Radiation provisoire: un tribunal annule une décision du CMQ

Dans un jugement rendu le 7 juin, le Tribunal a annulé la décision du Comité exécutif du Collège des médecins du Québec (CMQ) prise à son endroit le 28 mars 2019. Les faits remontent au début de l’année 2019. Des personnes dans l’entourage professionnel de la Dre Lafontaine avaient communiqué avec le bureau du syndic du Collège pour lui rapporter le comportement et des propos inquiétants de cette dernière. À cette époque, elle était toujours en pratique, mais elle était suivie par un psychiatre, le Dr Jean-Pierre Melun. Le syndic-adjoint du Collège l’avait rencontrée pour discuter de sa situation. Il lui avait proposé de signer un engagement à ne pas travailler tant que son psychiatre ne s’était pas prononcé sur sa capacité à pratiquer. La Dre Lafontaine avait refusé car elle était déjà en arrêt pour deux semaines et qu’elle devait revoir le Dr Melun, le lendemain. Le 13 février 2019, le psychiatre lui a remis en mains propres un certificat médical qu’elle a transmis au syndic. Ce certificat est libellé ainsi : «Madame Isabelle Lafontaine est suivie à notre clinique externe de psychiatrie à l’IUSMM depuis juin 2015 pour une condition médicale actuellement en rémission. Nous continuons à la suivre en raison de facteurs de stress psychosociaux auxquels elle est confrontée. Cette condition ne la rend pas inapte à exercer la médecine selon notre évaluation». (en souligné dans le jugement). Six jours plus tard, le syndic a communiqué par téléphone avec la Dre Lafontaine, lui indiquant à cette occasion qu’il souhaitait qu’elle soit évaluée par un autre psychiatre que le Dr Melun. Lors de leur discussion, la Dre Lafontaine avait demandé au syndic de se presser, «parce que moi ça m’inquiète là de revoir les patients sans le support du Collège des médecins du Québec», avait-elle dit. Avis de limitation Le 12 mars 2019, un «avis de limitation» est affiché dans le bottin des médecins et mentionne que la Dre Lafontaine «a cessé temporairement l’exercice de la médecine». Le 25 mars, celle-ci transmet ses représentations écrites au Collège, ainsi qu’une clé USB contenant un enregistrement audio d’une durée de 6 heures 20 de «bruits anormaux dans la maison». Deux jours plus tard, elle avise le Collège qu’elle ferme sa clinique à Acton Vale. Dans les jours qui suivent, le Comité exécutif du CMQ est saisi des informations recueillies par sa Direction des enquêtes. Le signalement fait état de plusieurs comportements et propos inquiétants au sujet de la Dre Lafontaine. Elle dit entendre des voix et se sentir observée. Elle croit que des objets sont déplacés dans son domicile à son insu. Elle manifeste une grande préoccupation pour sa sécurité personnelle. Elle est extrêmement méfiante et croit se faire voler. À lire aussi: Un médecin radié à vie pour une série de gestes à caractère sexuel Convaincu par les documents que l’état de santé psychique de la Dre Lafontaine est incompatible avec l’exercice de la médecine et que la santé et la sécurité du public peuvent être menacées, le Comité ordonne sa radiation provisoire, le 28 mars 2019, jusqu’à ce que la procédure d’examen médical ait été complétée et qu’une décision ait été prise en conséquence. Un appel qui n’est pas théorique Jugeant cette décision erronée, la Dre Fontaine a décidé d’en appeler, même si un sursis de l’ordonnance de sa radiation provisoire a été prononcé le 13 juin 2019. Elle a reproché au Comité de ne pas avoir tenu compte de certains éléments de preuve, notamment l’avis médical de son propre psychiatre. Elle a soulevé aussi l’absence de motivation relative à la notion d’urgence et de preuve médicale disponible. Devant la cour, le Collège des médecins s’est interrogé sur l’utilité de son appel puisque la situation était réglée, mais le Tribunal ne s’est pas montré de cet avis. Même si la décision du Comité a fait l’objet d’un sursis en 2019 et que le résultat de l’examen médical lui a permis de reprendre sa pratique quelques semaines plus tard, cet appel n’était pas théorique, ont estimé les trois juges. Dans leur jugement, ils évoquent l’affaire Collett qui réfère à «l’enjeu réputationnel» d’un professionnel radié de façon provisoire dans un contexte réglementaire similaire. «L’enjeu soulevé par l’appelante quant à sa réputation est indéniable, écrivent les trois magistrats: la décision du Comité et la mention explicite de la radiation provisoire de l’appelante au bottin des médecins entraînent un stigmate évident. La reprise de l’exercice de la profession par l’appelante quelques semaines plus tard contribue, en partie seulement, à corriger le tir.» L’avocat de la Dre Lafontaine, Me Marc Dufour, associé chez McCarthy Tétrault, a aussi attaqué le caractère d’urgence invoqué par le Collège pour lui imposer une radiation provisoire. Il a soulevé que la seule preuve médicale existante au moment où le Comité a pris sa décision reposait sur le certificat de son psychiatre traitant, daté du 13 février 2019. Ce certificat confirmait son aptitude à exercer. Or, la décision du Collège n’en fait pas mention. La Tribunal a par ailleurs reproché au Collège d’avoir omis de se référer aux différents engagements verbaux pris par la Dre Lafontaine et a négligé aussi de faire mention de la fermeture de sa clinique la veille de la séance du Comité. Il lui reproche également d’avoir occulté l’avis médical émis par son psychiatre. Selon lui, cette preuve médicale était de nature à rassurer le Comité, mais il n’en traite pas. «Si le Comité était d’avis qu’il y a eu une détérioration de l’état de l’appelante entre le moment où elle a été vue par son médecin traitant et la date de la séance, il devait en faire mention afin de lui permettre de comprendre pourquoi l’opinion de son médecin traitant a été écartée, écrivent les juges. Pour le Tribunal, le cumul de ces omissions prive l’appelante de la possibilité de comprendre pourquoi le Comité a conclu que d’une part, il y avait urgence, et que d’autre part, l’opinion de son médecin traitant ne le convainquait pas.» Le Tribunal conclut donc à l’erreur de droit découlant de l’insuffisance des motifs du Collège sur les deux éléments cruciaux qu’il devait traiter avant de procéder à la radiation provisoire. Il a donc annulé sa décision du 28 mars 2019 qui ordonnait la radiation provisoire de la Dre Lafontaine.

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