Soins palliatifs: un protocole «de dernier recours» administré incorrectement

Destiné aux patients en soins palliatifs et de fin de vie, le protocole de détresse respiratoire (PDR) répond à des critères d’administration précis, définis par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Or, dans la moitié des cas, ces critères ne sont pas respectés, révèle une étude menée par la professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, Diane Tapp. «Soit les personnes étaient inconscientes, soit la situation clinique ne nécessitait pas le PDR», indique la chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Selon le protocole médical national de l’INESSS, les médecins et les infirmières ne doivent administrer le PDR qu’en situation d’urgence, lorsque le patient est en détresse aiguë et que celle-ci est liée à des difficultés respiratoires importantes. Il doit être en état de panique (terreur, agitation ou anxiété intense) et présenter l’une des trois manifestations cliniques suivantes: détresse respiratoire majeure et subite (difficulté intolérable et constante au repos avec recherche constante d’air, tachypnée, tirage, embarras bronchique sévère); douleur intolérable soudaine ou en augmentation rapide; ou hémorragie massive. Le patient doit en outre être conscient. Utilisé au Québec depuis plus de 40 ans, et nulle part ailleurs au Canada, le PDR consiste à administrer simultanément un opioïde, un anticholinergique et un sédatif afin d’induire une sédation et de diminuer rapidement les symptômes aigus du patient. Il peut être prescrit par un médecin ou par une infirmière dans le cadre d’une ordonnance collective. Pour des clientèles fragilisées, le non-respect des critères fixés par l’INESSS peut affecter la qualité de la fin de vie, souligne Diane Tapp. «Après un PDR, certains patients se réveillent, d’autres pas. Pour ceux-là, ce serait arrivé d’une façon ou d’une autre, plus ou moins rapidement. Mais ça reste une issue brutale, drastique. Souvent, les familles sont dévastées et ne comprennent pas pourquoi leur proche a été sédationné», témoigne l’infirmière qui a elle-même vécu cette situation durant sa pratique. L’étude qu’elle a dirigée (consultable en bas de page), récemment publiée dans la revue scientifique L’infirmière Clinicienne, a analysé la prévalence, la fréquence et la conformité de l’administration du protocole de détresse respiratoire dans différents milieux de soins situés à Québec: unité de soins intensifs, unité de soins palliatifs, centre hospitalier, CHSLD et maison de soins palliatifs. En tout, les chercheuses ont examiné les dossiers médicaux de 488 patients décédés entre avril 2016 et septembre 2019. Les personnes âgées incluses étaient majoritairement des femmes (55 %) et l’âge moyen au moment du décès était de 81 ans. Davantage de non-conformité aux soins intensifs Au total, 16% des patients étudiés ont reçu au moins un PDR, cette prévalence variant d’un milieu à un autre. À l’unité de soins intensifs, 37% des personnes âgées en ont reçu au moins un comparativement à 22,6% en CHSLD et à 1,9 % à la maison de soins palliatifs. À lire aussi: AMM: Les médecins peuvent désormais préparer eux-mêmes les seringues Globalement, 50 % des administrations du PDR étaient non conformes, car le patient était inconscient (13 %) et/ou parce qu’il ne présentait pas la situation clinique requise (47 %). Dans le détail, 66 % des protocoles de détresse respiratoire administrés à l’unité des soins intensifs, 48 % de ceux administrés en CHSLD et 37% de ceux administrés aux soins palliatifs étaient inadéquats. Ce chiffre tombant à zéro à la maison de soins palliatifs. Des résultats qui qui corroborent ceux d’autres études menées par le passé en Estrie et à Montréal. Parmi les raisons non prévues par le protocole de l’INESSS, il y avait entre autres des PDR administrés à la demande de la famille ou pour assurer le confort lors de l’extubation ou du retrait du respirateur, souligne l’étude. «Souvent, c’est une solution de facilité pour les médecins qui en ont beaucoup à gérer. Ce n’est pas une critique, mais une réalité», observe Diane Tapp. Quant aux infirmières, «elles disent qu’elles le prescrivent, car elles n’ont pas d’alternatives pour soulager le patient. Elles font ça par humanité, à défaut d’autre chose». Contacté par ProfessionSanté.ca au sujet des résultats de cette étude, l’INESSS a indiqué ne pas faire de suivi concernant son protocole médical national. «Il revient plutôt au Collège des médecins d’assurer le suivi du respect de l’application adéquate des ordonnances collectives et protocoles associés», explique par courriel une porte-parole de l’Institut. À lire aussi: Et si on osait la caresse dans le soin aux plus vulnérables? De son côté, le Collège des médecins rappelle que «le Règlement sur les normes relatives aux ordonnances faites par un médecin prévoit l’obligation de faire référence intégralement aux protocoles publiés par l’INESSS lorsque l’ordonnance porte sur une condition clinique visée par un tel protocole. Il est interdit de les modifier. Mais, le protocole de l’INESSS est obligatoire uniquement si le protocole relève d’une ordonnance collective, pas pour une ordonnance individuelle», explique la porte-parole du Collège, Leslie Labranche. Dans le cas d’une ordonnance individuelle, le médecin «utilise alors son jugement clinique afin d’ajuster le protocole de détresse (les doses de médicaments et les médicaments utilisés) en fonction de l’état clinique du patient et de ses maladies», précise-t-elle. «Zéro encadrement» S’agissant des infirmières qui peuvent prescrire le PDR dans le cadre d’une ordonnance collective, on peut lire dans le guide sur leur champ d’exercice et leurs activités réservées, publié par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, que «lorsque l’ordonnance porte sur une condition clinique visée par un protocole publié par l’INESSS, (l’infirmière) doit se référer intégralement à ce protocole». Diane Tapp n’est pas surprise par les réponses de l’INESSS et du CMQ. «La variabilité de l’utilisation du PDR entre les différents milieux soulève des questions quant à l’absence d’encadrement de cette pratique qui n’est pas incluse dans la Loi concernant les soins de fin de vie comme le sont l’aide médicale à mourir et la sédation palliative continue», souligne-t-elle en concluant qu’il est «préoccupant de constater que cette pratique, unique au Québec, n’est ni balisée, ni monitorée».

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