Relève en pharmacie: les médias sociaux, un créneau à investir

«Ça m’a vraiment donné envie!», s'exclame Arianne Dépelteau à propos des contenus qu’elle a pu dénicher sur les médias sociaux au moment de s’orienter en pharmacie. Mais la jeune résidente à l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil reconnaît qu’elle a dû chercher un bout de temps avant de tomber sur des publications intéressantes. «Il y en a très peu… J’ai dû faire une recherche précise sur plusieurs plateformes pour voir ce qui était disponible», explique-t-elle, tenace. «J’ai fini par trouver les vlogs d’une pharmacienne hospitalière britannique, et ceux d’une pharmacienne nucléaire américaine qui racontait son implication clinique… D’autres présentaient l’organisation de leurs journées, ou des résultats d’études dans de petites capsules vidéo. Ça m’a aidé à me constituer une trousse à outils en vue des examens.»Les «influenceurs pharma» se comptent en effet sur les doigts d'une main au Québec, alors que la demande pour ce type de contenus semble s'accroître. Parmi eux, le couple star de TikTok Carletkate, ou encore l'incontournable Marie-Michèle Ghazal, avec son Journal d’une pharmacienne. «Je ne m’attendais pas à ce qu’autant de gens s’identifient aux messages que je partageais», révèle la blogueuse qui compte aujourd'hui 9000 abonnés sur Instagram. Cette dernière reçoit de nombreux témoignages et remerciements de la part de son jeune public. «L'un d'eux m’a particulièrement marquée: une jeune femme qui considérait s’orienter vers la pharmacie y avait renoncé après avoir entendu beaucoup de gens se plaindre des conditions de travail. Mais en regardant mes publications, et en me voyant parler de ma pratique, qui est très variée, elle a compris qu’elle avait plusieurs options en pharmacie. Elle n’avait pas conscience d’avoir autant d’avenues de pratique, et qu’elle pouvait même choisir de travailler à temps partiel!» La jeune femme s’est finalement inscrite en pharmacie il y a deux ans, pour le plus grand bonheur de Marie-Michèle Ghazal. Ouvrir des perspectivesJournal d’une pharmacienne est justement l’un des comptes que consulte régulièrement Arianne Dépelteau, qui a terminé son Pharm D. en 2022 et est entrée en maîtrise l’année dernière à l'Université Laval. «Ces personnes donnent une visibilité au métier de pharmacien, mais aussi aux études et aux défis que ça peut comporter.» Un flambeau qu’Arianne reprend avec joie, puisqu'elle participe désormais à des vidéos pour promouvoir le parcours en pharmacie au sein de son université.Comme elle, d'autres étudiants ont décidé de pallier le manque d’informations et de parler ouvertement des difficultés qu’ils ont dû affronter. C’est le cas d’Éli Blais, en premier cycle à l’Université Laval. «Je ne savais pas à quoi m’attendre en entrant en pharma, confie l’étudiant de 19 ans. J’ai toujours été intéressé par le domaine de la santé, et mon rôle de préposé aux soins intensifs à l’hôpital pendant la pandémie m’a fait découvrir le métier de pharmacien, son rôle privilégié auprès des patients pendant le suivi, et son rôle de conseil auprès des autres professionnels de santé.» À lire aussi: Les motivations de la relève en pharmacieAvant d’entamer son programme, Éli a donc fait, lui aussi, le tour des médias sociaux en tapant le mot-clé «pharmacie». Mis à part le Journal d’une pharmacienne et le podcast de l’Ordre des pharmaciens du Québec, l’offre se réduisait à peau de chagrin. Alors, il y a six mois, le jeune homme a décidé de lancer son podcast, L’Étudiant en pharmacie, en parallèle de ses études. Un pari osé. «Je voulais aider les étudiants déjà en pharmacie ou débutants à trouver les informations dont j'avais manqué, précise Éli. J’ai donc fait un épisode sur les différentes façons d’entrer en pharmacie, le stress que ça peut engendrer et comment le gérer. Et puis un second sur la santé mentale et la charge des étudiants, car c’est un programme difficile et on n’en parle pas beaucoup.» Des témoignages et des retours d’expérience pour enrichir la palette des profils et des parcours. Mais Éli souhaite aussi s’adresser à la génération suivante, pas encore convaincue par la pharmacie. «Je veux montrer aux jeunes du Cégep tout ce qu’ils vont pouvoir faire avec un diplôme en pharmacie, toutes les spécialités possibles, particulièrement à l’hôpital», le lieu où il a choisi de pratiquer plus tard. «Ça me paraissait inaccessible»La formule est gagnante. Si son podcast est déjà très populaire auprès de ses camarades et son engagement reconnu par la direction de l’Université – Éli a reçu un financement de la part de l’association étudiante et a décroché la bourse de l’implication étudiante d’une valeur de 2500$ –, il crée aussi des émules à l’extérieur de l’établissement.Cette jeune, c’est Justine, 20 ans. Actuellement en ergothérapie à l’Université de Montréal, elle avait mis de côté la pharmacie. «Ça me paraissait inaccessible», confie-t-elle. «Pour moi, c’est un parcours qui réclame d’excellents résultats. Mais en entendant que des étudiants avec les mêmes résultats que moi y étaient arrivés, ça m’a donné une lueur d’espoir. Je n'avais jamais entendu ce genre de témoignage, alors que c’est important pour en apprendre davantage sur le métier et les options qui s’offrent à nous.» Aujourd’hui, Justine espère obtenir les meilleures notes possibles pour pouvoir s’inscrire en pharmacie dès cet automne. À lire aussi: Pratique hors-norme: Michael Khazaka, pharmacien 3.0Montrer que la pharmacie est demandante, mais accessible: c’est exactement le but de Moses Boachie, alias Le Pharmacoach. Ultrapopulaire sur les réseaux et au sein de la profession, ce jeune trentenaire veut dépoussiérer l’image de la pharmacie auprès du jeune public. «Il faut faire la promotion de la pharmacie sur les médias sociaux, là où se trouvent les jeunes. Il faut leur faire découvrir le métier en montrant ce qu’on fait, avec des vidéos, des vlogs, comme une journée dans la vie d’un pharmacien par exemple», s’enthousiasme-t-il.«Avant d’entrer en pharmacie, je n’étais pas vraiment familier avec le rôle du pharmacien, alors même que ma grande sœur est pharmacienne – et elle non plus ne savait pas trop dans quoi elle s’embarquait. Les gens pensent encore qu’on ne fait que compter des pilules. C’est vraiment en entrant dans la profession et en étudiant que tu te rends compte de ce que ça implique.» Selon lui, au-delà du salaire ou du nombre de jours de congé, les futurs professionnels veulent savoir comment ils pourront avoir un impact social, agir pour leur communauté. Lorsque Moses Boachie a créé Le Pharmacoach, en pleine pandémie de COVID, l’une de ses motivations était d’apporter une réponse aux difficultés rencontrées par les pharmaciens, notamment la pénurie de main-d'œuvre. «L’une des solutions était de miser sur le recrutement, et donc sur les jeunes.»Dépoussiérer et désenclaver la pharmacieLe problème, c’est que la pharmacie québécoise pâtit encore de son image vieillotte: «très traditionnelle», selon Arianne Dépelteau, carrément «conservatrice», pour Moses Boachie. «Un jeune m’a dit un jour que pour lui, un pharmacien était un vieux monsieur blanc», sourit-il, amer. Tous s’accordent pour dire que, en dépit d’un flot de contenus légers, divertissants et jugés peu sérieux, les réseaux sociaux peuvent être un lieu d’apprentissage et d’échange avec un nouveau public. «Le problème, si on se cantonne à faire de la sensibilisation dans les médias traditionnels, c’est qu’on ne touchera pas les jeunes, explique Marie-Michèle Ghazal, habituée des plateaux. Avec les médias sociaux, j’ai un impact sur le futur de la profession.» Si elle comprend la frilosité de certains de ses collègues à utiliser des médias qui ne leur sont pas familiers, la pharmacienne insiste sur la nécessité d’intervenir par différents biais. «Il faut aussi être présent pour contrer la désinformation qui y règne.» À lire aussi: Pharmaciens: choisir de travailler en région ruraleAujourd’hui, ces pharmaciens influenceurs incitent leurs collègues à prendre le tournant des réseaux sociaux pour donner envie aux étudiants de les rejoindre. «Ce n’est ni plus ni moins que du marketing, au sens qu’il faut vendre notre profession, donner envie», explique Moses Boachie. Et pour y parvenir, les idées ne manquent pas: «il faudrait peut-être des publicités ciblées pour promouvoir le programme de pharmacie – surtout d’établissement où la pénurie de personnel est énorme – et qui apparaîtraient dans certaines vidéos sur les médias sociaux», propose Arianne Dépelteau. De son côté, Éli Blais estime qu’il pourrait être «très pertinent de montrer des journées dans la vie d’un pharmacien de différents milieux, à travers de courtes vidéos sur Instagram ou Tiktok». Marie-Michèle Ghazal, elle, a pour projet de se rendre dans des établissements secondaires afin d'y faire découvrir la pharmacie et les parcours accessibles. Enfin, le Pharmacoach prépare un programme de formation à destination des pharmaciens qui voudraient se lancer sur les réseaux. «Nous avons été éduqués à ne pas faire trop de bruit, à ne jamais s’imposer, à rester à notre place pendant que le médecin prenait ses décisions. Nous sommes une profession très docile. Mais il faut commencer à prendre la parole et à faire rayonner la pharmacie pour qu’elle soit respectée.»

Relève en pharmacie: les médias sociaux, un créneau à investir

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes