Nouvelle entente MSSS–FMOQ: Les médecins de famille redirigés en première ligne

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) ont conclu un nouvel accord juste avant Noël pour désengorger les urgences. Leur pari ? Pousser les médecins de famille vers la première ligne. Leur recette ? Forcer les nouveaux médecins de famille et ceux qui changent de région à tirer 55 % de leurs revenus annuels de services rendus dans des sous-territoires bien précis, baptisés RLS, pour Réseau local de services.En d’autres mots, le Ministère veut favoriser l’installation des médecins de famille dans une pratique « régulière ». Plus question donc pour ceux-ci de se choisir une pratique polyvalente composée selon leurs goûts, même si c’est ainsi, dans bien des cas, qu’on leur a « vendu » la médecine familiale. Le Ministère quadrille le Québec en sous-territoires et y envoie les médecins selon « une approche populationnelle qui tient compte de l’écart entre les effectifs médicaux en place et les besoins », explique Noémie Vanheuverzwijn, responsable des relations de presse au MSSS.« La règle des 55 % existait déjà, avant c’était par région. Là, le 55 % va être par sous-région », précise quant à lui le Dr Louis Godin, président de la FMOQ. Rien de bien nouveau dans le concept. Cela fait des années que les médecins sont répartis en fonction des besoins, via les Plans régionaux d’effectifs médicaux, ou PREM. La différence porte sur les cibles géographiques, fortement rétrécies. Au lieu de dépendre d’une région, un PREM est dorénavant lié à un réseau local de services.Ne pas suivre les directives ministérielles coûtera aussi plus cher. Jusqu’à cette année, si un médecin ne se pliait pas aux règles du PREM, on lui retranchait 30 % des honoraires récoltés dans le cadre de la pratique « non conforme », donc sur son travail en cabinet ou à domicile. Selon l’Entente particulière relative au respect des PREM signée le 21 décembre dernier entre le MSSS et la FMOQ, c’est maintenant le revenu total du médecin qui sera touché par la pénalité.En résumé, comme le dit le Dr Godin dans une lettre envoyée à ses membres le 8 janvier 2016, on attend bel et bien un « engagement » des médecins de famille à aller exercer là où on a le plus besoin d’eux. Le Dr Louis Godin, président de la FMOQ, et le ministre de la Santé et des Services Sociaux, Gaétan Barrette, ont signé au printemps dernier une entente pour favoriser l’accès de la population à un médecin de famille. Cette entente incluait la révision des Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), sur laquelle les deux hommes se sont finalement mis d’accord en décembre.Une situation, écrit-il, rendue nécessaire par le fait que des milieux de soins où les besoins sont criants « sont incapables de recruter de nouveaux médecins ». Ce qui fait dire à plusieurs résidents que puisque leurs aînés n’ont pas voulu aller travailler dans certains milieux, eux, vont y être forcés.Une analyse que ne partagent pas lesdits « aînés ». La Dre Ginette Proulx leur rappelle que sa génération a dû, elle aussi, composer avec des PREM et des pénalités. « J’ai débuté ma pratique en 1984 sur la rive sud de Montréal. J’ai subi une pénalité de 30 % par année pendant les trois premières années, car j’étais établie dans une région urbaine. » Une situation à laquelle elle dit, non sans ironie, avoir « survécu »…Pour le Dr Raymond Lemieux, diplômé de médecine familiale en 1976, qui pratique à Huntingdon, « une ville qui n’aura plus de médecins si la situation ne change pas très rapidement », la jeune génération pose mal le problème. « Il s’agit d’une question de justice sociale et non de liberté », écrit-il sur le site de Profession Santé.ca. Selon lui, par le passé, il n’était pas nécessaire de forcer des médecins de famille à aller travailler hors des centres urbains. Ils faisaient passer les besoins de tous avant leur choix personnel et trouvaient cela « normal » étant donné qu’ils étaient « bien rémunérés par la société ».Les résidents se sentent flouésDe son côté, la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) assure que le Ministère est en train de briser le lien de confiance avec les jeunes médecins. Alors que des résidents avaient déjà conclu des ententes avec des établissements l’automne dernier, les nouvelles règles font que certains ne pourront possiblement pas y travailler « parce qu’ils seront limités en grande partie au territoire du Réseau local de services (RLS) qu’on leur aura attribué ».Difficile cependant de savoir combien de médecins sont concernés. La FMRQ a demandé à ses membres de la contacter en cas de problèmes, mais beaucoup de jeunes médecins attendent encore leur avis de conformité. Ceux-ci sont en effet envoyés « au compte-gouttes », dit la FMRQ. « Certains vont obtenir le poste pour lequel ils ont postulé, cela va avoir un impact pour d’autres, mais on n’a pas encore de chiffres comparatifs », précise la Dre Annie Trépanier, présidente de la FMRQ.Si certains résidents parlent déjà de clause orpheline, la Dre Trépannier s’interroge cependant. « Ce n’est pas si simple, mais il semble que la cohorte de jeunes médecins soit ciblée dans cette réorganisation », explique-t-elle. Le Dr Godin, lui, qualifie cette interprétation de « fausse et farfelue », puisque les nouvelles règles ayant trait aux PREM s’appliquent à tous les médecins omnipraticiens.Pour Mylaine Breton, professeure adjointe au département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, que les jeunes médecins soient visés ou non, les nouvelles règles n’ont clairement pas été prises dans le but de cibler « une séparation équitable de la problématique ». Au lieu de proposer des règlements concernant tous les médecins, on vise des pratiques en particulier et on impose des pénalités financières. « On est dans le coercitif, alors qu’il faudrait favoriser la prise en charge en la facilitant », ajoute-t-elle.Une cohorte sacrifiée ?En juin prochain, 505 résidents en médecine de famille termineront leur formation. Parmi ceux-ci, 67 sont inscrits en troisième année de résidence et ont donc choisi d’allonger leurs études de six mois ou un an pour recevoir une formation complémentaire en urgence, obstétrique, soins palliatifs, etc. La plupart l’ont fait dans le but de travailler en établissement. Or, ils ont appris le 23 décembre 2015 que les embauches étaient gelées dans tous les établissements.Interrogé à ce sujet par Profession Santé, le Ministère répond que des postes en établissement « demeureront disponibles », avant d’ajouter néanmoins que ces « formations ne consacrent pas nécessairement des pratiques exclusives en établissement ».Au-delà de la question de ces médecins de famille plus spécialisés, le ministre Barrette veut réduire de 20 % la présence des médecins de famille en établissement dans les prochaines années. Il a en effet envoyé en novembre dernier une directive aux PDG des Centres intégrés de santé et de services sociaux, leur demandant de ne plus renouveler automatiquement les postes occupés par les médecins de famille dans les établissements de santé. Une directive qui « ne vise pas à sortir les médecins de famille des hôpitaux, comme cela a été dit dans les médias », assure le Dr Godin.Le Ministère confirme en effet que si les Plans d’effectifs médicaux (PEM) des établissements ont bien été revus à la baisse, « chaque situation sera évaluée et les besoins prioritaires continueront d’être comblés, de sorte que les établissements pourront dans ces circonstances recruter des médecins de famille ». Il y a donc encore des postes disponibles en établissement, mais « ils seront dorénavant associés à des besoins prioritaires ».De son côté, le président de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), le Dr Bernard Mathieu, s’interroge sur l’impact de ces mesures sur les urgences québécoises. Selon lui, l’urgence et la courte durée étant des secteurs prioritaires, on peut présumer que le remplacement de médecins omnipraticiens devrait donc être autorisé dans ces secteurs, pour autant que l’on démontre qu’un départ aura un impact significatif sur l’accessibilité. Il voit cependant un « piège potentiel » puisque le ministre a écrit dans sa directive qu’il s’attendait à ce que des solutions alternatives à même les ressources médicales à l’interne aient d’abord été mises en place. Cela pourrait en effet conduire une administration à demander à un médecin des soins palliatifs de faire du remplacement à l’urgence plutôt que d’engager un nouveau facturant MU3 [médecin de famille ayant fait une année complémentaire en médecine d’urgence] explique-t-il. Ce qui, selon lui, serait « absurde et hautement contre-productif pour les urgences… »Mylaine Breton s’interroge plutôt sur la place prise par les médecins de famille dans certains centres hospitaliers. Selon elle, la pratique « très hospitalo-centrique aiguë » des médecins de famille peut avoir des effets pervers. Bien sûr, ils font un travail incroyable de coordination et souvent apportent une vision plus globale des soins là où les spécialistes se concentrent plutôt sur le système dans lequel ils se sont spécialisés. Ce sont aussi souvent eux qui se retrouvent avec tous les quarts de garde. Mais ce n’est pas « nécessairement bien », précise la chercheuse.Quand la plupart des patients sont hospitalisés par des médecins de famille ou que des services de soins intensifs sont à la charge quasi exclusive des médecins de famille, cela déresponsabilise les spécialistes. « Quand tu n’hospitalises pas, tu es consultant et tu viens donner ton expertise dans le dossier, donc on peut comprendre que tu n’as pas forcément intérêt à ce que les médecins de famille sortent de l’hôpital », précise-t-elle.On peut aussi se demander où est l’intérêt du patient. La chercheuse n’a pas de réponse, mais la question de savoir qui doit coordonner les soins dans les établissements de santé devrait, selon elle, être posée.Il y a aussi toute la question du dépannage qui sera restreint selon la nouvelle entente. Plutôt une bonne décision, selon Mylaine Breton, pour qui « ce saupoudrage » n’a plus vraiment de raison d’être, maintenant que « le phénomène de rareté de médecins est moins présent ». Plusieurs jeunes médecins commençaient pourtant leur carrière en allant aider à droite et à gauche, là où le besoin se faisait sentir. Mais ce genre de pratique ne correspond pas à ce que le MSSS veut favoriser, à savoir « l’installation des médecins de famille dans une pratique régulière pour répondre aux importants besoins d’accessibilité ».Le Ministère a donc décidé de limiter le nombre de médecins qui exercent exclusivement en dépannage. Il pourrait donc devenir difficile d’obtenir une dérogation dans ce domaine. Par ailleurs, ceux qui font du dépannage à temps partiel devront intégrer ces journées dans le calcul de la répartition de leur pratique. Ainsi, un médecin qui a obtenu un avis pour un RLS devant y consacrer 55 % de sa facturation ne pourra consacrer plus des 45 % restants au dépannage.À LIRE AUSSI: Accès aux soins: La solution repose sur la responsabilité d’équipe

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