Résistance aux antibiotiques: retourner les armes des bactéries contre elles

Pour développer leur résistance aux antibiotiques, les bactéries disposent de deux stratégies. Elles peuvent muter, un processus relativement lent qui peut prendre plusieurs générations. Elles peuvent également se transmettre de petits fragments d’ADN circulaire — les plasmides conjugatifs — qui concourent à la dissémination des gènes de l’antibiorésistance. Dans ce cas-là, «le mécanisme est très rapide et devient exponentiel», souligne le professeur au département de biologie de l’Université de Sherbrooke, Sébastien Rodrigue. Alors que son confrère Vincent Burrus étudiait le fonctionnement des plasmides, les deux chercheurs ont eu l’idée, en 2014, de retourner les armes des bactéries contre elles en se servant de leur propre stratégie. «On s’est dit qu’à la place des gènes de la résistance aux antibiotiques, elles pourraient s’échanger un cheval de Troie qui les éliminerait», raconte le professeur Rodrigue. À cette époque, la technologie CRISPR devenait populaire dans le milieu de la biologie moléculaire, se souvient le chercheur en microbiologie et biotechnologie. Ce ciseau moléculaire permet de modifier le génome de tout être vivant, donc des bactéries. Avec son équipe, il a ainsi cherché à mettre au point un plasmide-couteau génétique qui viendrait remplacer une séquence de l’ADN des bactéries pathogènes présentes dans le microbiote, le but étant de les éradiquer. Ils ont d’abord cherché le bon plasmide conjugatif. «On en a testé du monde entier et l’un d’entre eux, que j’avais commandé un peu par hasard, le TP114, s’est avéré un “game changer”. Il était peu efficace en laboratoire, mais fantastique dans le microbiote. Il passait allégrement d’une bactérie à l’autre», indique Sébastien Rodrigue. Après l’avoir fait muter pour décupler sa capacité de propagation, les chercheurs ont associé le TP114 à un module CRISPR. Ils ont ensuite inséré le duo dans une bactérie probiotique qu’ils ont administrée à des souris infectées par des bactéries Citrobacter. L’effet a été immédiat. «Les souris n’ont pas développé de symptômes graves, et trois jours après, plus de 99,9% des Citrobacter étaient éliminées», explique le professeur de biologie. Le plasmide-CRISPR a effectivement saboté les bactéries de l’intérieur avec une efficacité comparable à celle des antibiotiques. Aussi efficace, moins dévastateur La différence, «c’est qu’avec les antibiotiques, on détruit toute la microflore pour éliminer une bactérie problématique. Avec notre technologie, on ne cible que les bactéries pathogènes antibiorésistantes. Les autres peuvent continuer à agir normalement», souligne Sébastien Rodrigue. L’équipe de recherche a également effectué des tests sur des porcs qui ont été tout aussi concluants. Pour passer à l’étape suivante de l’essai clinique sur des humains en vue d’une éventuelle commercialisation, le professeur Rodrigue a fait breveter sa technologie et il a cofondé une entreprise, Tatum bioscience, avec son collègue Kevin Neil, premier auteur de l’article paru en octobre 2021 dans la revue Molecular Systems Biology qui relate leur découverte. Lire aussi: Résistance aux antibiotiques: les malades chroniques plus à risque Dans l’immédiat, l’équipe de Sébastien Rodrigue se penche sur des maladies inflammatoires chroniques à évolution lente, comme la maladie de Crohn, afin d’en réduire les symptômes voire de la guérir. Ils imaginent aussi une boisson probiotique qui éliminerait la bactérie du Choléra qui présente une forte antibiorésistance. Ils pensent également à des onguents qui pourraient être utilisés en dermatologie contre des infections cutanées ainsi qu’à des gouttes ophtalmiques. «Notre principal défi reste l’acceptabilité sociale et médicale [de notre technologie]», signale néanmoins le chercheur. «C’est contre-intuitif d’inoculer une bactérie à un patient pour en combattre une autre. On doit présenter des résultats très convaincants pour dépasser ça. On doit aussi s’assurer que nos probiotiques ne donneront pas des outils aux bactéries lorsqu’ils se retrouveront dans l’environnement, via les égouts par exemple», ajoute-t-il en précisant travailler sur leur bioconfinement. «On cherche à les programmer pour qu’ils s’autodétruisent au bout de quelque temps.»

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