Ozempic: l'essor des services de prescription en ligne soulève des questions éthiques

Des véhicules de transport en commun aux grands panneaux d’affichage le long des autoroutes, en passant par les publications sur les médias sociaux, il est pratiquement impossible d'échapper au battage médiatique autour des agonistes des récepteurs du GLP-1. Le slogan accrocheur «J’ai juste demandé» peut paraître ambitieux, mais des pharmacies en ligne ont simplifié le processus d’obtention du médicament au point qu’il se résume à répondre à un questionnaire.La popularité du sémaglutide pour son effet sur la perte de poids plutôt que pour la maîtrise le diabète de type 2, a engendré des pénuries et soulevé des questions éthiques quant à son utilisation.Si les entreprises aux tactiques commerciales controversées ont une large part de responsabilité dans ces pénuries, les biais des systèmes de santé et de nos sociétés par rapport au poids jouent aussi un grand rôle.L’explosion de la demande a plongé les patients diabétiques dans une situation difficile. Bien que les pénuries soient frustrantes pour les personnes qui comptent sur ce traitement contre le diabète, il faut bien reconnaître que celui-ci s'avère bénéfique pour lutter contre l’obésité, en particulier en l’absence d’autres options thérapeutiques.Les lignes directrices suggèrent que les personnes dont l’IMC est supérieur à 30 ou dont l’IMC est compris entre 27 et 30 et qui souffrent d’une affection liée au poids, telle que l’hypertension artérielle, peuvent bénéficier d’une prescription d’Ozempic. Ainsi, la critique selon laquelle les personnes souffrant d’obésité «volent» le médicament aux diabétiques est fallacieuse, car cela revient à établir quelles maladies chroniques non transmissibles sont les plus importantes d'un point de vue sociétal.Le problème se situe plutôt au niveau des plateformes de santé en ligne qui exploitent les patients vulnérables désireux de se conformer aux préjugés de la société en matière de poids, mais qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir le médicament ou qui ne reçoivent pas les conseils appropriés.Une enquête du Toronto Star a montré à quel point il est facile de se procurer de l’Ozempic: il suffit de remplir un formulaire, de télécharger une photo de son corps en entier et d’échanger quelques mots avec une infirmière praticienne. Ce qui est particulièrement alarmant, c’est que même après avoir fourni des informations inexactes sur son poids non corroborés par sa photo, le journaliste a tout de même vu sa demande acceptée en quelques minutes. Après avoir payé et reçu le médicament par la poste, il n’a pas eu de nouvelles de l’entreprise pour un suivi, ce qui démontre l’absence d’enquêtes et de consultations approfondies pour ces médicaments, l’objectif étant le gain financier et non les soins aux patients. Ce manque d'imputabilité et de surveillance réglementaire soulève des questions éthiques, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes atteintes de maladies complexes nécessitant une prise en charge globale et longitudinale, telles que l’obésité et le diabète.Cette facilité d’accès doit être soigneusement mise en balance avec la qualité des soins fournis par ces compagnies. Des évaluations globales inadéquates et l’absence de discussion avant l’instauration d'un tel traitement augmentent le risque de résultats médiocres. La nature des entreprises qui proposent ces services comme seuls conditions au traitement induit des conflits d’intérêts potentiels. Il existe des conflits d’intérêts financiers dans de nombreuses sphères de la médecine, mais ceux-ci doivent malgré tout être considérés.Autonomie ou manipulation?L’autonomie est un principe fondamental de la médecine, qui englobe les droits des patients à prendre des décisions concernant leur santé en fonction de leurs valeurs, de leurs préférences et de leurs objectifs. Cependant, il n’est pas rare que les patients soient stigmatisés et rejetés en raison de leur poids dans les établissements de soins de santé, ce qui entraîne une perte d’autonomie et des obstacles à l’obtention de traitements appropriés. Les plateformes en ligne offrant un accès à des médicaments tels qu’Ozempic remettent entre les mains des patients le pouvoir de choisir des traitements conformes à leurs objectifs.Il existe cependant des préoccupations légitimes quant à l’exhaustivité des informations fournies et à la prise de décision éclairée sur ces plateformes. Une prise de décision éclairée nécessite une discussion approfondie sur les options de traitement, y compris les alternatives et les risques potentiels, qui peuvent ne pas être abordés de manière adéquate dans le processus de consultation en ligne. Cela soulève des doutes quant à l’étendue réelle de la compréhension du patient lorsqu’il décide de commencer à prendre Ozempic via l’une de ces plateformes. Si une décision n’est pas prise en toute connaissance de cause, il ne s’agit pas d’autonomie, mais plutôt de manipulation.À lire aussi: Jusqu'où peut aller le marketing pharmaceutique?Bon nombre de ces problèmes peuvent être résumés par le fait que nous vivons dans une société biaisée en ce qui a trait au poids, et où la stigmatisation de l’obésité est monnaie courante. Comme l’a expliqué le Dr Yoni Freedhoff, professeur agrégé de médecine familiale à l’Université d’Ottawa, également fondateur et directeur médical du Bariatric Medical Institute, ces entreprises n’existeraient pas si notre paysage médical prenait effectivement en charge les patients souffrant d’obésité. Si les médecins étaient convenablement formés et désireux d’apprendre à gérer correctement ces patients, ces questions éthiques se dissiperaient. Ces plateformes de soins de santé occupent une niche car elles comblent une lacune dans les soins pour les patients qui souhaitent un traitement, mais ne peuvent y accéder par les moyens traditionnels. Selon le Dr Freedhoff, cela commence à la source par des pratiques problématiques de la part de médecins qui ne veulent pas, ou ne sont pas intéressés à apprendre comment prendre en charge des patients souffrant d’obésité.À lire aussi: Comment optimiser la prise en charge de la perte de poidsCertains font l’éloge des services de prescription en ligne d’Ozempic parce qu’ils déconstruisent la culture des régimes et s’attaquent au dangereux cycle des régimes yo-yo en diminuant les fringales. Les partisans de ce point de vue estiment qu’Ozempic est une solution à l’obésité, même si les personnes doivent recevoir leur injection hebdomadaire à long terme.Mais certains craignent aussi que ces services ne favorisent une culture du poids biaisée, où l’objectif principal est la minceur, perpétuant ainsi la culture du régime et la stigmatisation des personnes en surpoids. Cet objectif est mis en évidence par le marketing qui vante l’accès rapide et facile à Ozempic et qui, souvent, dénonce explicitement l’obésité. En outre, l’absence de conseils sur les modifications du mode de vie montre que l’accent est mis sur la réduction du poids plutôt que sur la promotion du bien-être général.Ainsi, les patients souffrant d’obésité sont pris entre deux problèmes éthiques découlant des préjugés sur le poids — la raison pour laquelle les services en ligne existent et les services en ligne eux-mêmes. Nous avons des médecins qui ne souhaitent pas prescrire Ozempic ni induire de honte chez leurs patients obèses et nous avons des sociétés en ligne qui utilisent un marketing basé sur la honte de la graisse et exploitent la stigmatisation du poids qui est omniprésente dans notre société. En outre, les patients qui ont accès à Ozempic pour la prise en charge de leur obésité sont montrés du doigt par notre société pour avoir «volé» des médicaments agonistes du GLP-1 à des patients diabétiques.À l’avenir, au lieu de blâmer les patients, nous devrions travailler au démantèlement d’un système profondément ancré dans les préjugés liés au poids pour résoudre ces problèmes éthiques.Nicole Smith est étudiante en médecine à l’Université de Toronto.Cet article a été republié à partir du site Healthy Debate sous licence Creative Commons.

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