Radié deux mois pour des notes rectifiées après une mortinaissance

Le matin du 28 mars 2019, le Dr Martin Rioux est informé qu’une de ses patientes, dont il assure le suivi de grossesse, s’est présentée dans la nuit à l’hôpital de Roberval en raison d’une perte de liquide et de sang. Il est appelé par une infirmière qui lui indique que le cœur du fœtus de 32 semaines ne bat plus. À son arrivée sur place, l’obstétricien constate le décès du bébé in utero. Dans la foulée, il va dans le dossier médical de sa patiente modifier sa note de consultation du 26 mars 2019, un rendez-vous durant lequel la femme l’avait informé que son bébé bougeait moins depuis quelques jours. Le clinicien la modifie à nouveau 30 minutes plus tard, puis la complète une heure après, sans mentionner la date ni l’heure de ses ajouts. Huit jours passent et le Dr Rioux revoit sa patiente pour un suivi post-partum. Sa note de consultation ne documente pas l’ensemble de la rencontre — notamment les prescriptions de bilans — et certains mots ont été coupés. La patiente finit par déposer une demande d’enquête auprès du Bureau du syndic du Collège des médecins du Québec, trois mois après la mort de son bébé. Celle-ci est d’abord classée sans suite, avant qu’une demande de révision n’aboutisse à la nomination d’un nouvel enquêteur qui va porter plainte contre l’obstétricien. Initialement, la poursuite en déontologie comptait sept chefs d’accusation. Après de longues négociations, les parties ont convenu d’en retirer cinq, en raison des preuves apportées par le médecin, tandis que ce dernier a plaidé coupable pour les deux chefs restants, ceux relatifs à ses notes au dossier médical de la patiente. Le Conseil de discipline du Collège a entériné son plaidoyer de culpabilité, le 26 septembre dernier, ainsi que la recommandation conjointe sur les sanctions à lui imposer. Pour avoir contrevenu à l’article 8 du Règlement sur les dossiers, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin, le Dr Rioux est radié pour une période de deux mois. Cet article stipule que «toute inscription au dossier doit être permanente. Lorsque l’auteur d’une inscription veut la rectifier a posteriori, il doit procéder par l’ajout d’une nouvelle inscription au dossier, indiquant notamment qu’il a biffé l’inscription initiale, laquelle doit cependant demeurer lisible ainsi que la date de la modification.» Trois modifications post mortem Quelques minutes après avoir constaté la mort du bébé, le médecin est allé modifier la note de suivi enregistrée deux jours auparavant, en y ajoutant des informations. Il y avait au départ écrit: «Sent moins bouger BB depuis 4-5 jours Écho 21/03 Glycémie Î si ingestion de sucre (8.8-12 mmol/L 1 pc) samedi perte de vision œil droit +- 5 secondes et hier +- 10 minutes (vision trouble) synthroïde 0.05» Après modification, la note se lisait ainsi: «Sent moins bouger BB depuis 4-5 jours Écho 21/03 Glycémie Î si ingestion de sucre (8.8-12 mmol/L 1 pc) sinon toutes normales avec la diète (< 6 1 hre PC) TSH normale, T4 à 9.4 limite → synthroide 0.05» (les éléments modifiés ont été soulignés par les parties, mentionne la décision du Conseil de discipline) Une demi-heure plus tard, le médecin rectifie à nouveau sa note de la façon suivante: «BBBB (moins des gros mouvements) Écho 21/03 Glycémie Î si ingestion de sucre (8.8-12 mmol/L 1 pc) sinon toutes normales avec la diète (< 6 1 hre PC) TSH normale, T4 à 9.4 limite → synthroide 0.05» Puis il la modifie une dernière fois en y ajoutant les résultats d’un test d’urine et d’une échographie. Aucun de ses ajouts ne mentionne l’heure et la date auxquels ils ont été effectués. Durant l’enquête et à l’audience, le Dr Rioux va faire amende honorable. Il a reconnu ses fautes, plaidé coupable à la première occasion et il dit éprouver des regrets. Le médecin rappelle qu’il ne lui est pas reproché d’avoir inscrit de fausses notes au dossier de sa patiente ni des notes qu’il sait erronées. Selon lui, l’erreur qu’il a commise se limite à la façon dont il s’est pris pour apporter une modification et compléter sa note de consultation, rapporte la décision. Lire aussi: Radié temporairement pour avoir usurpé l’identité de deux collègues S’agissant du deuxième chef d’accusation, relatif à la note de la consultation post-partum, le Conseil de discipline a jugé que l’obstétricien «a fait défaut de s’assurer que les inscriptions versées au dossier médical de sa patiente […] soient complètes, le tout contrairement à l’article 6 du Règlement sur les dossiers, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin.» Article 6 qui liste les 13 renseignements et documents qu’un clinicien est tenu de verser au dossier médical de son patient. «Une infraction sérieuse» En l’occurrence, le Dr Rioux n’a pas documenté le transfert des soins vers le médecin de famille de la patiente ni qu’il a prescrit des bilans sanguins et urinaires et de thrombophilie dont les résultats devront lui être transmis. De plus, certains mots semblent avoir été tronqués ou coupés lors de la transcription de la note dans le système informatique de la clinique, signale la décision. Pour ces manquements, le Dr Rioux écope d’une amende de 2500$. Le Conseil de discipline souligne qu’il s’agit d’«une infraction sérieuse puisque la tenue de dossiers constitue un élément fondamental à la pratique de toute profession du domaine de la santé.» Il rappelle qu’à travers un dossier, le médecin «doit permettre à tout patient, ainsi qu’à tout autre professionnel de la santé ayant droit de le consulter, d’y constater notamment les traitements prodigués, les réactions du patient à l’égard des traitements et les notes sur l’évolution de son état de santé.» Lire aussi: Un radiologiste sanctionné pour avoir tardé à compléter son protocole Le Conseil a enfin estimé que le risque de récidive du médecin est faible. Le Dr Rioux, qui n’avait pas d’antécédents disciplinaires, a accepté une limitation d’exercice et ne réalise plus de suivi de grossesse depuis le 25 mai 2020. En janvier dernier, il a également suivi une formation de 30 minutes sur la tenue de dossiers, dispensée par l’Association canadienne de protection médicale. L’obstétricien «comprend l’importance de consigner le moment précis de chaque note médicale tardive et a modifié sa pratique en conséquence», mentionne la décision.

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