Quand l'utilisation d'un produit hors indication est-elle hors-jeu?

Considérons les cas suivants.Un homme de 71 ans souffrant d’une importante dysplasie de la colonne lombaire présente des douleurs radiculaires récurrentes dans les jambes qui affectent son sommeil et sa qualité de vie en général. Le médecin traitant et plusieurs spécialistes sont impliqués dans les soins. Alors que la prise de 25 mg d’amitriptyline au coucher lui permet de se détendre et de dormir, des doses croissantes de gabapentine sont nécessaires pour gérer la douleur neuropathique tout au long de la journée. Le patient est reconnaissant de l’amélioration du contrôle de la douleur.Une femme de 43 ans souffre depuis longtemps d’insomnie et a toujours été réticente à l’idée de traiter ce problème par un médicament qui pourrait créer une dépendance. Après un essai de TrazadoneMD (50 mg) mal toléré, la QuetiapineMD (25 mg) est essayée et semble enfin réussir à lui assurer une nuit complète de sommeil. Un homme de 29 ans finit par céder et consulte son médecin au sujet de son problème d’éjaculation précoce qui dure depuis longtemps. La paroxétine (20 mg) semble fonctionner, mais elle est mal tolérée. Le patient est encouragé lorsque la fluoxétine (40 mg) semble avoir une efficacité comparable avec beaucoup moins d’effets secondaires. Et enfin… Une femme de 55 ans est frustrée par son obésité et l’absence de perte de poids durable avec tous les régimes essayés. Elle demande un «médicament qui marche» et se voit prescrire de l’OzempicMD à raison de 1 mg par semaine en injections. Elle réussit à perdre 10 kg sur une période de 12 mois. Quel est le point commun entre ces quatre cas? Un certain degré de réussite thérapeutique et de satisfaction du patient. Qu’y a-t-il d’autre? Tous ces exemples montrent que des médicaments sont utilisés de manière non indiquée pour traiter des pathologies pour lesquelles ils n’ont pas d’indication officielle. La définition du terme «hors indication» (off-label, en anglais) signifie qu’un médicament est utilisé pour traiter une maladie selon un protocole qui n’a pas été examiné ou qui n’a pas été autorisé par les autorités de réglementation compétentes. Dans notre pays, cette autorité, c’est Santé Canada. Les termes «non indiqué sur la notice», «non inscrit sur la notice» ou «utilisation élargie» sont couramment utilisés à cet égard. Les doses de médicaments, le moment et la fréquence de sa prise, ainsi que le type de patient (pédiatrique, enceinte, gériatrique, etc.) peuvent également être considérés comme «non indiqués».Une indication est, par définition, la raison pour laquelle le médicament est utilisé. De nombreux médicaments ont plus d’une indication. Pour la définition de «l’étiquette», je citerai Santé Canada: «Lorsque Santé Canada autorise qu’un médicament soit mis en marché au Canada, cette autorisation précise les indications, les dosages, le profil d’innocuité et les directives d’utilisation pour lesquels il est autorisé. Ces informations sont celles qui apparaissent sur l’étiquette affichée sur le contenant ou l’emballage du médicament et dans toute documentation autorisée par Santé Canada, comme les renseignements officiels de prescription, la monographie du produit, les notices jointes à l’emballage, etc. Tous ces éléments ensemble sont ce que l’on appelle ”l’étiquette” de ce médicament.»Je cite à nouveau: «Au Canada, l’autorisation d’une indication pour un médicament ne peut être obtenue que si le fabricant présente une demande à Santé Canada, qui ensuite l’examine et autorise ou non la mise en marché de ce médicament. Un fabricant ne peut pas faire la promotion d’un emploi non indiqué de l’un de ses produits parce que Santé Canada n’a examiné et autorisé ce médicament que pour l’indication pour laquelle le fabricant a fait une demande. Un médicament peut être utile pour d'autres indications que celles approuvées, mais le fabricant peut décider de ne pas faire de demandes pour d’autres indications s’il considère qu’il n’obtiendra pas un bon rendement sur son investissement, car demander l'approbation d'un médicament peut être coûteux et prendre du temps.»C’est là le cœur du problème. Il existe une longue liste de médicaments couramment et efficacement utilisés pour traiter un large éventail de maladies et de symptômes qui ne seront jamais officiellement approuvés ou indiqués, car les fabricants n’ont aucun intérêt à consacrer le temps et les efforts nécessaires pour en obtenir l'indication ou une étiquette officielle. C’est une question d’argent. Mais est-ce vraiment un problème? Le puriste académique se fait des nœuds au cerveau à ce sujet, tandis que le médecin pragmatique n’y prête généralement pas attention, se fiant à son expérience clinique positive. Dans le cadre de ma pratique en médecine sexuelle et en santé des transgenres, la majorité de mes prescriptions seraient considérées comme non conformes à la notice d’utilisation. Dans ces cas, comme dans beaucoup d’autres, la prescription hors autorisation de mise en marché (AMM) est permise et considérée comme nécessaire. La plus grande préoccupation reste que l’utilisation non indiquée sur l’étiquette peut ou non être étayée par des preuves scientifiques solides. La médecine fondée sur des données probantes (Evidence-Based Medicine ou EBM) peut être lacunaire, voire inexistante. Pourtant, nous la pratiquons tout le temps! Je suis stupéfait par l’absence d’indication de tant de médicaments fortement prescrits, en particulier les médicaments psychotropes, dans le domaine de la santé mentale et de la douleur. Lorsqu’elle existe, l’EBM devrait guider toutes nos décisions de prescription et de traitement. Lorsqu’elle fait défaut, nous devons toujours prendre des décisions cliniques judicieuses et essayer de ne pas nuire. C’est là que réside le dilemme.Lire aussi: Des monographies trompeuses?En l’absence d’essais cliniques et de réglementation appropriée, la prescription hors AMM peut-elle, par inadvertance, être préjudiciable? Un exemple de cette situation serait l’utilisation de longue date et non indiquée de la dompéridone pour améliorer l’allaitement. Cette pratique fait l’objet d’un examen plus approfondi, car ce médicament peut potentiellement provoquer un syndrome du QT long et des arythmies cardiaques. Ce n’est pas aussi inoffensif qu’on le pensait. Si ce médicament a été étiqueté comme «hors limites», combien d’autres médicaments prescrits hors indication devraient-ils faire l’objet d’une plus grande prudence?En fin de compte, tout est question de risques et de bénéfices. Il est clair que nous utilisons des médicaments hors indications parce qu’ils sont efficaces. Cette pratique peut se poursuivre tant que nous restons vigilants et que nous sommes transparents avec nos patients, en ayant une communication efficace. Si nous savons que nous utilisons un médicament hors AMM et que nous pouvons justifier les raisons de notre choix, en connaissant les effets secondaires potentiels et les préoccupations, nous pouvons alors prendre une décision en connaissance de cause. L'absence de cette approche ne constitue pas une bonne pratique. J’estime qu’une approche laxiste se produit plus souvent que nous ne voulons l’admettre. Nous continuerons donc à rédiger des prescriptions non conformes à l’étiquetage lorsque cela s’avérera nécessaire. Avec prudence.

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