Nouveaux modèles d'affaires: quand des pharmaciens réinventent leur pratique

Au cours des dernières années, le rôle et les responsabilités du pharmacien ont beaucoup évolué au plan clinique, mais il n’y a pas que la profession qui se transforme. La pharmacie communautaire voit elle aussi émerger des formes de services complètement différentes à travers le Québec. Et ce n’est que le début. La volonté de certains d’exploiter des niches particulières, les défis économiques et les besoins changeants des patients seront autant de moteurs de ce renouveau.«S’il n’y a pas de nouveaux modèles qui apparaissent, la profession ne progresse pas», a commenté le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Jean Thiffault, lors d’une table ronde consacrée à cet enjeu lors du 1er congrès de l’Association des pharmaciens professionnels salariés du Québec (APPSQ), tenu à Shawinigan fin avril. Les six participants à la table ronde: Sonia Boutin, Naji Tom Samaha, Christine Larivière, Bertrand Bolduc, Jean Thiffault, et Christophe Augé.Jean Thiffault s’attend à ce qu’un jour, on voie apparaître un 2e et un 3e niveaux de spécialités en pharmacie, comme c'est le cas en médecine. S’il entrevoit cette évolution d’un bon œil dans l’intérêt de la profession, il n’en fait toutefois pas une priorité immédiate. «Tout en favorisant les pratiques émergentes, notre priorité actuelle comme association est de favoriser l’optimisation du rôle du pharmacien», a-t-il précisé.Christophe Augé, président de l’APPSQ, accueille lui aussi de manière favorable le développement de pharmacies d'un nouveau genre, mais sous réserve qu’elles apportent une plus-value aux patients.Des nouveaux modèles de pratiquePlusieurs nouveaux modèles ont été présentés lors de ce panel, témoignant de l'étendue des possibilités en matière d'offres de services pharmaceutiques:Les Pharmacies Sonia Boutin: Auparavant chez Groupe Jean Coutu, la pharmacienne Sonia Boutin a décidé d’abandonner la pratique généraliste pour une pratique «alternative» dans un créneau très précis: la gériatrie. Elle a décidé de s’y investir après avoir constaté que ses clients les plus vulnérables étaient ceux qu’elle voyait le moins et qu’ils connaissaient davantage le livreur qu'elle. Or, les aînés sont les plus grands consommateurs de médicaments. En s’appuyant sur des exemples américains et ontariens, elle a mis sur pied un réseau de pharmacies établies à l’intérieur de résidences pour personnes âgées, ce qui lui permet d’offrir des services de proximité.Question pour un pharmacien: Neuf personnes sur 10 se renseignent sur les médicaments sur internet. Or, l'information qu'ils trouvent est parfois douteuse. Un pharmacien de Granby, Alexandre Gagnon, a décidé de remédier à cette situation en fondant un service de téléconsultation sur le web, Question pour un pharmacien. Le principe: des gens soumettent leur question sur le site et, dans un délai de 24 heures, ils reçoivent la réponse d'un pharmacien pratiquant à proximité de leur lieu de résidence. Les pharmaciens qui collaborent à ce site ne sont cependant pas rémunérés et certains craignent qu’ils ne volent le client à qui ils répondent à une autre pharmacie. Une chose dont s’est bien défendu le représentant de ce service, Naji Tom Samaha, à la table ronde.Larivière et Massicotte Pharmaciennes inc.:Larivière et Massicotte Pharmaciennes inc. s’investit totalement dans un secteur de pointe, à savoir les médicaments complexes, rares et dispendieux que des pharmacies conventionnelles ne conservent pas ou qui exigent une expertise très précise. Fondée il y a 10 ans, l’entreprise compte aujourd’hui 13 pharmaciens et neuf assistants techniques. Larivière et Massicotte travaille en tandem avec les pharmacies communautaires et les équipes hospitalières pour fournir à des patients de toute la province des médicaments complexes et les acheminent en moins de 24 heures à la résidence du client ou à la clinique où la médication sera administrée. Elles encadrent la prise en charge du médicament et assument l’entière responsabilité du traitement tout en assurant la coordination du remboursement par le tiers payeur.D’autres modèles en vueAvec l’évolution des traitements et des médicaments, tels que les traitements génétiques, d'autres modèles de pharmacies en marge de la formule classique verront le jour. La pharmacie postale (qui avait été invitée à ce panel, mais a décliné) et le pharmacien sans pilule en sont d’autres exemples. Des deux, la pharmacie postale suscite le plus de questionnements.«C’est un modèle d’affaires perturbant, qui me chicote et fait peur, a commenté Jean Thiffault. Peut-on faire des suivis à distance? On le fait avec nos patients à la maison, mais avec un patient que je n’ai jamais vu? Il reste des questions à ce niveau.Deux options s’offrent cependant aux pharmaciens face à la technologie : laisser passer le train ou essayer d’embarquer tout en respectant les obligations déontologiques». Il a cité l’exemple d’Uber qui a pris de court l’industrie du taxi.Le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Bertrant Bolduc, s’est chargé de le rassurer: «Des pratiques spécialisées sont appelées à se développer, mais la règlementation est la même pour tous, que le service soit rendu par la poste, le livreur, par internet, en résidence, n’importe quoi, et on va continuer à protéger le public.» La prochaine mouture du Code de déontologie qu’il a par ailleurs évoquée tiendra compte de l’évolution de la pratique et de la transformation des modèles d’affaires actuels.

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