Santé et climat: «Nous sommes à un moment critique»

Bis repetita. The Lancet tire à nouveau la sonnette d’alarme concernant les effets des changements climatiques sur la santé. Le titre de son 7e rapport annuel, «Compte à rebours» (The Lancet Countdown), publié le 25 octobre, ne souffre d’ailleurs d’aucune ambiguïté: la santé de la population mondiale est «à la merci des combustibles fossiles». «Les effets des multiples crises sur la santé sont exacerbés par la dépendance persistante aux énergies fossiles et exercent une pression supplémentaire sur les systèmes de santé. Il en résulte un risque accru d’insécurité alimentaire, de transmission de maladies infectieuses, de maladies liées à la chaleur, de pauvreté énergétique et de décès dus à l’exposition à la pollution atmosphérique», préviennent les 99 experts internationaux qui ont contribué à l’édition 2022 de ce document de référence en observant à la loupe 43 indicateurs, dont la majorité sont dans le rouge. «Notre rapport de cette année révèle que nous sommes à un moment critique. Nous constatons que le changement climatique a déjà de graves répercussions sur la santé dans le monde entier», signale la directrice de recherche du Lancet Countdown, la Dre Marina Romanello, qui garde néanmoins espoir. «Malgré les défis, il est clair qu’une action immédiate pourrait encore sauver la vie de millions de gens, en passant rapidement aux énergies propres et à l’efficacité énergétique. (…) Alors que le monde est en pleine tourmente, les gouvernements et les entreprises ont l’occasion de placer la santé au centre d’une réponse harmonisée à ces crises simultanées, et d’offrir un avenir sain et sûr à tous.» «Après 30 ans de négociations [sur les changements climatiques aux Nations Unies], les indicateurs du Lancet Countdown montrent que les pays et les entreprises continuent à faire des choix qui menacent de plus en plus la santé et la survie des populations dans le monde entier.» - The 2022 Report of The Lancet Countdown on Health and Climate Change: health at the mercy of fossil fuels. Éclairage canadien Ce message qui souligne l’urgence d’agir est relayé et adapté à la réalité canadienne par des médecins, des professeurs en santé et des représentants de l’Association médicale canadienne, de l’Association canadienne de santé publique et de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. Depuis trois ans, ils rédigent ensemble, à partir du rapport du Lancet Countdown, un résumé exécutif à l’intention des décideurs. «Il est destiné au palier fédéral, mais le résumé peut s’appliquer à différents niveaux. Les provinces peuvent s’en inspirer, les idées sont les mêmes», indique la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, en entrevue avec ProfessionSanté.ca. À lire aussi: La santé des Canadiens déjà impactée par les changements climatiques L’omnipraticienne montréalaise, qui s’est occupée de la version française du résumé 2022, indique que le but du document est de «créer, forcer une discussion sur l’influence des changements climatiques sur santé, qui reste sous-estimée alors que l’actualité récente a démontré qu’elle est bien concrète. On veut attirer l’attention du public sur cette réalité, car si on en parle de plus en plus, il n’y a pas grand-chose de concret qui se fait», constate celle qui est par ailleurs présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME). Après avoir posé l’enjeu — «les changements climatiques compromettent les fondements de la santé humaine et les systèmes de santé» —, le résumé exécutif pour les décideurs canadiens dresse une liste de solutions à mettre en œuvre, dont la ligne directrice s’articule autour de la nécessité d’investir dans un avenir durable et de «transitionner vers une économie explicitement centrée sur la santé et le bien-être des générations actuelles et futures». Le système de santé doit montrer l’exemple «Le système de santé du Canada affiche l’un des taux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant les plus élevés au monde», souligne le résumé. Il représente à lui seul environ 5% du total des émissions annuelles au pays, soit autant que 9 millions de véhicules en circulation, et devrait donc lui aussi faire sa part et réduire son empreinte environnementale. Des initiatives locales émergent un peu partout, mais «elles manquent de ressources et de coordination», observe la Dre Pétrin-Desrosiers en signalant que le plan en santé du ministre Christian Dubé ne comprend aucune mesure en ce sens. «Le National Health Service (Service national de santé) de l’Angleterre fournit un exemple de la façon dont de telles initiatives peuvent être couronnées de succès lorsqu’elles sont adéquatement financées, dotées en personnel, traduites en lois et exécutées au niveau régional», indique le document. À lire aussi: Ma pratique plus sobre en carbone Résilience aux impacts du climat Les récents événements climatiques extrêmes au Canada, comme le dôme de chaleur en Colombie-Britannique qui a fait 619 morts durant l’été 2021, «montrent que les systèmes d’intervention d’urgence doivent être améliorés pour réduire le nombre de décès», mentionne le résumé. En période de canicule, plusieurs études ont établi que le nombre de visites aux urgences et de transports ambulanciers peut augmenter de 10 à 15%, dépassant ainsi la capacité des systèmes de santé. «C’est documenté et ça va s’accélérer. Si on ne s’y prépare pas, on va compromettre la qualité des soins», prévient la Dre Pétrin-Desrosiers qui appelle, avec ses collègues, les autorités sanitaires à évaluer les besoins en matière d’adaptation et à «identifier les actions prioritaires pour réduire la mortalité et la morbidité liées au climat». Reconnaître les pratiques autochtones et s’en inspirer «L’intégration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est une occasion de systématiser les solutions autochtones», affirme le résumé en précisant que les Premières Nations sont durement touchées par la dégradation de l’environnement, mais qu’elles «possèdent une grande partie de la sagesse nécessaire pour diriger le Canada vers une voie plus saine». Selon la Dre Pétrin-Desrosiers, on aurait effectivement «tout à gagner à s’inspirer des pratiques traditionnelles autochtones qui entretiennent une relation saine, d’égal à égal avec la nature et se préoccupent du bien-être des sept prochaines générations». À lire aussi: Quel rôle occupent les preuves scientifiques dans la décision politique au Québec? Changer le discours médiatique Le rapport 2022 du Lancet Countdown constate que les médias sensibilisent de plus en plus leurs publics à l’enjeu de préserver le climat. «Toutefois, les médias traditionnels se concentrent souvent sur les effets négatifs des changements climatiques sur la santé, tandis que peu partagent des exemples de mesures que les communautés et les individus peuvent prendre pour protéger et améliorer leur santé», souligne le résumé exécutif pour les décideurs canadiens. «On doit nourrir l’imaginaire collectif en stimulant une vision différente», précise la Dre Pétrin-Desrosiers. «L’action en faveur du climat peut être rassembleuse et bénéfique pour l’économie et la santé. Il faut le montrer pour toucher d’autres cordes chez les gens, car l’augmentation des preuves du péril climatique ne suffit pas à stimuler un changement de comportement urgent.»

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