Sanction confirmée pour une psychiatre au langage fleuri et vindicatif

«Je m’en câlisse que vous m’ayez écrit une lettre qui me demande de parler sur un ton. Toi, pis ton collègue, je vous mets tous les deux dans mon derrière. OK. Ben installé ben loin. Pis tu te le mettras en boucle le message. (…) Clair que je t’envoie une mise en demeure. Clair ma fille. Oublie ça. (…) Si jamais j’ai la chance de faire un lien entre toi pis quelqu’un de ta famille. Si j’ai la chance de soigner quelqu’un de ta famille, je te le jure que ça va me faire un plaisir de me venger. (…) Pis je vais t’en envoyer à toutes les semaines des lettres de même, je vais t’en envoyer à tous les jours des messages de même pis tu les écouteras en boucle. (...)» Ces propos, laissés en février 2019 sur le répondeur d'une avocate de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), la Dre Mélanie Lessard ne les dément pas. La psychiatre, spécialisée en pédiatrie, les a tenus alors qu’elle faisait l’objet d’une enquête, lancée en 2017, pour des trop-perçus d’honoraires d’un montant total de 627 000$. La clinicienne a toujours contesté, sur le fond, les réclamations de la RAMQ. Elle s’estimait plutôt victime d’un abus de pouvoir qui la mettait dans une situation financière intenable, elle qui craignait de devoir fermer sa clinique et de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de ses deux enfants âgés de 7 et 12 ans. «Vous m’avez fait perdre trois semaines de travail à payer des adjointes pis j’ai annulé des vacances pis vous m’avez brisé, pour finalement dire que vous avez rien accepté des trois cartables qu’on vous a envoyés. C’est ridicule. Et c’est pas un esti d’avocat ou adjointe, ou quelqu’un qui fait rien que des chiffres qui peut juger de ça. J’ai demandé que ça soit un pédo-psychiatre, pas un interniste, pas un joe blow la fly. J’ai demandé que ça soit un pédo-psychiatre qui révise les demandes que j’ai fait. Si des collègues me disent qu’eux autres ils font comme vous voudrez que je le fasse, là on va commencer à jaser, mais pas en bas de ça. (…) Si vous ne comprenez pas ça c’est parce que vous avez pas assez étudié Me (…). Fait que retourne sur les bancs de l’école ou ben informe-toi. (…) T’as peut-être pas fait assez d’université pour savoir qu’une statistique ça l’a besoin d’un échantillonnage pis ça l’a besoin d’un pic, si tu le sais pas ben informe-toi. Parce que t’es en train de causer du tort à plein de médecin. Des gens plus brillants que toi pis les autres qui envoient des factures parce que vous ne connaissez pas ce que vous faites. Pis ça des incompétents, il y en a partout, pis si vous êtes jaloux de ce qu’on fait comme travail, ben c’est pas en nous punissant comme ça que ça va améliorer les choses.» Verbatim du second message téléphonique de la Dre Lessard Poursuivie en déontologie après le dépôt d'un plainte pour harcèlement et intimidation par l’avocate de la RAMQ, la Dre Lessard a été reconnue coupable, le 22 novembre 2019, par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec. Celui-ci a jugé qu’elle avait commis «des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession» en proférant des propos «indignes, déplacés, inconvenants et désobligeants, voire menaçants». Par la suite, la pédopsychiatre s’est vue imposer une radiation temporaire d’un mois. Deux décisions qu’elle a contestées en faisant appel devant le Tribunal des professions. La médecin considère notamment que ses propos relèvent de la sphère privée et qu’ils sont sans lien avec l’exercice de sa profession. Elle reproche également au Conseil d’avoir occulté le contexte acrimonieux entre elle et la RAMQ et d’avoir prononcé une sanction «excessive, injuste et déraisonnable». Déboutée sur toute la ligne Dans un jugement rendu le 30 mai, le Tribunal des professions a rejeté tous les moyens d’appel soulevés par la Dre Lessard. Il souligne que le Conseil de discipline du Collège n’a commis aucune erreur et que ses décisions «ne souffrent d’aucune carence de motivation». Les juges ont d’abord confirmé l’analyse factuelle et le raisonnement du Conseil de discipline quant au lien entre les actes reprochés à la psychiatre et l’exercice de sa profession. Dans ses échanges avec l’avocate de la RAMQ, le tribunal souligne que la médecin se présente comme «Docteure Mélanie Lessard». Il constate également que les messages sont envoyés dans le cadre d’un conflit en lien avec ses honoraires professionnels, «ce qui constitue un corollaire de son travail de médecin». Le Conseil avait d’ailleurs souligné que «l’exercice d’une profession ne consiste pas seulement dans le fait d’assurer des services professionnels à un patient, mais il inclut aussi les actes accessoires et auxiliaires qui en sont un corollaire naturel et logique pour le public.» Il avait ajouté que «le Code de déontologie des médecins ne couvre pas uniquement les aspects techniques de la profession, mais reflète l’ensemble des valeurs et qualités requises d’un médecin.» S’agissant du contexte dans lequel les propos ont été prononcés et de l’état d’esprit de la Dre Lessard quand elle s’est adressée, par courriels et par messages téléphoniques, à l’avocate de la RAMQ, le tribunal affirme que «la décision du Conseil résume le contexte de cette affaire et cible correctement la nature du litige entre l’avocate de la RAMQ et [la médecin], tout comme les circonstances particulières» qu’elle vivait à l’époque. Le résumé des faits est particulièrement circonstancié dans la décision du Conseil. On y apprend que la docteure Lessard contestait la position de la RAMQ en soutenant que leur examen de 35 de ses dossiers est insuffisant pour extrapoler ses trop-perçus à l’ensemble de sa facturation sur cinq ans. On peut également y lire que la psychiatre se disait dans une situation financière insoutenable et qu’elle était convaincue que l’avocate de la RAMQ avait commis des erreurs importantes dans l’étude de son dossier. On découvre également que la médecin se trouvait dans un état de frustration extrême parce que l’avocate ignorait, selon elle, ses demandes de dialogue. Insouciance et absence de repentir Concernant la radiation temporaire d’un mois qui lui a été imposée, la Dre Lessard prétendait que «le Conseil a commis des erreurs dans la pondération des facteurs qui ont mené à l’imposition d’une sanction manifestement déraisonnable». Le Tribunal des professions n’est pas du même avis: «Le Conseil a pris soin de considérer tous les éléments en preuve, les arguments des parties et les sanctions imposées en semblable matière.» La médecin contestait notamment la conclusion du Conseil qui a considéré qu’elle avait fait preuve d’insouciance. Pour le tribunal, cette qualification est «entièrement appropriée. Force est de constater qu’à répétition, [la Dre Lessard] s’est emportée avec un langage inapproprié, vulgaire et intimidant, sans se soucier de ses obligations déontologiques, ni de l’effet que sa conduite produirait sur l’avocate de la RAMQ.» La psychiatre déplorait également que le Conseil ait conclu à son «absence de repentir». Elle soutient que la lettre d’excuses qu’elle a envoyée à l’avocate de la RAMQ démontre la sincérité de ses regrets. N’ayant constaté aucune erreur d’interprétation du Conseil, le tribunal a jugé que ce dernier pouvait «considérer que cette [lettre] trahissait le désir de [la médecin] de justifier sa conduite excessive par les références répétées à la situation invivable dans laquelle la RAMQ l’avait placée. Cette justification de son écart de conduite permettait au Conseil de conclure à un manque de repentir véritable et à un manque d’introspection.»

Sanction confirmée pour une psychiatre au langage fleuri et vindicatif

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