«On peut résister à l’invasion d’une armée, mais pas à celle d’une idée dont le temps est venu» -- Victor Hugo

Mes collègues et moi, nous nous entendons à l’effet que l’immunothérapie sublinguale constitue « la voie de l’avenir » en allergologie.La possibilité de juguler certaines allergies respiratoires simplement en plaçant des antigènes sous la langue une fois par jour facilite grandement les choses pour nos patients.Plus sécuritaire que les vaccins traditionnels, cette pratique nous permet également de tenter de guérir plus de gens allergiques.Nous sommes tous heureux qu’Oralair, récemment, et Grazax, bientôt (antigènes de graminées en tablettes) aient été approuvés. Leur arrivée sur le marché ne se fera tout de même pas avant 2013 et ne couvrira en fait qu’une toute petite fraction de nos patients, ceux allergiques uniquement ou de façon prédominante aux graminées.L’arrivée des autres antigènes en tablettes ne s’effectuera que graduellement au cours des 10 à 15 prochaines années.Il existe, entre autres, deux problèmes significatifs en immunothérapie :1. Le peu de données scientifiques pour l’immunothérapie avec des antigènes multiples (patient allergique aux acariens, aux chats et à un pollen par exemple)1.2. L’absence de protocoles de dosage validés pour le sublingual « liquide ».Pour le premier, le Consensus québécois sur l’immunothérapie de l’AAIQ2 accepte implicitement une déduction logique; si chaque antigène a montré son efficacité séparément, il est probable que leur efficacité demeure inchangée lorsque mélangés... Même si ce n’est pas prouvé.Dans le second cas, on connaît la dose d’antigène majeur de graminées (Phl p 5, 15 μg/jour) derrière l’efficacité de la tablette Grazax. La position des Dr Gagnon et Hébert va à l’encontre d’une autre déduction logique : si un antigène sous forme solide a démontré son efficacité, la même dose du même antigène ne devrait-elle pas être efficace sous forme liquide ?Pour l’instant, comment puis-je au mieux aider mes patients ?Trois options :• Je baisse les bras et m’en remets au seul traitement des symptômes. Tout en sachant que je laisse possiblement filer la maladie allergique, avec le risque de nouvelles allergies et d’apparition de l’asthme. Présentement, c’est le cas de près de 99 % des patients au Canada.• Les vaccins allergiques en injection ? Ça fonctionne et c’est sécuritaire, mais la logistique est difficile et les statistiques d’abandon sont décourageantes, même si pour certains patients, cette approche apporte d’excellents résultats. Des sources dans l’industrie me mentionnent qu’environ 75 000 Canadiens suivent des traitements d’immunothérapie par injection (SCIT). Si on considère qu’environ 20 % des 33 millions de Canadiens souffrent d’allergies respiratoires, cela signifie que nous ne traitons qu’environ 1 % des patients !• La voie sublinguale. Contraint à effectuer une bonne partie de ma formation en allergologie à l’étranger, aux États-Unis et en France notamment, j’ai été exposé à l’utilisation au quotidien de l’immunothérapie sublinguale sous forme liquide. Je me suis rendu personnellement aux bureaux d’ALK-Abelló et de Stallergenes en France. Ils utilisent des antigènes naturels purifiés, en solution glycérinée. On ne parle pas d’adjuvant vaccinal ou d’autres composants pharmacologiques ajoutés. Ces mêmes compagnies préparent les mêmes antigènes sous la même forme glycérinée pour utilisation vaccinale en Amérique du Nord.Des antigènes, ce sont des antigènesQu’on les utilise sous forme liquide ou solide, le but est de combler la capacité d’absorption antigénique de la muqueuse sublinguale et, de là, graduellement, induire une tolérance immunitaire pour un ou des allergènes.Bien sûr, le processus d’approbation nous offre à nous, cliniciens, des repères plus précis (dosage, efficacité, risques); je serai enthousiaste de prescrire des comprimés sublinguaux approuvés. Mais en attendant...Page 1/2Pour lire la lettre des Drs Rémi Gagnon et Jacques Hébert à laquelle le Dr Guy Tropper répond: Un article qui entraîne de la confusion par de la désinformationPour consulter l'article du MedActuel DPC: «L’immunothérapie sublinguale débarque chez nous : une nouvelle donne en allergie»Alors pourquoi une telle résistance de l’establishment allergologue ? La politique ou la science ? Comme le dit Michel Bergeron, « Poser la question, ... ».Aux États-Unis, clairement, c’est un modèle d’affaires où les allergologues tirent des revenus substantiels de vaccins individualisés qui est déstabilisé.Pourtant, dès 2009, 6 % d’entre eux offraient le sublingual liquide1. Une autorité de l’AAAAI (American Academy of Allergy Asthma and Immunology) m’apprenait récemment que cette organisation, de longue date réticente au sublingual, est maintenant à mettre sur pied un comité sur l’utilisation de produits « non approuvés ».Et au Québec ?De par notre proximité linguistique avec la France, je me serais attendu à ce qu’on soit ici plus enthousiaste pour le sublingual. Mais alors que les désaccords scientifiques demeurent d’ordinaire conviviaux, ici la réaction me semble plutôt d’une véhémence qu’on associe à la politique...Et c’est ici que je reprendrai le vocable « confusion par de la désinformation » des signataires.Quand les collègues font mention du rejet par Santé Canada, on parle d’une décision qui date d’environ 2004 et qui est basée sur des études plus âgées encore.La même Cochrane Collaboration dont ils font mention a démontré en 2011 de façon convaincante l’efficacité de l’immunothérapie sublinguale, avec un avantage significatif en termes de sécurité3. Nulle distinction entre formulations liquides ou solides.Et je passe sous silence les communications de même nature provenant de la WAO4(World Allergy Organization), de l’OMS5, de la European Academy of Allergy and Clinical Immunology6 et de l’étude ARIA7.InsidieuxCe qui me surprend, c’est la dichotomie hermétique que les signataires créent entre les formulations sublinguales liquides et solides; cela n’est essentiellement pas abordé par la littérature scientifique.Oui, l’argent des compagnies pharmaceutiques suscite une pléthore d’études plus récentes sur les comprimés solides, objet de propriété intellectuelle et valeur commerciale.Mais un fait demeure. On parle d’antigènes, des mêmes antigènes, dans un véhicule différent. Et lorsque la WAO4 parle d’efficacité démontrée pour des dosages variant entre 3 et 500 fois la dose injectable, ça laisse une plage thérapeutique considérable !Lin et Leatherman8 font valoir que l’absence de formulations approuvées ne veut pas dire que l’immunothérapie sublinguale en phase liquide n’est pas efficace chez nous, alors que cela fonctionne dans le reste du monde.Cela signifie surtout que les multinationales de l’allergie ont choisi de ne pas investir les millions nécessaires pour documenter chez nous ce qui l’a été ailleurs.CorrectionJe dois par ailleurs corriger les mêmes signataires qui représentent : « ... il n’y a pas de forme d’immunothérapie sublinguale en phase liquide approuvée et disponible au Canada contrairement aux allégations du Dr Tropper. »Telle assertion de leur part est malheureuse. Nulle part mon article ne fait pareille mention.Désinformation vous dites ?Les signataires : « Des extraits destinés à la désensibilisation sous-cutanée ne peuvent être utilisés par voie sublinguale, faute de données probantes et d’approbation officielle par les autorités réglementaires. » Cela est à ma connaissance inexact.Tel que clairement expliqué dans mon article, traiter sur la base d’extraits approuvés en application « non prévue » n’est aucunement illégal, contrairement à ce que les signataires suggèrent.D’ailleurs, et de façon plus générale, 11 % de tous les médicaments prescrits au Québec le sont sur cette base9 ! Il ne s’agit donc pas d’une pratique exceptionnelle.Il sera par ailleurs intéressant pour le lecteur de savoir qu’un des cosignataires du Consensus québécois pratique également l’immunothérapie sublinguale « liquide ».Dans le contexte de la rectitude représentée par les signataires et par respect pour les membres qu’ils représentent autant que par transparence envers le lecteur, je crois qu’il eut été soigneux pour eux de divulguer clairement leurs intérêts commerciaux reliés au monde de l’allergie.Différence fondamentale de philosophie. Bien plus qu’une alternative aux vaccins, ce que permet l’immunothérapie sublinguale (solide ou liquide), c’est de ne plus réserver l’immunothérapie à une mesure de dernier recours.La réalité clinique des vaccins par injection mitige leur recommandation. Le sublingual nous offre une option plus souple, plus sécuritaire qui permet davantage d’intervenir plus tôt pour le bénéfice ultime de nos patients.Sur cette base, le graphique suivant exprime ce qu’on pourrait anticiper de la pénétration de l’immunothérapie de façon globale au cours des prochaines années.Main tendueJe ne demande pas mieux que d’échanger avec mes collègues dans le but de faire évoluer nos pratiques à une époque où l’allergologie est particulièrement riche de nouveautés.Le récent Sommet sur l’immunothérapie sublinguale de Québec constituait une façon de partager avec des collègues mon intérêt pour cette thérapeutique.La virulence de récentes communications du Dr Gagnon me concernant, qui ont intimidé quelques participants à ce Sommet, ne s’inscrit pas dans le contexte de collégialité et de partage de la science que je croyais pourtant évoqué par le serment d’Hippocrate.Qu’il y ait controverse ou désaccord, je veux bien. L’ostracisme, c’est autre chose. Par delà les désaccords sur des points scientifiques ou réglementaires, le fait demeure : nous sommes tous là pour aider nos patients au mieux de nos connaissances et de nos habiletés.Dr Guy TropperBouchervillePage 2/2Pour lire la lettre des Drs Rémi Gagnon et Jacques Hébert à laquelle le Dr Guy Tropper répond: Un article qui entraîne de la confusion par de la désinformationPour consulter l'article du MedActuel DPC: «L’immunothérapie sublinguale débarque chez nous : une nouvelle donne en allergie» 1. Cox, Linda, and Dana Wallace. Specific allergy immunotherapy for allergic rhinitis: subcutaneous and sublingual. Immunology And Allergy Clinics Of North America 31.3 (2011) : 561-599.2. www.allerg.qc.ca/Professionels/Consensus%20Imm%20Complet%2001_2011.pdf3. Radulovic S, Calderon MA, Wilson D, Durham S. Sublingual immunotherapy for allergic rhinitis. Cochrane Database of Systematic Reviews 2010, Issue 12. Art. No: CD002893. DOI: 10.1002/14651858.CD002893.pub2.4. Canonica GW, Bousquet J, Casale T, Lockey R, Baena-Cagnani C et al. Sublingual Immunotherapy: World Allergy Organization Position Paper 2009. World Allergy Organization Journal. 2009;2(11):223-281.5. Bousquet J, Lockey R,Maling H. World Health Organization Position paper: allergen immunotherapy: therapeutic vaccines for allergic diseases. Allergy 1998;53:1-14.6. Alvarez-Cuesta E, Bousquet J, Canonica GW, et al. Standards for practical allergen-specific immunotherapy. Allergy 2006;61(Suppl 82):1-20.7. Bousquet J, Van Cauwenberge P, Khaltaev N. Allergic rhinitis and its impact on asthma. J Allergy Clin Immunol 2001;108:S147-334.8. Lin SY, Leatherman B. Sublingual immunotherapy. Otolaryngol Clin North Am . 2011 Jun;44(3):753-64, x-xi.9. www.cbc.ca/news/health/story/2012/04/17/off-label-drug-use.html

«On peut résister à l’invasion d’une armée, mais pas à celle d’une idée dont le temps est venu» -- Victor Hugo

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