«Quand on pense aux patients en premier, on ne se trompe jamais» - Bertrand Bolduc

Entrevue | Profession Santé, mai 2023 Par Christian Leduc et Justine Montminy Président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pendant neuf ans, Bertrand Bolduc quitte son poste avec le sentiment du devoir accompli. Entrevue-bilan, mais qui ouvre la porte sur l’avenir de la pharmacie et de l’interdisciplinarité. Bertrand Bolduc a été nommé président de l’OPQ en 2014, lorsque sa prédécesseure, Diane Lamarre, s’est lancée en politique. Il a par la suite été élu par acclamation pour deux mandats de quatre ans. Sa présidence a été marquée par le déploiement des nouvelles activités des pharmaciens permises dans un premier temps par la loi 41, en 2015, puis par la loi 31, en 2020. Durant cette période charnière dans l’histoire de la pharmacie québécoise, les pharmaciens ont notamment appris à devenir des prescripteurs et des vaccinateurs. Ces nouvelles activités ont vraiment pris leur envol durant la pandémie de la COVID-19. S'il passe le flambeau à Jean-François Desgagné, élu le 3 mai dernier, Bertrand Bolduc est convaincu que la flamme est encore bien vive. Qu’êtes-vous le plus fier d’avoir accompli durant votre présidence? Ce n’est pas une question facile. Un mot me vient quand même en tête : «relations», tant avec les membres qu’avec les parties prenantes, les autres ordres professionnels et le Ministère. Il y avait des relations avant que j’arrive, mais elles n’étaient pas optimales. Ce n’était pas juste à cause de nous, bien au contraire. Il y avait beaucoup de rivalité, des chasses gardées, un manque de confiance mutuelle et des silos. Au fur et à mesure que le temps a passé, et que les personnes ont changé, on a pu bâtir des relations avec tout le monde. Nous avons bâti des relations plus solides avec l’AQPP, avec laquelle nous avions eu souvent des tensions, ainsi qu’avec la deuxième mouture de l’APPSQ, l’AQATP et d’autres organisations qui ont vu le jour comme la FPQ. Grâce à cette concertation, le projet de loi 31 n’a pas été le projet de l’Ordre seulement, ça a été le projet de toute la pharmacie. Avec Charles Bernard, Mauril Gaudreault et Luc Mathieu [NDLR: les présidents consécutifs du Collège des médecins du Québec et le président actuel de l’OIIQ], on a construit des choses durables et fructueuses pour tout le monde. Ça a facilité la mise en place de normes et de lignes directrices, car non seulement nous étions plus proches, mais nous communiquions plus fréquemment. Je tiens aussi à remercier personnellement Lucie Tremblay [NDLR: l’ex-présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ)], car elle a permis un rapprochement entre les pharmaciens et les infirmières, ainsi qu’entre nos organisations respectives. Avez-vous accompli tout ce que vous souhaitiez? Non ! J’ai réussi à faire tout ce qui dépendait de moi, mais il reste encore plein de choses à réaliser, comme faire valoir la place du pharmacien dans le Plan Santé de Christian Dubé ou reconnaître enfin la spécialisation des pharmaciens d’établissement. Il y a une fenêtre d’opportunité actuellement. Même si je quitte, la permanence reste là, donc les démarches en ce sens vont continuer. Il faudrait aussi régler la pénurie de main-d’œuvre et poursuivre la réorganisation des pharmacies pour qu’elles soient plus adaptées à la nouvelle offre de services. Mais la principale chose qui reste à faire collectivement, c’est l’éducation du public : les patients devront réaliser qu’il n’y a pas juste les médecins qu’ils peuvent consulter. Quels ont été les principaux obstacles rencontrés lors de votre présidence? Gaétan Barrette est devenu le ministre de la Santé et des Services sociaux peu après mon arrivée à la présidence, en 2014. Les quatre années sous l’ère Barrette ont été particulièrement difficiles pour la pharmacie. Il a fait des choses très nuisibles comme la loi 28 [NDLR : qui coupait certains honoraires versés aux pharmaciens communautaires], la franchise et la coassurance sur les activités de la loi 41qui ont ralenti leur déploiement, les factures détaillées sur les honoraires des pharmaciens qui n’ont pas offert les résultats escomptés pour le public, etc. Malgré tout, c’est lui qui a permis l’entrée en vigueur de la loi 41. Ça a été fait de manière un peu tout croche et à la dernière minute – on a reçu un fax à 19 h la veille –, mais il l’a fait. Dans la loi 92, qui visait à accroître les pouvoirs de la Régie de l’assurance maladie du Québec, il y avait aussi des aspects positifs, notamment pour abolir les programmes de fidélité de l’industrie pharmaceutique. Quelles leçons avez-vous tirées de ces épreuves? J’ai compris à quel point les politiciens étaient extrêmement importants. Dans un organisme de réglementation, les cycles sont coordonnés avec les cycles politiques, car c’est avec les élus que l’on peut faire des changements. Durant la campagne électorale de 2018, nous avons donc été vraiment proactifs à rencontrer toutes les formations politiques et leur présenter nos revendications. Quand la CAQ a été portée au pouvoir, et que Danielle McCann a été nommée ministre de la Santé, elle a été à l’écoute et elle a bien compris nos demandes. Puis est arrivée la pandémie, avec l’adoption et la mise en place rapide de la vaccination. Le 25 janvier 2021, l’entrée en vigueur de la loi 31 s’est produite au même moment que la levée de la franchise et de la co-assurance pour les nouvelles activités, ce qui a libéré les pharmaciens et la population des contraintes qui freinaient jusque-là leur déploiement. Justement, les lois 41 et 31 ont ouvert un grand nombre de portes aux pharmaciens, mais quel travail reste-t-il à accomplir pour parachever cette transformation? Il reste à enlever des critères administratifs qui ont été mis en place au début, par crainte de dérapages et pour gagner la confiance des médecins. Mais aujourd’hui, ils n’ont plus lieu d’être. Il faudrait permettre aux pharmaciens de prescrire la prophylaxie pré-exposition contre le VIH et aussi des médicaments contre la dysfonction érectile, comme cela se fait en Saskatchewan. Comme je le mentionnais précédemment, il reste aussi le dossier de la reconnaissance de la spécialisation en milieu hospitalier. Reconnaissons le fait que ce sont des pharmaciens spécialistes, qu’ils ont une maîtrise et qu’ils peuvent prescrire de façon autonome. On ne veut pas remplacer les médecins, on veut les libérer et les soutenir comme on le fait déjà. Quelle est la prochaine grande étape dans l’évolution de la profession de pharmacien? Il y a deux aspects : premièrement, prendre plus de place en ce qui concerne la prise en charge du traitement. On arrive souvent après que la visite médicale a donné lieu à un diagnostic et un début de traitement. Est-ce qu’on peut être un peu plus en amont? Si les médecins le voulaient, ils pourraient dire aux pharmaciens de rédiger l’ordonnance lorsqu’ils ont établi leur diagnostic, car c’est ce qui les motive le plus intellectuellement. Deuxièmement, la profession veut évoluer à mesure que la pharmacopée évolue. Aujourd’hui, on a des médicaments plus puissants et qui fonctionnent différemment, comme les ARN interférents. Prendre en charge ces nouveaux traitements plus compliqués fait évoluer le rôle du pharmacien. Est-ce qu’on va être plus impliqués dans tout ce qui est immunothérapie, par exemple? Il va aussi y avoir de plus en plus de conditions mineures que l’on pourra prendre en charge. La pharmacie est passée d’un endroit où tu achètes des médicaments et repars à un endroit où tu reçois des soins. Tous les éléments innovateurs de la pratique ont commencé à l’hôpital, en GMF et en CHSLD, avec les ententes de partenariat. Les cas plus compliqués sont délégués aux pharmaciens, comme la prescription de Paxlovid, par exemple. Il faut continuer d’encourager ce type de pratiques innovantes. Dans une profession, il y a toujours des leaders, mais aussi des gens qui résistent au changement. Comment convaincre les indécis? Il faut prendre les gens par la main et ne pas les forcer. Le 20 juin 2015, lors de l’entrée en vigueur de la loi 41, tout le monde paniquait. On a dit aux pharmaciens de commencer par un premier cas, d’en faire un deuxième et un troisième. Maintenant, tous les pharmaciens font régulièrement de nouvelles activités. Il est tout à fait normal que ça prenne des années à mettre en place. L’avantage de la pharmacie, c’est qu’il y a beaucoup d’émulation par compétition, car le patient peut toujours aller de l’autre côté de la rue pour obtenir un service si sa pharmacie ne l’offre pas. Donc, les pharmaciens embarquent assez rapidement dans les changements. Il y a toujours une pression à ce que les ordres abordent des dossiers qui ne cadrent pas directement avec la protection du public. Les ordres et leur mandat doivent-ils évoluer eux aussi? Il faut être conscient que pour avoir des soins de qualité, ça prend du budget. On ne s’est toutefois jamais prononcé sur le quantum [NDLR : les honoraires]. Le quantum, c’est à l’AQPP de le négocier. Nous sommes néanmoins en accord sur le fait que la rémunération doit être modulée en fonction de l’intensité du service. Ce n’est pas normal que l’honoraire pour l’anovulant d’une fille de 25 ans soit le même que celui pour une personne âgée avec 12 médicaments. La protection du public passe également par la formation des pharmaciens, l’inspection professionnelle et, lorsque c’est nécessaire, la discipline. Ce dernier volet est indépendant des pouvoirs du président. Je n’ai toutefois pas l’impression que le syndic de l’Ordre en laisse aller ou qu’il est trop sévère pour de mauvaises raisons. On a un système qui marche. Ce qu’on demande au président, c’est un leadership afin de faire connaître le rôle des pharmaciens au public. À ce chapitre, j’ai fait le maximum que je pouvais faire. De manière plus générale, est-ce que le public a été protégé durant mes mandats? Je pense que oui. On a fait notre boulot dans l’ensemble. Quel sera le principal défi pour le prochain président? Le Plan Santé de Christian Dubé. La base des demandes [pour les pharmaciens] est formulée et validée entre les parties prenantes, mais il y a une opportunité politique et il faut la saisir. J’inclus là-dedans la spécialisation qui fait partie de nos demandes. Il faut aussi que les pharmaciens soient présents dans la gouvernance de tout le système de santé. Quand nous ne sommes pas là, nous sommes oubliés. Il y aura aussi le dossier de la protection de l’indépendance professionnelle des pharmaciens. On ne l’a pas amené aussi loin que l’on voulait, mais il est à l’étude à l’Office des professions. Avez-vous un dernier message à livrer aux pharmaciens? J’ai été chanceux parce que chaque fois qu’il s’est passé quelque chose, les pharmaciens et pharmaciennes ont fait du bon travail. C’est facile d’être président quand sur 10 500 membres, il y en a 10 475 qui sont extraordinaires. La pandémie a été une grosse épreuve collective, mais elle a été révélatrice de leurs compétences et de leur dévouement. On en a beaucoup bénéficié. Il faut que les pharmaciens continuent de penser à leurs patients, car chaque fois qu’on pense à eux en premier, on ne se trompe jamais. Continuez d’être aussi bons. Continuez de bien collaborer avec les autres professionnels. * Les propos ont été condensés par souci de clarté.

«Quand on pense aux patients en premier, on ne se trompe jamais» - Bertrand Bolduc

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