Produits vendus en pharmacie: l’OPQ veut «faire preuve de courage»

Le Projet Cohérence: derrière ce nom de code pour le moins mystérieux se cache le nouveau cheval de bataille de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Un sondage à grande échelle auprès des membres de l’Ordre mais aussi de la population pour mener une action concrète sur un sujet hautement inflammable: les médicaments et produits naturels en vente libre dont l’intérêt pharmaceutique n’est pas prouvé. «Les étagères des pharmacies sont remplies de ce genre de médicaments dont l’intérêt thérapeutique est plus que douteux, qu’il s’agisse de pilules pour la perte de poids, de produits d’hygiène féminine ou encore de traitements homéopathiques», s’inquiète son président, Jean-François Desgagné. «Nous en avons discuté en interne et avec notre table des partenaires, et plutôt que de décréter ou non leur retrait, nous souhaitons savoir ce que nos membres en pensent.»Cette grande enquête va donc être lancée à travers toute la province dans le sillage de la Tournée régionale de l’OPQ, qui doit débuter la semaine prochaine. «Je pense que la profession a atteint un niveau de maturité suffisant pour pouvoir en discuter sans être enfermée dans des logiques de liberté de commerce», poursuit Jean-François Desgagné. À lire aussi: Pochettes de nicotine: l’OPQ émet une nouvelle recommandationAu menu: des questions sur les produits proposés en pharmacie et les manières dont ils sont proposés (partie commerciale, sur ordonnance, pas proposés), les réactions de l’équipe face à ces produits, la cohérence et la déontologie de proposer ces produits en pharmacie, ou encore la distinction entre l’espace pharmacie et la section commerciale. «Assumer une posture de professionnels de la santé»L’objectif de l’OPQ est triple: amener sur la place publique un questionnement existant au sein de la profession, replacer les pharmaciens dans leur rôle de professionnels de la santé et interpeller Santé Canada. «Nous voulons avoir une posture de professionnels de la santé et nous demandons à être reconnus comme tels; il faut assumer les postures qui vont avec», annonce, intransigeant, le président de l’OPQ. En fonction des résultats du sondage, l’Ordre pourrait ainsi se prononcer sur le retrait de certains produits, une campagne d’affichage ou une simple prise de position. «En tout cas, ça ne restera pas lettre morte et nous devrons faire preuve d’un certain courage.» À lire aussi: Obésité: aider les patients à trouver leur poids idéalMais une question se pose: s'ils ne sont plus vendus en pharmacie, où ces produits seront-ils disponibles, et avec quel encadrement? Car, efficaces ou non, ils restent aujourd'hui vendus dans un établissement de santé et le patient peut demander conseil au pharmacien – encore faut-il qu'il en ait le réflexe.À date, l’OPQ a déjà reçu plus de 800 réponses après une seule communication sur cette enquête. «On risque d’avoir de belles surprises et des orientations assez claires», prédit Jean-François Desgagné. Santé Canada jugée «trop laxiste»Hormis la profession dans son ensemble, l’Ordre s’adresse aussi à Santé Canada, qui doit prendre sa part de responsabilité. «C’est un enjeu pour eux, ce sont des partenaires importants mais un père absent, regrette le pharmacien propriétaire. Leur législation est laxiste, surtout au niveau des produits de santé naturels. Santé Canada approuve beaucoup de choses simplement sur la base de l’innocuité du médicament.»Sauf que l’innocuité n’est pas gage d’efficacité (critère pourtant indispensable pour être approuvé selon le site de Santé Canada), loin de là selon lui. Pire: certains produits aux allégations trompeuses peuvent jeter le discrédit sur la pharmacie où ils sont vendus. «Certains médicaments induisent les gens en erreur et donnent une image de charlatanisme, dénonce Jean-François Desgagné. Quand Santé Canada approuve de tels produits et que les industriels affichent sur leurs boîtes des allégations de brûlage de graisses, ce n’est plus la seule responsabilité du pharmacien.»À lire aussi: Ottawa veut se donner des outils pour surveiller les produits de santé naturelsLe combat ne s’annonce pas simple, mais loin d’être impossible pour l’OPQ, déjà rôdé à l’exercice. «On ne manquera pas de courage. Je n’ai pas peur d’aller au front si les membres sont derrière moi. Lorsque nous nous sommes battus contre la vente du tabac en pharmacie il y a plus de 20 ans, certains groupes ont mené des recours contre l’Ordre», se souvient Jean-François Desgagné. Une bataille pourtant gagnée, et une pratique devenue «impensable» aujourd’hui. Et les pharmaciens ne pourront qu’en ressortir grandis selon lui: «prendre une décision courageuse et s’y tenir donne une image positive. Mais cette décision devra avoir une signification pour la population, d’où l’idée de l’interroger.»

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