Soins virtuels en médecine spécialisée: des promesses à peaufiner

En plus de la télédermatologie, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) compte, dans un futur plus ou moins proche, ajouter à sa plateforme de soins virtuels des services dans plusieurs spécialités médicales. D'ici là, le MSSS a demandé à l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) de réaliser un «état des connaissances (en la matière) pour sept domaines de la médecine spécialisée», à savoir la chirurgie générale, l’hématologie et l’oncologie, la médecine interne, la neurologie, la pédiatrie, la pneumologie et la psychiatrie. Ces travaux, qui ont duré 18 mois, ont conduit à «l’identification de plusieurs trajectoires de soins pour lesquelles l’utilisation des soins virtuels pourrait soutenir ou optimiser la pratique clinique», indique Audrey Magron, la coordinatrice scientifique du projet. Elle précise toutefois que les rapports de synthèse récemment publiés sur le site web de l’INESSS ne formulent pas de recommandations. «On dresse simplement des constats pour chacune des spécialités en se basant sur l’analyse des revues systématiques et des guides de pratique clinique dans des pays comparables», l’objectif final étant de baliser l’usage des soins virtuels en médecine spécialisée au Québec. Téléconsultation, télésurveillance, téléassistance, télé-éducation, téléintervention, les multiples modalités de soins virtuels ont été étudiées en s’intéressant à plusieurs paramètres: l’efficacité des soins et services, l’accès équitable aux soins, la continuité des soins, le soutien au travail interdisciplinaire, la sécurité de l’usager et l’innocuité des soins virtuels, ainsi que la satisfaction des prestataires de soins et des usagers. «Efficacité clinique équivalente ou supérieure» Pour les sept spécialités étudiées, les résultats convergent vers les mêmes conclusions. Dans l’ensemble, «les soins virtuels ont généralement une efficacité clinique équivalente ou supérieure à celle des soins usuels pour les trajectoires identifiées», souligne la fiche de synthèse de l’INESSS qui résume les principaux constats émis par ses professionnels scientifiques. Si l’innocuité et la sécurité des usagers ont été peu répertoriées dans la littérature, les données recensées montrent tout de même que «les soins virtuels semblent généralement sécuritaires». Ils contribuent également à un meilleur accès aux soins spécialisés et favorisent une meilleure continuité des soins «grâce à l’amélioration de la communication et du soutien entre les membres des équipes interdisciplinaires». Satisfaction des patients «généralement élevée» Du point de vue des patients, la satisfaction est «généralement élevée envers plusieurs modalités de soins virtuels, et ce, pour les sept spécialités retenues. De plus, elle est souvent comparable ou parfois supérieure à celle associée aux consultations en personne pour certaines spécialités», notamment en psychiatrie et en pédiatrie. Quant aux prestataires de soins, la littérature révèle que leur satisfaction est «généralement élevée ou comparable à celle liée aux soins usuels, mais seulement pour certaines modalités de soins virtuels», comme la télésurveillance, la téléassistance ou la télé-éducation. Les professionnels de la santé apportent néanmoins des bémols, en soulignant les défis à relever pour répondre rapidement aux attentes des usagers, certains craignant une augmentation de leur charge de travail. À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), qui n’a pas été associée aux travaux de l’INESSS, on voit ces rapports d’un bon œil. «Tout ce qui peut accroître l’accès des patients aux soins de spécialité est positif. On est très ouvert à ce que la télémédecine fasse partie de l’éventail des solutions. Si on peut éviter des visites à l’hôpital pour des résultats d’examen ou des suivis postopératoires, c’est gagnant-gagnant, pour les patients, les cliniciens et le réseau de la santé dans son ensemble», déclare le directeur des affaires professionnelles de la Fédération, le Dr Rafik Ghali. Il mentionne la «success story» de la télédermatologie, disponible sur la plateforme des soins virtuels du MSSS depuis juillet 2022, qui démontre, selon lui, «tout l’avenir» des soins virtuels en médecine. L’achalandage est au-dessus des espérances du Ministère et des dermatologues», souligne-t-il. À lire aussi: Santé numérique: les Canadiens en veulent plus Cela dit, le Dr Ghali souligne qu’il reste des enjeux à résoudre en termes d’opérationnalisation, concernant notamment la confidentialité et la sécurité des données échangées, tout comme il reste des balises à poser. «On n'en est qu’au début. On va découvrir des angles morts au fur et à mesure et le Collège des médecins va devoir encadrer cette pratique. Est-ce qu’un médecin peut suivre un patient pendant deux ans en télémédecine?» se demande par exemple le dirigeant de la FMSQ. Grand potentiel en psychiatrie Si les travaux de l’INESSS ne comparent pas ni n’évaluent la pertinence et l’efficience des soins virtuels entre les sept spécialités médicales analysées, le professeur à HEC Montréal, Guy Paré, affirme néanmoins qu’ils sont spécialement adaptés à la psychiatrie. «Que ce soit pour le diagnostic, le traitement et le suivi, la télémédecine est assez propice aux trois phases du continuum de soins en santé mentale», observe le titulaire de la Chaire de recherche en santé numérique qui a participé aux travaux de l’Institut comme «lecteur externe» des fiches consacrées à la psychiatrie et la pneumologie. «Si on souffre d’anxiété ou de dépression, on a besoin d’une intervention rapide. En ce sens, la télémédecine peut significativement améliorer l’accès aux soins», ajoute-t-il en pensant aux personnes en régions éloignées, où ces services sont rarement disponibles, ainsi qu’aux personnes incarcérées pour lesquelles «les télésoins peuvent être utiles pour l’évaluation de leur état psychologique et accélérer leur éventuel traitement». Dès lors que les consultations ou les soins nécessitent un examen physique, comme en oncologie ou en orthopédie, les soins virtuels ne sont évidemment pas appropriés. En revanche, ils le sont tout particulièrement pour le suivi de maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension ou la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC). Le professeur Paré a ainsi étudié la télésurveillance appliquée à la MPOC et à l’asthme. «En termes d’efficacité clinique, c’est concluant», indique le chercheur qui a constaté une meilleure prise en charge de ces deux conditions chroniques, avec une réduction de l’anxiété des patients. «Savoir qu’on est monitoré en continu, ça rassure et apporte un sentiment de sécurité au patient qui voit sa qualité de vie impactée positivement.» De plus, grâce à un suivi plus serré à distance, les patients télésurveillés se présentent moins à l’urgence. Ils sont également hospitalisés moins souvent et pour une plus courte durée que ceux qui bénéficient d’un suivi traditionnel à domicile. En termes de coûts, «le gain économique net est de 15% environ», signale l’expert qui, fort de ces constats, s’apprête à lancer un projet pilote en collaboration avec les CISSS de Chaudière-Appalaches, de la Gaspésie et de l’Outaouais qui consistera à télésurveiller des patients insuffisants cardiaques à l’aide d’objets connectés. «La télésurveillance a un potentiel énorme auprès d’une population vieillissante comme la nôtre», insiste-t-il. En neurologie, «la téléconsultation adaptée à la réadaptation est l’intervention qui a été la plus étudiée dans toutes les trajectoires de soins examinées», notent les analystes de l’INESSS. La téléréadaptation pour des troubles cognitifs ou des troubles moteurs légers consécutifs à un accident vasculaire cérébral fonctionne «assez bien», confirme le directeur du service de neurologie du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, le Dr Christian Botci. «Les orthophonistes, les neuropsychologues et les ergothérapeutes y ont régulièrement recours en Estrie», signale le clinicien, lecteur externe de la fiche de l’INESSS dédiée à sa spécialité. À lire aussi: Téléconsultation à l’étranger: êtes-vous couvert par l’ACPM? Prévenir les inégalités d’accès En théorie, le Dr Botci considère qu’il pourrait faire des examens neurologiques ou des suivis de la maladie de Parkinson en téléconsultation. Sauf qu’il se heurte à une réalité. «Nos patients âgés sont à l’aise avec FaceTime ou Facebook Messenger, mais avec la plateforme Teams du MSSS, il y a une barrière à l’accès. La procédure de connexion est trop complexe; il y a trop d’étapes à franchir», a-t-il constaté. Résultat, il dit utiliser une «super technologie», qui a fait ses preuves: le téléphone. «C’est pratique, tout le monde sait s’en servir et les patients sont très contents. Ça leur enlève deux heures de route (pour une consultation banale).» Les inégalités d’accès aux soins virtuels ne doivent pas être ignorées ou sous-estimées, souligne Guy Paré. «Il faut prendre en considération la fracture numérique. On ne peut pas avoir deux systèmes avec une population nantie bien équipée et bien connectée et une population moins favorisée qui n’a pas ces privilèges», observe le professeur d’HEC en ajoutant que les déficients visuels ou cognitifs ne doivent pas non plus être mis de côté. «Les personnes très âgées notamment, qui ont le plus besoin de soins, ont de la misère avec Teams. Il faut en tenir compte.»

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