Pharmacien le jour, créateur de jeux le reste du temps

Il a 37 ans, mais en paraît dix de moins. Le secret de jouvence de Maxime Tardif? Rien de moins qu’une identité secrète. Pharmacien remplaçant depuis dix ans, principalement pour la bannière Jean Coutu, il est passionné de biologie depuis toujours. «Après avoir étudié en bioinformatique et en biochimie, j’ai fait une maîtrise en biologie moléculaire. Mais j’ai préféré me tourner vers la pharmacie, car j’avais envie de contact social et de travailler en équipe. Il y avait aussi de meilleures perspectives d’emploi», confie-t-il. Et quoi de mieux que les remplacements pour échapper à la routine, se dégager du temps et «changer le mal de place», comme il se plaît à le dire? «Être remplaçant, c’est un style de vie que j’aime. Ça me permet de voir des méthodes de travail différentes, de pouvoir gérer mon horaire comme je l’entends, et de voyager souvent!» Et peut-être, accessoirement, de s’adonner à une autre passion qui l’habite depuis longtemps: celle des jeux de société. Maxime fait d’ailleurs plus que de simplement y jouer: il les conçoit. «Faire de bons jeux de société demande beaucoup de temps et d’énergie», confirme-t-il.C'est pendant un voyage d’échange en Belgique, en 2009, que tout commence. «Les jeux de société étaient déjà très populaires en Europe, bien plus qu’ici en Amérique du Nord», explique le trentenaire. Désormais, son horizon ne se limite plus au Monopoly, à Risk ou à Catan. En 2013, Maxime Tardif retourne en Europe pour une session d’étude en pharmacie, cette fois près de Grenoble, en France: «J’ai découvert qu’il y avait encore plus de jeux de société que ce que je pensais et, en revenant au Québec, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser, à en acheter davantage, jusqu’à finalement en créer moi-même.»Quatorze jeux au totalCela fait donc dix ans que le pharmacien remplaçant crée des jeux de société. Il a autoproduit son premier jeu familial, Fourmidable, grâce à une campagne de financement participatif, et ne s’est jamais arrêté depuis, avec toujours comme point de départ la biologie et son amour du vivant. Au total, Maxime Tardif a créé 14 jeux, et en a publié quatre, dont l’opus de 2023, Earth. Ce dernier ne déroge pas à la règle, puisqu'il est consacré à la planète et à la nature. Mais pour une fois, il n’est pas destiné au grand public, sinon aux joueurs chevronnés comme lui et sa conjointe, Isabelle. Le couple possède en effet plus de 400 jeux… «Quand la pandémie est arrivée en 2020, je n’avais plus rien à faire. Au lieu de perdre mon temps sur Netflix, je me suis dit: “Pourquoi ne pas développer un jeu de société plus stratégique qui me plaît à moi?” J’ai regardé ce qui manquait à ma collection, puis j’ai investi quasiment tout mon temps dans ce projet.» Confinement oblige, il développe le jeu stratégique de A à Z, seul chez lui (voir encadré plus bas). La formule séduit immédiatement.À lire aussi: Julie Morin: Le pouvoir du bénévolat Dès la campagne de financement participatif sur Kickstarter, Earth a réussi à lever 730 000$ – contre environ 100 000$ pour les campagnes habituelles de l’éditeur du jeu, Inside Up Games. «L’engouement est certainement multifactoriel, estime Maxime Tardif. Le thème choisi est très populaire en ce moment dans les jeux de société. Le fait de l’avoir lancé sur Kickstarter, une plateforme de marketing qui sert surtout à faire connaître les produits, a aussi beaucoup joué. Avant cela, l’éditeur avait diffusé le jeu en ligne: ça a permis aux gens de l’essayer et d’en parler avant même qu’il soit disponible sur le marché. Enfin, j’avais déjà créé d’autres jeux auparavant, et j’ai réussi à mobiliser la communauté qui me suivait.»Publié au premier trimestre 2023, Earth est déjà traduit en 20 langues et a convaincu les critiques, remportant les plus hautes distinctions du milieu, dont le «2023 Solo Award for the best solo experience» de l’International Gamers Awards. En rupture de stock une partie de l’année, l’éditeur a dû réimprimer des copies à temps pour Noël. Des autographes pour ses patientsMais il n'y a pas que dans le petit (mais vaste) monde du gaming que Maxime Tardif fait des émules. Au travail, le pharmacien signe aussi des autographes, parfois plusieurs fois par semaine. «Avant-hier, un client est arrivé pour chercher des médicaments. Il m’a reconnu, on a jasé un peu, et il est retourné chez lui chercher sa copie du jeu pour que je la signe. Mes collègues m'en parlent souvent aussi; ils ont acheté des copies qu’ils me demandent de leur dédicacer. Même certains pharmaciens me reconnaissent parfois au téléphone!» Les échanges que cela suscite avec ses clients et ses collègues est bienvenu dans un contexte professionnel souvent stressant, même si Maxime Tardif n’a pas beaucoup de temps à leur accorder pendant ses heures de travail. À lire aussi: Déstigmatiser la santé mentale, une conversation à la foisPour l’instant, le jeune pharmacien n’envisage pas d’abandonner la pharmacie pour devenir créateur de jeux à plein temps. «Les jeux de société permettent à mon côté créatif de mieux s’exprimer qu’en pharmacie, dit-il, sourire aux lèvres. Je suis présentement en train de travailler sur une extension de Earth, et j’ai d’autres projets en cours. Si un jour ça fonctionne très bien, pourquoi pas?» confie le créateur, même s’il reconnaît que maintenir le lien social via son travail en officine est essentiel. Il a néanmoins réduit ses heures de travail. Cette soupape lui permet aussi d’être un meilleur pharmacien, il en est convaincu. Il se sent plus frais et disponible pour ses clients, alors qu’il lui arrivait souvent de travailler plus de 50 à 60 heures par semaine et sait ce que signifie être épuisé. «Tu arrives au travail, tu es brûlé, irritable, stressé. Ce nouveau rythme me permet d’avoir la tête plus reposée – même si je stresse aussi de savoir si je vais vendre mon projet ou pas!»

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