Savoir se pardonner

Avez-vous déjà lu Les chaussures Italiennes, de Henning Mankell?[1] Ne me dites pas que non! Si tel est le cas, ne le lisez pas! Vous allez détester… C’est l’histoire d’un vieil homme (66 ans… est-ce que c’est vieux?) qui vit, reclus, sur une île quelque part dans le nord de la Suède, avec comme seuls compagnons, un chien sourd et une chatte démente, et une colonie de fourmis. Il ne reçoit jamais personne, sauf le vieux facteur qui vient trois fois par semaine avec son aéroglisseur et qui lui quémande sans arrêt diverses faveurs. Il le déteste. Tous les matins, il creuse un trou dans la glace et s’immerge dans l’eau glacée. «C’est froid, ça fait mal», dit-il… Peut-on imaginer pareil comportement? Le livre commence par cette description. On se dit que le mec est fou à lier. C’est d’ailleurs ce qu’il se dit en s’imaginant si on venait à le retrouver mort, gelé, debout dans son trou. Or, on finit par apprendre que le type était un chirurgien, un chirurgien renommé, et qu’un jour, il a commis une erreur impardonnable. Il a amputé une patiente du mauvais bras! Imaginez! Qui parmi vous n’a jamais commis d’erreur? Qui parmi vous n’a jamais prescrit à un patient une dose d’un médicament auquel il était allergique, causant une réaction indésirable? Qui parmi vous n’a pas commis une bourde qui le hante encore? J’imagine que nous avons tous eu nos moments difficiles. En réalité, nous sommes beaucoup plus proches du personnage de Mankell que ne nous pouvons l’imaginer. Je connais des médecins qui, après un événement malheureux, ont arrêté de pratiquer ou complètement changé de champ de pratique. Pire, j’ai eu vent de médecins qui, après avoir commis une «erreur» médicale, n’arrivaient pas à se pardonner et se sont enlevé la vie. Je me doute bien que le PAMQ est rempli de médecins ravagés par le remords et l’atterrement. Malheureusement, la question de la faillibilité du médecin est peu abordée en médecine. On consacre beaucoup plus de temps au développement des connaissances et des compétences transversales qu’au soutien des étudiants et des médecins dans leur pratique. Personne n’est parfait, personne n’est omniprésent, ni omnipotent, c’est certain. Pour ma part, je pense que nous devrions encourager la lecture – je ne parle pas ici d'UptoDate ni des lignes directrices. Je pense que nous devrions davantage utiliser la littérature comme outil de réflexion auprès des médecins. D’ailleurs, ce type, dont nous parle Mankell, qui n’arrive pas à se pardonner sa terrible erreur semble avoir complètement occulté le fait que 40 ans auparavant, il a abandonné son amoureuse (la vendeuse de chaussures) pour aller faire un Fellow aux États-Unis. Il lui a caché cela, ne lui a jamais plus donné signe de vie, s’enfuyant lâchement, la laissant seule, désespérée, éplorée et … enceinte (ce qu’il ignore). Or, un jour, une silhouette se dessine au loin marchant sur la glace utilisant ce qui semble être un déambulateur. Il prend ses jumelles et découvre que la personne qui vient vers lui est son ancienne amoureuse… Harriet! Mais comme je vous le disais, ne lisez pas ce livre. Et oubliez toutes ces histoires de pardon.

Bâbord amures

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Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

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