Recherche: Soigner la déprime des cœurs malades

Le stress et la dépression font mal au cœur ! C’est du moins une des conclusions à laquelle sont arrivés Nancy Frasure-Smith, professeure au département de psychiatrie de l’Université McGill, et le Dr François Lespérance chef du département de psychiatrie du CHUM. Tous deux sont venus expliquer où l’on en était en matière de recherche sur la relation entre les maladies coronariennes et la dépression, dans le cadre du colloque « Quand le cœur fait à sa tête – les interactions cœur-cerveau en santé mentale », organisé par le centre de recherche Fernand-Seguin, de l’Hôpital Louis-H.Lafontaine.Même si l’impact négatif de la dépression sur la mortalité cardiovasculaire est bien documenté, les mécanismes comportementaux et physiopathologiques qui pourraient expliquer cette association sont encore mal compris. La Pre Frasure-Smith rappelle que 30 à 40 % des cardiaques montreraient des symptômes dépressifs. Le Dr Lespérance ajoute que 15 à 20 % des patients font une « dépression majeure » pendant leur événement cardiaque. Et 8 à 10 % ont encore des symptômes graves de dépression un à deux mois plus tard. Bref, un cardiaque aurait deux fois plus de risques de faire une dépression qu’un individu issu de la population en général.Ces chiffres ont un impact direct sur les chances de survie. « La dépression est un facteur de risque de mortalité aussi important après un infarctus du myocarde, à court comme à long terme, que la fonction ventriculaire ou le diabète », indique la Pre Frasure-Smith. On n’a pas encore de preuves que des traitements antidépresseurs pourraient faire diminuer le risque cardiovasculaire augmenté chez le patient déprimé. En attendant des essais cliniques qui pourraient guider les interventions, les deux chercheurs estiment que les médecins devraient continuer à se concentrer sur la prise en charge optimale des facteurs de risque traditionnels pour réduire les risques de récidives d’événements cardiaques.Action !L’arrivée d’un malade cardiaque déprimé dans le bureau d’un médecin de famille doit sonner l’alarme. Il est probable qu’il aura de la difficulté à suivre les recommandations médicales standard. « Les déprimés ont plus de problèmes d’observance des médicaments, d’inactivité physique, de nutrition déficiente ou encore de maîtrise de l’hypertension et du diabète », souligne le Dr François Lespérance. Les actions à poser sont alors les suivantes : mettre en place la réadaptation cardiaque; réévaluer les facteurs dépressifs au bout d’un à deux mois; donner un traitement antidépresseur si la dépression s’avère soutenue et sévère.« Le premier conseil que formule notre équipe de recherche est que les patients déprimés devraient être particulièrement bien surveillés. Il faut faire plus d’efforts en matière de suivi de leur réadaptation cardiaque parce qu’on sait que ces personnes sont à risque », précise le Dr Lespérance. Il semble assez clair que les patients déprimés ne suivent pas aussi bien leur traitement que les non-déprimés – par exemple, une étude a montré qu’ils oublient de prendre leurs médicaments pour le cœur trois fois plus souvent que les patients non déprimés. Par ailleurs, des recherches ont montré que les déprimés ont tendance à l’inactivité physique et ne maîtrisent pas aussi bien les effets de leurs autres facteurs de risque.Faites courir vos patients !On n’a pas encore pu prouver les effets bénéfiques que pourrait avoir une intervention psychologique pour améliorer la santé cardiovasculaire. En revanche, l’activité sportive modérée, bien supervisée et régulière, a des effets positifs prouvés sur le risque cardiaque et la dépression. Le Dr Lespérance préconise donc « de l’encourager comme base thérapeutique en général et, particulièrement, pour les patients déprimés ». Évidemment, cela ne veut pas dire que l’on doive tout abandonner au profit de cette approche. La médication reste encore le traitement le mieux documenté contre la dépression majeure, affirme le psychiatre.Traitements recommandés pour les patients coronariens déprimés1er choix : sertraline ou citalopram2e choix : bupropionOmega-3 pour tous en prévention secondaireÉviter : tricycliques et venlafaxinePrécautions à prendre, car risque d’interactions médicamenteuses : paroxétine et fluoxétinePotentialisation possible de l’anti-dépresseur : lithium et mirtazapineComposantes de base de la réadaptation cardiaque Activité physiqueNutritionTraitements pharmacologiques bien compris et suivisMaîtrise des facteurs de risqueLes chercheurs continuent donc à essayer de comprendre de quelles façons le cerveau et le système cardiovasculaire entretiennent des relations entre eux. « Des mécanismes biologiques plausibles viennent lier la dépression aux cardiopathies coronariennes», explique la Pre Frasure-Smith. Ainsi, on sait maintenant que le stress et l’anxiété peuvent influer sur la régulation de l’inflammation. « L’inflammation est probablement une voie commune dans la physiopathologie de la dépression et des maladies cardiovasculaires. Dans les deux cas, on note des perturbations dans la régulation de l’inflammation qui a du mal à revenir à la normale », mentionne le Dr Lespérance. En clair, les chercheurs sont en train de montrer que le stress nourrit l’inflammation et que cette dernière augmente les comportements dépressifs. Une boucle négative qui s’influence elle-même et dont il faut sortir le patient pour l’aider efficacement. « Moduler l’inflammation est en train de devenir une nouvelle voie thérapeutique pour traiter la dépression », conclut le Dr Lespérance.Données en vracLes antidépresseurs sont plus efficaces dans les dépressions récurrentes que lors des premiers épisodes dépressifs observés chez les cardiaques.Une augmentation de l’inflammation pourrait être associée à des comportements qui ressemblent à ceux de la dépression. Inversement, le stress augmenterait les facteurs inflammatoires et pourrait contribuer à la dépression.La prévention des événements cardiaques par des interventions psychologiques indique une réponse plutôt favorable des hommes et plutôt défavorable des femmes. D’autres études sont nécessaires pour comprendre la spécificité du sexe dans l’évolution des maladies cardiaques et la réponse aux traitements.

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