Québec va mettre fin à l’entente sur les inscriptions collectives

Article mis à jour à 11h46 avec la déclaration du cabinet du ministre de la Santé, puis à 12h31 avec les observations de la Dre Valérie-Anne Gagnon et à 13h47 avec des informations obtenues par La Presse.C’est un coup de tonnerre qui s’abat sur la première ligne et les médecins de famille. Dans une communication envoyée à ses membres mercredi soir, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) informe que le gouvernement ne renouvellera pas l’entente n° 368 visant à accroître l’accès à l’offre de services en première ligne et l’interdisciplinarité. «Cela équivaut dès lors à mettre un terme à l’une des rares réussites que le Québec aura connues ces dernières années dans l’amélioration de l’accès aux soins. Une coupure nette dans les services médicaux et soins de première ligne», déplore la FMOQ qui invite le gouvernement à revoir sa position et «à prolonger l’entente n° 368 jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord-cadre».Dans le cadre de cette entente conclue en mai 2022, plus de 900 000 Québécoises et Québécois figurant au guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) ont été inscrits collectivement à un groupe de médecins. En contrepartie, ces médecins se sont engagés à offrir un rendez-vous par an à ces patients-là et pour chacun d’eux, ils perçoivent un forfait annuel de 120$.Dans un contexte de déficit budgétaire, ProfessionSanté.ca avait appris en début de semaine que le Conseil du trésor poussait le ministère de la Santé à mettre un terme à cette entente jugée trop dispendieuse. «On nous a informés à notre stupéfaction dans la première semaine d’avril que l’entente se terminerait le 31 mai, sans prolongation», confirme par courriel le porte-parole de la FMOQ, Jean-Pierre Dion. Il précise que la Fédération «ne voulait pas un dollar de plus. On était ouvert à la discussion sur les modalités mêmes (de l’entente) et on l’est encore si le gouvernement change d’idée». Il ajoute toutefois qu’à Québec, «la porte est fermée». En cours d'évaluation à QuébecSollicité par ProfessionSanté.ca, le cabinet du ministre de la Santé indique par courriel que «les objectifs et les modalités de l’entente n° 368 devront être rediscutés avec le renouvellement de l’entente-cadre (avec la FMOQ). D’ici là, nous prendrons le temps de bien évaluer les résultats obtenus depuis la signature de l’entente. Nous devons nous assurer que les investissements favorisent le maximum d’accès et de soins aux patients. Entre-temps, nous nous attendons à ce que chacune des parties respecte ses engagements.»À la période de questions ce jeudi matin à l'Assemblée nationale, Christian Dubé a pour sa part affirmé qu'il était faux de prétendre que son gouvernement allait déchirer cette entente, rapporte La Presse canadienne. Le ministre a assuré qu'il est en négociations avec la FMOQ pour renouveler l'entente et qu'il compte sur le professionnalisme des médecins pour ne pas abandonner leurs patients.À lire aussi: Patients orphelins: Dubé déplore la «désinformation»Selon des données obtenues par La Presse auprès du gouvernement, les médecins de famille n'auraient pas respecté leurs engagements en lien avec l’entente n° 368. La moitié des 910 000 patients inscrits à un GMF aurait ainsi vu l’un des médecins de son groupe dans les deux dernières années, alors que l’entente prévoit que le GMF est censé offrir une plage de rendez-vous par an pour chaque patient inscrit collectivement.L’article de La Presse précise que Christian Dubé veut également évaluer si des plages de rendez-vous ne seraient pas ouvertes à la dernière minute, en fin de journée, dans l’unique but de respecter les termes de l’entente, mais sans que les patients puissent en bénéficier. «Les dollars ont été donnés. Mais est-ce que les rendez-vous additionnels ont été pris? C’est ça que je veux vérifier», a déclaré le ministre de la Santé à nos confrères.Si les choses restent en l’état, la Lettre d’entente n° 368 sera échue à compter du 1er juin 2024. «Les modalités de financement afférentes seront supprimées», précise la FMOQ. «Il en ira de même pour les autres mesures d’accès que couvrent les lettres d’entente n° 370 (montants forfaitaires 2e ligne), n° 372 (montants forfaitaires régions éloignées), n° 374 (milieux non GMF) et n° 376 (montants forfaitaires clientèles spécifiques).»Vis-à-vis des patients inscrits collectivement, «la Fédération n’a pas de recommandation particulière à faire à ses membres à l’égard de cette navrante situation», peut-on lire dans le courrier de la FMOQ qui indique néanmoins les options qui s’offrent aux médecins de famille concernés.Ces derniers peuvent continuer à offrir des services aux patients qui faisaient l’objet d’une inscription collective, «mais sans le financement qui l’accompagnait». Ils peuvent réaffecter les plages offertes en inscription collective en rendez-vous pour des patients orphelins passant par le Guichet d’accès à la première ligne (GAP). Ils peuvent également inscrire individuellement des patients autrefois inscrits collectivement. Enfin, ils peuvent «ne plus offrir de plages GAP et en informer le DRMG [Département régional de médecine générale, NDLR]». Premières réactionsPour les GMF qui ont mis l’épaule à la roue en inscrivant collectivement des milliers de patients, c’est un gros coup dur. La plupart ont en effet dû réorganiser leur mode de fonctionnement afin de l’adapter aux exigences de l’inscription collective. Grâce aux financements associés, certains avaient pu embaucher du personnel additionnel. C'est le cas par exemple de la Dre Valérie-Anne Gagnon, médecin responsable du GMF Lafontaine, à Rivière-du-Loup, qui se dit «un peu à terre» après avoir appris la nouvelle. «J'ai monté une magnifique équipe interdisciplinaire avec ces subventions et, surtout, j'ai vraiment eu l'impression d'aider des gens qui avaient des besoins, de leur fournir le bon professionnel au bon moment.»Si elle s’attend à devoir avoir «des conversations difficiles et désagréables» avec des membres de son équipe, la Dre Gagnon déplore jouer à un jeu dont les règles changent constamment tout en regrettant que le gouvernement veuille mettre fin à l’entente. «J'avais l'impression par cette mesure qu'on parviendrait à transformer l'accès aux soins au Québec. Que la population comprendrait que ce n'est pas tout le monde qui a besoin d'un médecin de famille, d'un phare unique dans la tempête, mais que tout le monde a besoin d'accès à des soins en moment opportun, qui peuvent être dispensés en équipe, par une variété de professionnels ayant chacun leur expertise», déclare l’omnipraticienne en ajoutant que pour elle, «c’était un tremplin vers un changement de mentalité collectif».«On se relèvera, on se relève toujours. Mais ça pèse lourd sur les soignants ce genre de politicaillage», poursuit la Dre Gagnon, qui se définit comme une «éternelle idéaliste». «J'essaie juste d'aider du monde,mais j'ai besoin de ressources pour le faire comme il faut. Pourquoi je dois mettre toute cette énergie et ce temps pour grapiller ce dont j'ai besoin pour bien soigner?» interroge-t-elle, résignée.Sur le réseau social X (feu Twitter), le Dr Simon-Pierre Landry indiquait hier en début de soirée être «plus que confus». S’adressant au ministre de la Santé Christian Dubé, il estime que «cette décision met en péril une de vos plus belles réalisations: le GAP». Le médecin de famille affirme que sans le renouvellement de l’entente, «le réseau GAP et son principe du triage et de la pertinence, pour l’accès aux soins primaires pour les patients sans (médecin de famille) va tomber. Alors que vous venez d’investir des millions pour engager des infirmières et du personnel de soutien.»Une de ses consœurs, la Dre Sophie Bernier, lui répond en trouvant que la situation «est RIDICULE. Tant de ressources mobilisées pour cesser après 18 mois… très mauvaise décision pour tout le monde: les nouveaux employés, les médecins qui ont embarqué dans le projet, mais surtout les patients!!!»Le Dr Landry poursuit en écrivant: «Peut-être que c’est simplement une méthode de négo pour faire baisser le montant du forfait. Oui, je suis de ceux qui pensent que le forfait pourrait être revu à la baisse. Mais pas aboli. Pour une fois que quelque chose fonctionnait. (…) Mais si c’est une manière de négocier, c’est tirer dans la chaloupe (une chaloupe qui fonctionnait en plus). Plusieurs collègues me textent leur découragement et l’annonce vient juste de se faire ce soir par courriel…» L’omnipraticien ajoute enfin: «Possible que ce soit le Trésor qui vous mette de la pression. Mais sérieusement il y a beaucoup d’autres endroits dans le système de santé pour faire des économies. Le GAP lui fait ÉCONOMISER de l’argent en améliorant l’accès à la première ligne.»

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