Pratique: Comment mieux gérer son temps?

Inutile de dire que la plupart des médecins ont été plus occupés que jamais ces derniers temps: tâches administratives, patients COVID, vaccination, gestion des protocoles liés à la pandémie, pénurie de personnel... Ai-je mentionné les tâches administratives? Face à une charge de travail croissante, de nombreux médecins, surtout ceux qui débutent, se contentent d’y consacrer plus d'heures. Le problème, c’est que cette stratégie n'est pas viable et que cela contribue au ressentiment, à l'insatisfaction, à l'ennui et à l'épuisement. «De nombreux médecins ne connaissent pas les stratégies de base de gestion du temps, car ils n'ont jamais eu à s'en servir auparavant», constate la Dre Hema Patel, qui a écrit The time management guide: A practical handbook for physicians by physicians avec le Dr Derek Puddester en collaboration avec le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. La Dre Patel, pédiatre, professeure associée et directrice de la division de pédiatrie générale de la faculté de médecine de l'Université McGill, compare la gestion du temps à un interrupteur gradateur. «Les médecins sont, par sélection, intelligents et travaillants, ce qui fait qu’ils n’ont pas eu à développer de compétences pour prioriser leurs tâches. Face à un nombre croissant de tâches, la plupart d'entre eux se contentent d'actionner l'interrupteur pour d’augmenter leur «puissance». Ce n'est que lorsque le commutateur ne peut offrir plus d’intensité qu'ils sont obligés de faire un tri dans les tâches à accomplir, alors que leurs homologues (non médecins) ont peut-être eu à le faire au lycée ou à l'université, et ont donc beaucoup plus de pratique. Selon les experts, pour parvenir à une bonne gestion du temps, il faut avant tout comprendre que c’est une question de prise de conscience et de comportements, et non pas de trouver plus de minutes dans une journée. C’est ça le secret! La Dre Patel propose trois conseils intemporels (élaborés dans son guide 2012 qui sera mis à jour cette année): Déterminez vos priorités en fonction de vos objectifs et de vos valeurs. Organisez de manière proactive vos activités quotidiennes au travail et à la maison (pour vous approprier votre emploi du temps, tout en gardant à l'esprit vos objectifs et vos valeurs). Éviter les comportements d'auto-sabotage (comme le perfectionnisme et la procrastination). Gérer son temps signifie également préserver son énergie et prendre soin de soi. Pour cette période difficile, la Dre Patel suggère aux médecins de: Accepter l'incertitude. Faire face au changement, surtout les changements soudains. Résister aux nombreuses distractions de notre monde numérique. Choisir des tâches qui ont un sens pour eux, dans la mesure du possible. Investir dans leur santé et leur bonheur personnel. Trouver des moyens d'éprouver de la joie au quotidien. Travail administratif Le Dr John Crosby, médecin de famille à Cambridge, en Ontario, a beaucoup écrit sur la gestion du temps et a même réalisé une vidéo pour apprendre à aimer la paperasse. «De nombreux médecins détestent la paperasse parce qu'ils n'y consacrent pas de période dédiée et qu'ils sont distraits lorsqu'ils s’en occupent», croit-il. «Le moyen de contourner cela est de prendre un rendez-vous avec vous-même et de le faire tous les jours de la semaine, sans exception et sans aucune distraction.» La gestion des tâches administratives, et la gestion du temps en général, peut s’avérer plus difficile pour les médecins en début de carrière, concède la Dre Patel. La Dre Stephanie Zhou, médecin spécialiste en médecine familiale et en toxicomanie, qui exerce depuis deux ans, est du même avis. Les jeunes médecins essaient d'être gentils et (peinent à s’extirper de leur peau de résident) lorsqu'ils ne pouvaient pas dire «non». Les femmes en particulier essaient d'avoir de bonnes relations avec leurs patients et dire «non» peut être difficile. «Même maintenant, je constate qu'en tant que femme issue d'une minorité, on me demande de faire des exposés ou des ateliers sur la diversité. Évidemment, il faut essayer d'aider l'équipe, d'être un joueur d'équipe», indique la Dre Zhou, qui est également conférencière à l'Université de Toronto sur la littératie financière pour les étudiants en médecine et les résidents. «Mais parfois, cela prend beaucoup de temps et vous n'êtes pas rémunéré. Il m'est arrivé de demander: "Oh, est-ce que c'est financé?". Et on me dit: "Non, mais c'est bon pour votre CV". Ils ne se rendent pas compte que vous devez annuler du clinique (perte de salaire) et consacrer du temps (soir et week-end) à la préparation. Les gens ne pensent généralement pas à la valeur de votre temps ni au fait que votre temps, c’est de l'argent.» Ses conseils se répartissent donc en quatre catégories: se faire payer, bloquer du temps, obtenir de l'aide, fixer des limites. Faites-vous payer En plus de demander à être payée pour les conférences ou les ateliers, la Dre Zhou préconise d'intégrer du temps administratif rémunéré dans les contrats, de sorte que le travail administratif risque moins de s'immiscer dans le temps personnel non rémunéré. «Je pense que beaucoup de résidents nouvellement diplômés, y compris moi-même, ne gèrent pas bien leur temps, dit-elle, surtout en ce qui concerne le travail administratif - vérifier les examens de laboratoire, les rapports des consultants, rappeler les patients, renouveler les ordonnances. Donc, il faut au moins négocier un temps administratif rémunéré.» Bloquez du temps Le blocage du temps n'est pas nouveau, bien qu'il ait été popularisé récemment par des auteurs tels que Cal Newport. Ainsi Benjamin Franklin bloquait son temps. Il établissait chaque jour son programme et se réservait des heures pour se livrer à un «travail intense» (et il n'était pas distrait par les téléphones et les ordinateurs…). C'est une méthode qui a aidé la Dre Zhou, tout comme le livre Atomic Habits de James Clear, qui aborde l’optimisation de nos routines quotidiennes pour gérer notre temps et améliorer notre vie. Demandez de l'aide «Souvent, les nouveaux diplômés ont l'impression qu'ils peuvent tout faire et qu'ils doivent tout faire eux-mêmes», note la Dre Zhou. «En réalité, vous travaillez en équipe. Il y a des infirmières, d'autres prestataires dans la clinique qui peuvent aider.» Passer à travers les examens de laboratoire peut prendre beaucoup de temps, selon la Dre Zhou, car les jeunes médecins sont très anxieux à l'idée de manquer quelque chose d'urgent. «Dans mon cabinet, j'ai une infirmière praticienne qui peut assurer le suivi des analyses urgentes. Les personnes qui n'ont pas quelqu'un pour le faire à leur place peuvent toujours demander au laboratoire de les avertir en cas de résultats urgents.» Fixez vos limites En ce qui concerne la gestion du temps, la Dre Zhou précise qu'il est très important de ne pas seulement bloquer des moments pour le travail intense, mais aussi d'avoir une certaine discipline pour les fins de semaine. «Le dimanche, je ne travaille pas du tout. Je mets aussi certaines limites avec mes patients dès le début. Je leur dis que je ne travaillerai dans cette clinique que tel jour et tel jour.» La Dre Zhou est une adepte de la matrice urgence/importance (décrite pour la première fois par Stephen Covey dans The 7 Habits of Highly Effective People). L'idée est de créer quatre quadrants: ce qui est urgent et important; ce qui est urgent mais pas important; ce qui est important mais pas urgent; ce qui n’est ni urgent ni important. Le premier, bien sûr, doit se trouver en haut de votre liste de choses à faire, tandis que les tâches importantes mais non urgentes peut être remises à plus tard. Et vous laissez tomber ce qui n’est ni important ni urgent. Et quid de ce qui est urgent, mais pas important? Selon la Dre Zhou, il faut se méfier de ces tâches: il s'agit généralement de tâches que d'autres ont rendu urgentes, mais qui ne sont pas vraiment importantes pour vous. «Si quelqu'un vous donne une tâche et qu'elle semble super urgente et super importante, c'est souvent parce qu'il a procrastiné. Mais il s'agit de son urgence à lui, ce n'est donc pas vraiment important pour vous.» De même, pour gagner du temps, le Dr Crosby conseille de ne pas laisser le patient contrôler le rendez-vous. «Laissez-le parler sans l'interrompre, puis dirigez la consultation et résolvez ses problèmes avec lui», suggère-t-il. Et ayez une stratégie de sortie. «Levez-vous et accompagnez les patients vers votre assistant pour prendre le relai pour des analyses, de l'imagerie, une consultation ou une ordonnance.» Selon la Dre Patel, les médecins qui ont du mal à apprivoiser leur emploi du temps ne doivent pas désespérer. «Il n'est jamais trop tard: même si hier était totalement hors de contrôle et qu'aujourd'hui on a l'impression que tout déraille, il existe de nombreuses façons d'investir en soi pour que demain soit plus efficace, moins stressant et surtout, plus joyeux. Trouvez les méthodes qui vous conviennent le mieux.»

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