Remboursement des médicaments par des tiers: l'APPSQ dénonce un projet de règlement

Les compagnies pharmaceutiques pourraient bientôt avoir le droit de rembourser le prix des médicaments couverts lorsque la méthode du prix le plus bas ne s’applique pas ou qu’aucune version générique ou biosimilaire n’est remboursée. Proposé par le gouvernement, ce changement est dénoncé par l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), alors que l’Ordre des pharmaciens du Québec s’interroge sur celui-ci.Depuis l’adoption du projet de loi 92, en décembre 2016, la Loi sur l’assurance médicaments a été modifiée. Dans l'article 80, on y énonce l'interdiction pour les fabricants, grossistes et intermédiaires de payer une partie ou la totalité d’un médicament inscrit à une personne couverte par le régime général d’assurance médicaments au Québec.Le paragraphe stipule ensuite que des exceptions à cette interdiction pourraient être prévues par règlement du ministre de la Santé, notamment pour des raisons humanitaires.Ce projet de règlement, publié dans la Gazette officielle du Québec du 4 juillet dernier, édicte certaines «exceptions» à cette interdiction de payer ou de rembourser le prix d’un médicament.Mais plutôt que d’édicter des exceptions précises, le projet de règlement propose que les programmes de soutien financier soient toujours permis, à moins que la méthode du prix le plus bas s’applique ou qu’un médicament générique ou biosimilaire soit couvert par le régime, observe le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Bertrand Bolduc.«Ce règlement était supposé proposer des exceptions, et là, il n’y en a comme pas. Le co-paiement est permis selon certaines conditions qui ne sont pas très claires. [Le projet de règlement] est très large et il inclut plusieurs produits. Nous allons demander des précisions au gouvernement», commente le président de l'Ordre.De son côté, le président de l'APPSQ, Christophe Augé, qui espérait que ce règlement réglerait la question des rabais, se dit très déçu. «Au lieu d’être un règlement pour interdire les rabais, ça va être un règlement pour les autoriser dans la grande majorité. On va venir ajouter des problèmes au lieu d’en résoudre», déplore-t-il en entrevue avec ProfessionSanté.ca.Une lettre au ministre BarretteDans une lettre adressée au ministre de la Santé Gaétan Barrette, le président de l'APPSQ mentionne que, bien que le règlement permette de préserver le principe du plus bas prix, il oublie totalement les enjeux de l’usage optimal et de l’équité pour les patients.Ce dernier donne l’exemple d’un patient assuré par le régime public qui prend des médicaments et paye sa franchise coassurance au coût de 90 $ par mois.«S’il débute un médicament original, la compagnie va lui payer son maximum mensuel. Ceci est inéquitable pour les autres patients qui ont le même profil, mais qui ne prennent pas ces médicaments. Les patients vont exercer une pression sur leur médecin pour obtenir ces médicaments, non par nécessité clinique, mais pour des raisons financières. Ces médicaments étant généralement dispendieux, c’est la société qui assumera la majorité des coûts», illustre-t-il.Ce dernier ajoute que lors de mise en marché d’un générique ou d’un biosimilaire, le patient exercera une pression afin de changer pour un autre médicament novateur qui donne le même avantage. «Sinon, en faisant la transition vers le produit moins cher pour la société, le patient se retrouvera à devoir payer plus cher en devant assumer, de nouveau, son maximum mensuel», écrit-il.Clause grand-pèreDe plus, une autre exception est également proposée dans le projet de règlement : les patients ayant bénéficié d’un paiement ou d’un remboursement avant l’entrée en vigueur de l’interdiction pourront continuer à recevoir cette aide financière. Cette clause grand-père ne permettra donc pas l’adhésion de nouveaux clients à des programmes existants.Selon Christophe Augé, cela vient donner raison aux pharmaciens qui ne suivaient pas les recommandations de l'OPQ en acceptant les cartes de co-paiement de l'industrie et les encourage à continuer de permettre ces rabais à leurs patients. En outre, ceux qui ne les acceptaient pas se retrouvent dans l'impossibilité de les offrir.Un problème déontologiquePar ailleurs, s'il est adopté, ce règlement pourrait entrer en conflit avec le Code de déontologie de l’Ordre des pharmaciens du Québec, selon Christophe Augé.«Le Code de déontologie nous dit qu’on ne doit pas faire de rabais et puis, d’un autre côté, l’industrie pharmaceutique offre des rabais. On va avoir un petit problème déontologique», croit-il.L’article 98 du Code de déontologie de l’OPQ stipule que «la publicité faite par le pharmacien ou en son nom ne doit pas promouvoir la consommation de médicaments; contrevient notamment à cette obligation toute annonce d’un rabais, d’une ristourne, d’un cadeau, d’un timbre prime, d’un boni ou de tout autre avantage de même nature applicable à l’achat d’un médicament».La fin des programmes de fidélitéLe président de l’APPSQ a bien peu d’espoir de voir le gouvernement faire marche arrière, et ce, malgré la pression des pharmaciens.«Le gouvernement va sans doute dire que, comme c’est du marketing, cela regarde les compagnies privées et qu’il ne doive pas s’en occuper. Pourtant, ils l'ont déjà fait pour le projet de loi 92. Alors, pourquoi ne légifère-t-il pas lorsqu’il s’agit de l’industrie pharmaceutique?» se questionne-t-il.Pour l’heure, bien que, selon l’OPQ, il reste plusieurs questions en suspens concernant ce projet de règlement, l'Ordre se réjouit de savoir que les programmes de fidélité visant le maintien de l’utilisation d’un médicament innovateur à la suite de l’inscription à la liste des médicaments d’un concurrent générique seront bannis. Cette interdiction vient sécuriser l’allocation professionnelle des pharmaciens, qui ont vu récemment l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires entériner son entente avec le ministre Barrette.

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