Sa patiente se plaint du cou et du dos, il lui masse les seins et les fesses

L’article 156 du Code des professions prévoit l’imposition d’une période de radiation minimale de cinq ans en cas d’inconduite sexuelle. Devant la gravité des faits reprochés au Dr Alain Élias Samuel Benhamron, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec est allé au-delà de ce minimum requis. Dans une décision rendue le 14 septembre, il radie le médecin de famille montréalais pour une durée de sept années en raison d’«attouchements injustifiés sur (une) patiente, notamment sur ses seins et ses fesses, pendant de longues minutes, sous le prétexte d’un traitement médical». L’omnipraticien, inscrit au tableau de l’Ordre depuis 1985, est consulté en mars 2022 par une femme âgée de 21 ans pour des douleurs au dos, au cou et au poignet. Au-delà d’un kyste synovial à son poignet droit, pour lequel le Dr Benhamron lui fait une injection de cortisone, rien n’explique ses dorsalgies et cervicalgies. Les premiers rendez-vous de suivi se passent bien, la patiente a une confiance totale en son médecin. Puis, rapidement, elle va trouver qu’il se comporte de façon inappropriée; elle ne comprend pas trop ses attouchements. Elle se convainc toutefois qu’il ne fait que son travail et qu’elle doit s’estimer chanceuse d’avoir un clinicien qui fait des suivis. Lors d'une consultation le 30 mai 2022, la jeune femme estime cependant que le Dr Benhamron dépasse les limites. «Elle a l’impression que son corps ne lui appartient plus et qu’elle devient son objet. Bouleversée par cette consultation, elle passe des nuits blanches à pleurer et à ne rien comprendre de ce qui s’est passé», mentionne la décision du Conseil de discipline. Lors du rendez-vous suivant, fixé le 27 juin 2022, la patiente décide de filmer toute la consultation, à l’insu de l’omnipraticien. À l’enquêteur du syndic, elle dira par la suite qu’elle «arrive à peine à regarder la vidéo au complet. Elle sent (ses) mains partout sur son corps et se sent abusée par un médecin en qui elle avait confiance.» Elle ajoute qu’elle a eu de la misère à transmettre ladite vidéo, «car elle essaie de se convaincre que cela n’est pas réel». Trois quart d’heure de massage «thérapeutique» Sur cet enregistrement de près d’une heure, qui est détaillé dans la décision, on peut voir le Dr Benhamron proposer à la jeune femme un massage du dos «pour un motif médical». Elle l’accepte et s’installe sur le ventre. Au début, le massage du médecin alterne entre le dos, les flancs et les fesses. Au passage, il frôle son sein gauche. Après dix minutes environ, l’omnipraticien retire ses gants en prétextant qu’ils commencent à irriter sa peau. Il demande alors à la patiente s’il peut mettre de l’huile. Elle répond que cela ne la dérange pas. Il lui demande aussi d’enlever sa camisole en disant que l’huile risque de la salir. La poitrine désormais dévêtue, la jeune femme est toujours couchée sur le ventre quand le Dr Benhamron reprend son massage en alternant entre le dos, les flancs, les fesses et les seins. Dix minutes plus tard, il lui demande cette fois-ci de se retourner, ce qu’elle fait en se couvrant les seins, en partie, avec sa camisole. Après lui avoir dit de se mettre à l’aise, le médecin remet de l’huile et lui masse entre autres l’abdomen et les seins sur lesquels il s’attarde en les flattant et les empoignant. Trois minutes après, l’omnipraticien propose à sa patiente une jaquette qu’il place sur ses seins en continuant à les masser par en dessous. Gênée, celle-ci croise alors ses bras sur ses seins, mais le praticien les replace le long de son corps et poursuit son massage, comme si de rien n’était, pendant un bon quart d’heure. À la fin, il prend du papier pour essuyer la jeune femme. Il lui enlève la jaquette et lui essuie les seins, puis lui redonne sa camisole qu’elle remet. À lire aussi: Un portrait inédit des inconduites sexuelles en milieu professionnel au Québec Une fois la patiente rhabillée, il lui déclare que c’était une bonne séance de manipulation musculaire et lui demande si cela lui a fait du bien et s’ils vont se revoir. Déstabilisée, elle lui répond: «À moins que j’aie quelque chose.» Rencontré par l’enquêteur du syndic le 1er septembre 2022, le Dr Benhamron affirme que l’ensemble des consultations s’est déroulé de façon «très professionnelle» et qu’il n’a jamais touché aux fesses ni aux seins de la patiente de manière intentionnelle. Il reconnaît simplement qu’il est possible qu’il lui ait frôlé le sein par inadvertance. Concernant le rendez-vous du 27 juin, il indique avoir procédé à une thérapie manuelle, qui aurait duré 15 à 20 minutes selon lui, car la patiente avait encore de la douleur et du spasme du côté droit, et qu’il lui a palpé la région dorsale, les trapèzes et le cou ainsi que la région pectorale, les grands dorsaux et la région axillaire. Mensonges avec aplomb Vers la fin de la rencontre, l’enquêteur informe l’omnipraticien qu’il dispose de l’enregistrement de la séance du 27 juin et que la description qu’il vient d’en faire ne correspond pas aux images qu’il a visionnées, que ce soit concernant la durée du massage, la nature de ses gestes et la façon dont la patiente a été dévêtue, puis revêtue. L’enquêteur considère que le médecin a profité de «l’état de vulnérabilité de la patiente» et il qualifie ses attouchements multiples «d’agressions sexuelles». Dans sa décision, le Conseil de discipline ne reprend pas cette qualification. Il affirme que le Dr Benhamron a «utilisé son statut de médecin pour poser des gestes abusifs à caractère sexuel» dans le cadre d’une consultation de suivi qui n’était pas justifiée. Pour le Conseil, il s’agit d’un comportement «très grave» dont «l’impact sur la confiance du public est grand». À lire aussi: Un médecin radié à vie pour une agression sexuelle sur une patiente De plus, ses pairs déplorent que le médecin de famille ait menti «avec aplomb» à l’enquêteur du syndic. Cette entrave jugée active constitue un «comportement aggravant» pour ce clinicien expérimenté — il avait 37 ans de pratique au moment des faits — dont la pluralité d’infractions commises, l’absence de collaboration, les mensonges et l’absence de remords sincères justifient, semble-t-il, l’imposition de cette radiation sévère de sept années. Depuis le dépôt de la plainte, en octobre 2022, le Dr Benhamron s’était engagé volontairement et publiquement à cesser d’exercer la profession de médecin. L’intéressé n’avait pas eu jusque-là d’antécédent disciplinaire. Il avait toutefois fait l’objet d’une demande d’enquête portant sur une allégation d’inconduite de nature sexuelle dans le cadre d’un examen gynécologique. En l’absence de preuves et devant des témoignages contradictoires, l’enquêteur du syndic n’avait pas porté plainte contre lui, mais il l’avait invité «à considérer sérieusement et avec autocritique le récit de madame […] afin d’améliorer [ses] façons de procéder».

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