Santé mentale: «D’un plan d’action à l’autre, on n’évalue rien!» - Dre Suzanne Lamarre

La Dre Suzanne Lamarre est psychiatre urgentiste et de crise à Montréal depuis plus de 30 ans. Elle nous a fait parvenir quelques précisions succinctes en vue de souligner les priorités que devrait contenir, selon elle, le prochain Plan d’action en santé mentale 2014-2020.«Déjà l’existence d’un tel plan signifie qu'il n'y a pas de continuité dans l'amélioration. Nous n'avons aucune statistique valable sur les effets du dernier plan (2005-2010). Quelle est l'efficience des services redéployés et pourquoi n’en sommes nous pas informés régulièrement?», demande-t-elle.La Dre Lamarre a été chef de département de psychiatrie de 2004 à 2012. «Or, jamais je n'ai pu me comparer à mes voisins, ni savoir simplement, par exemple, si mes patients référés ailleurs à partir de l'urgence avaient eu le suivi souhaité. Pourquoi les suivis dans le milieu pour les cas qui en ont besoin n'existent-ils pas aujourd’hui, alors qu'ils faisaient partie du dernier plan 2005-2010?»Pour les professionnels de la santé, dit-elle, l'amélioration continue des services est préférable à la création de plans qui ne misent que sur la vertu. «Je considère avec le plus grand cynisme ces plans d'action qui ne s'appuient sur aucun fait, n'ayant aucune statistique valable, sur aucun chiffre qui parle de la réalité clinique au quotidien.» À ses yeux, «il faut d’abord considérer l’autre, le patient, comme un partenaire. La clé du succès réside dans la personne qui souffre, en lien avec les proches».La Dre Lamarre a repris les thèmes principaux qu’entend aborder le prochain plan d’action. Voici ses commentaires:A. Le plein exercice de la citoyenneté- Contexte familial sans surcompensation, où l’on traite l’autre dans le respect plutôt que de le surprotéger: il importe que la personne consultée rappelle cette règle de partenariat dans la famille.- Stigmatisation et surcompensation du milieu tant familial que professionnel vont ensemble: on accepte actuellement l’inacceptable sur le compte de la maladie.- Attribution d’un Programme de supplément au loyer (PSL) et accès aux loyers modiques: un must.- Intégration au milieu du travail et aux études et aide à cette intégration avec attente de productivité, tout en respectant les limitations principalement du nombre d’heures de travail: un autre must. Cette intégration devrait être faite par des gens du travail qui voient les compétences, et non par des professionnels de la santé, qui voient principalement les déficits.- Intervention précoce, tant à l’école qu’au travail, sans attendre la maladie: certaines écoles interviennent dès les premières baisses de rendement de l’étudiant et ont les meilleurs cotes de succès.- Prestations d’aide sociale: elles ne devraient plus être accordées au destinataire d’une boîte postale sans résidence; cette façon de faire réjouit les vendeurs de drogues et retardent le plein exercice de la citoyenneté. Les prestations devraient se faire pour payer le logement, ou aux semaines si une personne n’a pas encore de logement.- Intégration des équipes de crise dans les centres de crise: leur mobilité devrait aller en augmentant. Les familles pourraient faire appel à leur aide avant même que la maladie mentale ne soit installée; leur mandat serait d’installer un contexte sain dans la famille, un mode de gestion sans violence.- Décision de retenir, comme premier indicateur du dysfonctionnement dans une famille, la peur d’un enfant ou d’un adulte à l’égard d’un autre membre: inutile d’attendre des preuves objectives de violence. Les équipes de crise auraient ce mandat de favoriser une gestion des problèmes sans moyens violents incluant la honte ou la culpabilité.- Décision de faciliter les habitudes de santé allant de l’alimentation à l’exercice physique, en passant par la méditation en pleine conscience: ne plus attendre la maladie pour intervenir.- Urgence Psychosociale (UPS) : elle devrait faire partie des centres de crise pour favoriser la continuité des interventions.La suite de ses commentaires en page 2B. La détection et l’intervention précoce chez les jeunes - Détecter le dysfonctionnement sans attendre un diagnostic, comme c’est trop souvent le cas actuellement, pour avoir accès aux services remédiation: c'est un must.- Reconnaître les parents des jeunes sous la responsabilité des centres jeunesse comme essentiels à l’amélioration de leurs jeunes ou ils devraient être aidés à prendre un autre rôle que celui de parents auprès de leurs jeunes, afin que ces derniers puissent être adoptés par d’autres parents: délégation du rôle de parent par incapacité parentale, mais capacité d’être un parrain.- Aider les parents à distinguer le couple parental du couple conjugal et les sensibiliser à l’éthique familiale.- Assurer la transition entre les services destinés aux jeunes et ceux pour les adultes: les services aux enfants devraient terminer l’épisode de soins et retourner leurs patients à la première ligne entre 18 et 25 ans. Oublions le Plan de services individualisé (PSI). C’est le patient qui peut le mieux comprendre ses besoins. Il aurait son dossier électronique, et un médecin généraliste travaillant avec son équipe de santé mentale pourrait faire le suivi de ce jeune adulte.C. La gamme des services en santé mentale - Ne pas réserver les équipes mobiles d’intervention de crise aux seules personnes dont l’état mental exige une hospitalisation. Les équipes mobiles font des interventions avec la police et assurent la continuité des services;- Se préoccuper de la prévention, pour les services spécialisés, et ne plus attendre que les maladies deviennent résistantes aux traitement seulement. Pensons aux infections: on ne mise plus seulement sur les antibiotiques, mais sur la prévention des infections.- Revoir le fait que les patients actuellement dans les lits de courte durée sont en bonne partie des patients institutionnalisés par manque de suivi intensif dans le milieu (SIM). Les unités devraient aussi être pensées pour la mixité des patients: des patients violents qui ne peuvent se calmer eux-mêmes, d’autres patients responsables, et d’autres chroniques.- Transférer la première ligne vers les GMF est une idée excellente.D. Les pratiques cliniques et organisationnelles - Pensons, de grâce, au dossier médical électronique accessible aux patients (voir à ce sujet l’expérience du Dr Lawrence Weed et son idée de diagnostic par ordinateur et d’interventions bien compilées au dossier intégrant les divers partenaires et épisodes de soins). Par après, l’on verra.- Faisons du suivi intensif dans le milieu (SIM) un incontournable.- Rappelons-nous que les équipes d’intervention de crise précoce feraient une vraie différence.- Retenons des statistiques intelligentes, qui rendent les intervenants intelligents, plutôt que déstabilisés. Des chiffres qui permettent une rétroaction rapide, et non pas un autre Plan d’action en santé mentale dans six ans. C’est l’amélioration continue qui importe.- Intégrons la toxicomanie et les services de santé mentale.- Intégrons mieux les services pour déficience intellectuelle et les séquelles de traumas crâniens. On gagnerait vraiment à le faire.- Prévoyons des résidences pour les patients qui ne peuvent être gardés que dans des hôpitaux actuellement (refusés partout) et des points de service pour les itinérants en dehors des urgences.- Tablons sur des services médicaux psychiatriques intégrés et sur des unités médico-psychiatriques dans les hôpitaux généraux.- Portons une attention particulière aux premiers épisodes psychiatriques. - Ouvrons-nous à la possibilité de la recherche clinique à partir de la pratique. À LIRE AUSSI: Santé mentale: Tant de médication et si peu du reste

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