Santé: sommes-nous prêts à écouter les traumatismes des Autochtones?

Le film livre les histoires de plusieurs personnes issues des communautés inuite, métisse et des Premières Nations dans le système de santé canadien, où elles ont été stérilisées de force, agressées sexuellement, voire abandonnées à leur mort à l’hôpital faute de soins. «Notre objectif n'était pas de faire un film qui présente une conclusion définitive au spectateur, explique le réalisateur Christopher Paetkau, mais de créer un récit qui tisse des histoires profondément personnelles de manière créative, accompagné de faits et de statistiques sans fioritures, dans l'espoir que les spectateurs puissent tirer leurs propres conclusions et émotions.» Découpé en cinq volets représentant chacun les cinq grandes étapes de la vie, de la naissance à la mort, le film créé par Build. Films et Networked Health a été réalisé dans le but de sensibiliser, d’inciter au dialogue et de susciter des changements dans le système de santé. Comme l’ont reconnu récemment le Collège des médecins du Québec (CMQ) et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), le racisme systémique est toujours présent dans notre système de soins de santé, déplore à son tour la Dre Ann Collins, présidente de l’Association médicale canadienne (AMC). «Il faut l'appeler par son nom et il est de notre responsabilité collective d'y mettre un terme. (...) Nous devons écouter, apprendre et prendre des mesures concrètes pour que toute personne se sente en sécurité et respectée au sein du système de santé, peu importe où elle vit au pays.» L’initiative d’un médecin anglophone de Montréal Médecin omnipraticien depuis une trentaine d’années, le Dr Ewan Affleck a principalement pratiqué dans le Grand Nord du Canada. D’abord au Nunavik, puis avec les Ojibwés dans le nord de l'Ontario et finalement dans les Territoires du Nord-Ouest, avec les Inuits, les Métis et les Premières Nations. C’est en écoutant les histoires de ses patients autochtones, notamment dans un refuge pour femmes où il a travaillé un jour par semaine pendant 17 ans, qu’il a pris conscience de l’existence de problèmes structurels dans le système de santé. «J'ai compris peu à peu que des structures d'intolérance et d'inégalités sont perpétuées par le système de santé. On m'a conté histoire après histoire, nous a-t-il confié, et cela m'a presque mené à un épuisement professionnel, car ce sont des témoignages très difficiles à entendre. En regardant les chiffres, on se rend rapidement compte que la mortalité n'est pas égale entre les Autochtones et les non-Autochtones. Il y a plus de 10 ans de différence. Pourquoi?» Désireux que les récits qu’il entendait soient reconnus et suscitent une réflexion permettant de réimaginer les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones, il a laissé l’idée de faire un film germer dans son esprit pendant quatre ans. «Je voulais trouver une façon de relier les histoires, mais j'étais gêné de débuter le projet, car je ne suis pas autochtone. J’étais conscient que les témoignages que je voulais partager n’appartiennent pas à mon histoire.» Il a donc demandé conseil à l’un de ses bons amis, le Dr Alika Lafontaine, d’ascendance crie, anishinaabe, métisse et insulaire du Pacifique, afin de voir avec lui s'il y avait «de la place pour un Blanc» pour initier ce type de projet. «Oui et je peux vous aider», a simplement répondu celui qui allait devenir le conseiller principal du projet. Sommes-nous prêts à recevoir ces histoires? Le titre du film dans sa version originale anglaise, The Unforgotten, est évocateur pour le médecin anglophone: il implique qu'un effort actif et conscient est nécessaire pour comprendre et «désoublier» ce pan de notre histoire, qui semble avoir été «retiré de la mémoire collective tel un aveuglement systémique volontaire». Pour Stephen Gladue, qui a contribué au film en plus d’y faire une apparition en tant que muraliste, il est des plus appropriés. Grâce à leur film, l’équipe souhaite ainsi démontrer qu'il y a une histoire méconnue au Canada. En plus du système des pensionnats «indiens», il y a aussi eu des expériences parallèles dans le système de santé, comme le démontre le premier volet du film portant sur la stérilisation forcée: des politiques ont été mises en place, elles étaient ouvertement exprimées – notamment par Sir John A. MacDonald et Edward Blake, respectivement premiers ministres du Canada et de l’Ontario au XIXe siècle – et de nombreux médecins y ont pris part. «Nous avons remarqué que les Canadiens non autochtones n’ont pas une connaissance étendue des "hôpitaux indiens", souligne le médecin d’origine québécoise. En général, la plupart des travailleurs de la santé ne savaient pas non plus que ces établissements ont existé, contrairement aux pensionnats. Le dernier a pourtant fermé ses portes assez tardivement, en 1996.» Le Dr Affleck, qui est aussi le producteur délégué, estime que le film pourrait, par exemple, être présenté par les écoles de médecine, de soins infirmiers et de pharmacie, pour informer et sensibiliser les étudiants. Du côté des gouvernements, il pourrait aussi servir à renforcer la notion de sécurité culturelle chez les employés du secteur de la santé. «C'était l’un des objectifs parce qu’il y a encore des biais culturels. C'est humain d'en avoir et j'en vois dans ma pratique clinique dans le Grand Nord, dans la façon de traiter ou de ne pas prendre les Autochtones au sérieux, relate-t-il. On l'a vu dans les médias avec Joyce Echaquan et dans le film avec Brian Sinclair, qui a attendu 34 heures sur une civière aux urgences avant de décéder d’une maladie traitable. Le personnel pensait qu'il était saoul et ne s'est pas soucié de lui. Ce genre de situation arrive souvent. J'espère que nous sommes prêts à laisser nos préconceptions derrière nous et à entendre les histoires pour qu’elles puissent être reliées sur une base humaine, dans les émotions. C'est comme ça que le film peut aussi être un début.» Le film s'adresse à un public large, y compris à la communauté médicale selon la présidente de l’AMC, car il est à la fois «percutant et éducatif». «Nous espérons que le film permettra de mieux faire connaître les inégalités auxquelles sont confrontés les Autochtones, explique la Dre Ann Collins, et qu'il suscitera la compassion et des discussions sur les moyens à prendre pour combler l'écart entre les communautés autochtones et non autochtones en matière de santé.»

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