux coups». Par exemple, dans le cas où la quétiapine est ajoutée pour traiter l'insomnie chez un patient ayant un traitement antipsychotique bien établi, il pourrait être intéressant d'optimiser la quétiapine aux doses antipsychotiques afin d'établir une monothérapie à la quétiapine à la place de la bithérapie antipsychotique existante. De même, l'utilisation de la prégabaline ou de la duloxétine peut être bénéfique pour les patients souffrant de trouble anxieux généralisé et de douleurs neuropathiques comorbides7-9.Il est important de se rappeler que la polypharmacie n'accélère pas la réponse thérapeutique. Avant de l’envisager, mieux vaut examiner de manière approfondie l'existence d'essais efficaces de monothérapie, à des doses et des durées adéquates. L'utilisation de mesures objectives des résultats, telles que des échelles d'évaluation validées, peut également s'avérer utile. Souvent, le patient peut être le dernier à reconnaître subjectivement l'amélioration de ses symptômes, alors que les échelles d'évaluation objectives indiquent des bénéfices thérapeutiques. Mettre en place des essais de monothérapie adéquats peut contribuer à limiter le recours à la polypharmacie.RésuméLa polypharmacie en psychiatrie est monnaie courante. L'utilisation d'une polypharmacie rationnelle fondée sur des preuves peut être bénéfique dans certains scénarios cliniques. Cependant, il est important que les pharmaciens identifient la polypharmacie irrationnelle en psychiatrie et qu'ils impliquent activement le patient et l'équipe soignante dans la rationalisation du régime médicamenteux afin d'optimiser les résultats en termes d'efficacité et d'innocuité pour le patient.Sunny Wang est pharmacien clinicien et coordinateur de la formation en pharmacie au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) de Toronto. Il travaille actuellement dans l'unité de soins intensifs et de crise, qui accueille une population variée de patients souffrant de troubles psychiatriques aigus et de troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives. En plus de son rôle de coordinateur de l'éducation à CAMH, Sunny Wang est impliqué comme instructeur clinique à la Faculté de pharmacie Leslie Dan et fait partie du Hub d'experts pour le programme de médecine des addictions et d'interventions psychosociales dans le cadre du projet ECHO.

Stratégies pour limiter la polypharmacie en psychiatrie

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes