Rôle des pharmaciens: quand on se compare, on s’inspire

Zina Ali et Alexandre Chadi sont stimulés au possible. Les deux pharmaciens québécois sont issus de la première cohorte du «programme de formation avancée de pharmacien en soins primaires», mis sur pied par l’Association des facultés de pharmacie du Canada (AFPC). Après douze semaines d’apprentissages divers et variés et quatre de stage dans une clinique médicale (elle en Colombie-Britannique, lui en Ontario), ils ont des projets plein la tête; Zina pour les deux GMF où elle travaille à Vaudreuil-Soulanges, et Alexandre pour la pharmacie communautaire où il exerce dans le quartier Parc-Extension, à Montréal.«Ça m’a beaucoup motivé», confirme ce dernier, qui a depuis invité le pharmacien du CLSC de Parc-Extension à une rencontre. «On va travailler sur des formulaires de délégation pour renforcer notre coopération», indique le trentenaire qui préside la table locale des pharmaciens au sein de laquelle il veut tisser des liens entre les professionnels en pharmacie communautaire et ceux en GMF, en s’ouvrant aux autres prestataires de soins du territoire. «Je vois plus concrètement à quoi peut ressembler la collaboration interprofessionnelle sur le terrain.» Sa consœur collabore quant à elle avec sa tutrice de stage britanno-colombienne sur des gabarits de notes pour la clientèle diabétique. «Plus je vois de patients, plus on me confie de tâches et moins j’ai de temps pour les notes de suivi», explique Zina. La professionnelle de 28 ans réfléchit aussi à des présentations sur des bonnes pratiques médicamenteuses destinées aux équipes médicales de ses deux GMF et compte contacter les pharmaciens communautaires de Vaudreuil-Soulanges pour établir des délégations de suivi et accroître leur collaboration. «Monter des projets, ça prend du temps et de l’énergie, mais Rome ne s’est pas faite en un jour!» s’exclame-t-elle avec enthousiasme.Ce nouveau programme de l’AFPC est un projet pilote lancé avec le soutien financier d’Équipes de soins primaires, une initiative du gouvernement fédéral qui vise «à accélérer la mise en œuvre de changements transformateurs» en première ligne au Canada tout en facilitant les collaborations entre les professionnels de la santé. En l’occurrence, le cursus de l’AFPC avait pour objectif d’outiller les quatorze pharmaciens sélectionnés dans les différentes provinces (la moitié exerçant en communautaire, l’autre en clinique médicale) pour les aider à «tirer parti de l’élargissement du champ de pratique, des connaissances et habiletés uniques des pharmaciens en soins primaires».Lectures de littérature scientifique sur la collaboration interprofessionnelle, communication, leadership, gestion de projets et résolution de conflits, modules en ligne sur les compétences des pharmaciens ou la résolution de problèmes cliniques complexes, discussions entre stagiaires sur des cas concrets, activités de remue-méninge sur la profession et l’interdisciplinarité, la première partie du programme fut assez exigeante. Elle demandait un investissement personnel de 10 à 12 heures par semaine.Réflexions et prise de recul Un effort qui n’a pas découragé Zina ni Alexandre, qui étaient tous les deux soutenus par leur employeur. «Quand tu es en exercice, c’est difficile de prendre du recul. Là, pendant quatre mois, j’ai pu avoir de nombreuses réflexions sur l’inclusion du pharmacien communautaire dans l’équipe de soins, le partage de l’information médicale, le rôle de différents professionnels de la santé alliés, différents services cliniques, etc.», témoigne Alexandre.Les quatorze participants ont notamment pu comparer leurs champs de pratique. «Il varie beaucoup d’une province à l’autre», a constaté Zina, qui bénéficie d’une entente de pratique avancée en partenariat dans l’un des deux GMF où elle travaille. «Ça me donne de la lousse sur la prescription. En Colombie-Britannique, ils n’ont pas ça.» Depuis le 1er juin 2023, les pharmaciens de la province de l’Ouest canadien peuvent prescrire des médicaments pour traiter 21 affections mineures, «mais ce n’est pas encore vraiment implanté. Ils ont hâte», a-t-elle observé. Au-delà, «notre rôle en clinique est sensiblement le même: révision des dossiers complexes, suivis et ajustement de médication.»Jalousie envers le QuébecDans l’ensemble, «les autres pharmaciens étaient jaloux du Québec. Les ajustements autonomes, la prescription pour des conditions mineures, c’est plus nouveau ailleurs au Canada», signale Alexandre qui s’est rendu compte que le Dossier santé Québec (DSQ) n’est pas un si mauvais outil. «On le critique beaucoup, car il reste limité et il y manque des infos, mais on peut quand même instaurer des collaborations avec lui. En Ontario, leur DSQ n’est accessible que pour certains patients et tous les rapports et résultats n’y sont pas», s’est-il aperçu lors de son stage au Centre de médecine familiale de Bruyère, à Ottawa, qui prend en charge 20 000 patients. À lire aussi: Quel avenir en première ligne pour les pharmaciens?Son maître de stage, un pharmacien qui travaille à plein temps dans ce «gros GMF», ne peut pas établir d’ordonnance pour des conditions mineures ou pour des examens de laboratoire. «Il fait des suggestions et le médecin contresigne ses requêtes, mais pour lui, ce n’était pas une barrière à la collaboration. Quand la confiance est là, le médecin suit ses recommandations et sa contresignature est l’occasion de discuter du patient», indique Alexandre, inspiré par le leadership exercé par ce pharmacien expérimenté au sein de sa clinique. «Il fait beaucoup d’éducation médicale. Il produit des formulaires de bonne pratique et encourage les médecins à faire un bon usage des médicaments. Et ça marche! Les prescriptions de benzodiazépines, par exemple, j’en ai très peu vu durant mon stage.»Le pharmacien a notamment été impressionné par la somme d’informations à la disposition de ses pairs en clinique. «Il y a tellement d’infos que l’on n’a pas en pharmacie communautaire. Les DMÉ sont super complets. Ça montre un besoin de mieux partager ces renseignements entre nos milieux, dans les deux sens. Car nous avons aussi beaucoup d’infos dans nos dossiers pharmaceutiques, notamment sur l’adhésion aux traitements.» Au Centre de médecine familiale de Bruyère, Alexandre a participé aux réunions de l’équipe multidisciplinaire en santé mentale composée de travailleurs sociaux, de médecins psychiatres, d’infirmières praticiennes et du pharmacien. «Ils peuvent passer une heure à discuter du plan d’action pour un patient. En communautaire aussi, on peut s’impliquer», souligne-t-il en mentionnant la clinique du diabète instituée au sein de la pharmacie où il exerce et qui réunit une infirmière, une diététicienne et un kinésiologue. «La différence, c’est que le pharmacien communautaire fait certes partie de l’équipe de soins du patient, il y joue un rôle, mais il n’est pas impliqué dans les grandes décisions.»Être créatif et s’essayerAvec un peu de recul, Zina considère que le programme de l’AFPC lui a permis de voir, de façon concrète, à quoi peut ressembler une pratique idéale en GMF. «Ça matérialise ce que je veux faire sur le terrain. En clinique, on peut être un bon point de relais et on peut promouvoir le rôle du pharmacien communautaire auprès de l’équipe médicale», affirme-t-elle en soulignant que ces communications ne peuvent pas se faire par fax. «Ça prend des rencontres en personne pour apprendre à se connaître.»Le programme a nourri les réflexions d’Alexandre sur la collaboration interdisciplinaire. «On travaille encore en silos, on est dépendants les uns des autres. La prochaine étape, c’est d’être interdépendants, de clarifier les rôles de chacun pour déterminer quel est l’intervenant le plus pertinent pour le patient. Pour cela, il faut ouvrir le dialogue, bâtir des relations de confiance et ça ne passe pas par le fax ou le téléphone», corrobore le trentenaire. «On a besoin de rencontres en personne pour réduire la peur de l’autre», ajoute-t-il, plus motivé que jamais. «Il faut agir en leader, être créatif et penser territoire. Le champ des possibles est large. On doit identifier les opportunités, se lancer pour créer des trajectoires de soins en interprofessionnalité, et s’essayer!»

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