Nausées et vomissements de grossesse: quelle prise en charge?

Parfois minimisés car extrêmement fréquents, les nausées et vomissements sont un incontournable de la grossesse: ils touchent entre 50 et 90% des femmes, de manière plus ou moins sévère, et peuvent durer plusieurs semaines. «Les symptômes commencent généralement à quatre semaines, et atteignent un plateau autour de huit à douze semaines, puis diminuent. Jusqu'à 10% des femmes peuvent avoir des symptômes tout au long de la grossesse», précise Marie-Sophie Brochet, pharmacienne au centre IMAGe (Info Médicament Allaitement et Grossesse) du CHU Sainte-Justine.Loin d’être anecdotiques, les nausées et vomissements de grossesse peuvent avoir de sérieuses conséquences physiques et psychologiques pour les femmes enceintes, en plus de perturber leur quotidien personnel et professionnel: déshydratation, perte de poids, carences nutritionnelles, oesophagite… «Plus de 30% des patientes nous parlent de la manière dont ces symptômes altèrent leur vie quotidienne. Cela peut créer des symptômes dépressifs ou anxieux, de l’insomnie. Certaines patientes, de manière extrêmement rare, parlent même de mettre un terme à la grossesse», souligne la pharmacienne. L’hyperémèse, première cause d’hospitalisation au premier trimestreDes conséquences amplifiées par la gravité des symptômes, et si le diagnostic d’hyperémèse (hyperemesis gravidarum) est posé. «C’est extrêmement rare, puisque l’hyperémèse touche 0,3 à 3% des femmes, mais cela reste la première cause d’hospitalisation pendant le premier trimestre», poursuit la pharmacienne, qui prend en charge les femmes concernées par cette affection. L’hyperémèse se caractérise par une série de facteurs observables: «des nausées et de vomissements incoercibles, difficiles à maîtriser et persistants, une perte pondérale d’environ 5% par rapport au poids pré-grossesse, une hypokaliémie… Des conditions non attribuables à d'autres causes», précise Marie-Sophie Brochet. Les conséquences peuvent alors être bien plus dramatiques: anomalies dans les bilans hépatiques et rénaux, déséquilibres électrolytiques, hématémèses ou encore risques de prématurité dans les cas d'hyperémèse sévère, durable et non-soulagée. Mais bonne nouvelle: les directives pour la prise en charge de ces nausées et vomissements sont nombreuses et détaillées, se réjouit la pharmacienne. «Nous nous référons beaucoup à celles de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), du Collège américain des obstétriciens et gynécologues ou encore à celles du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, d’ailleurs mises à jour en 2022, et qui vont toutes dans le même sens.» À lire aussi: Quiz - Que savez-vous à propos de l'hyperemesis gravidarum?Parmi les outils d’aide à la décision et en complément de ces directives, l’Association des bannières et chaînes de pharmacies du Québec (ABCPQ) a publié en 2019 un algorithme à destination des pharmaciens avec trois questions à poser aux patientes afin de pouvoir établir la gravité de leurs symptômes et de choisir une thérapie adaptée. Les nausées et vomissements ont-ils lieu pendant le premier trimestre ou a-t-elle déjà été traitée pour ces symptômes? Les symptômes sont-ils apparus après la neuvième semaine de grossesse? La patiente présente-t-elle un signal d’alarme (déshydratation sévère, fièvre sévère, céphalée sévère, symptômes d’hyperémèse)? «Il est primordial pour le pharmacien de pouvoir évaluer la gravité des symptômes, appuie Marie-Sophie Brochet. Même s’il ne pose pas de diagnostic, il est en première ligne.» Ces directives recommandent donc des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques, même si la littérature n’est pas claire sur l’efficacité de ces dernières, reconnaît Marie-Sophie Brochet. Parmi les mesures non pharmacologiques citées, une bonne hydratation, du repos, éviter les changements de position rapides pour prévenir l'hypotension orthostatique, manger de plus petits repas plus fréquemment même si la faim ne se fait pas ressentir. Bientôt une alternative au Diclectin?Les recommandations pharmacologiques, elles, concernent l’utilisation de multivitamines prénatales, qui peuvent causer des irritations car elles contiennent du fer. «Il s’agira de suspendre ce traitement et de le remplacer par de l’acide folique en évaluant les besoins et les facteurs de risques de la patiente», indique la pharmacienne. «La prescription d’antihistaminiques comme le dimenhydrinate fait aussi partie du protocole, ou de doxylamine avec vitamine B6, dont la posologie sera modifiée selon la gravité des symptômes et le passif de la patiente.» D'autres antiémétiques, comme le métoclopramide, peuvent être ajoutés selon la gravité des symptômes.Le DiclectinMD (pyridoxine-doxylamine), seul médicament d'ordonnance actuellement homologué au Canada pour le traitement des nausées et vomissements de grossesse, est particulièrement efficace pour la prévention des nausées, car il fait effet entre 4 et 6 heures après sa prise. «Il faut ajuster la posologie, mais on recommande habituellement un comprimé le matin, un l’après-midi et deux au coucher pour couvrir les nausées matinales. Le point noir est ses effets sédatifs, puisqu’il s’agit d’un antihistaminique. Certaines patientes m’ont fait part d’étourdissements par exemple», précise Marie-Sophie Brochet. Les effets de somnolence peuvent être contrés par la prise de vitamine B6 la journée.Pourrait-on un jour trouver un traitement alternatif en cas d’hyperémèse? Une récente étude permet de l’espérer. Publiés dans la revue Nature, les travaux de la généticienne américaine Marlena Fejzo démontrent que les nausées et vomissements de grossesse seraient causés par une seule et même hormone produite par le fœtus, la GDF15 (facteur-15 de différenciation de la croissance). Confirmant des travaux antérieurs, cette étude précise que la quantité de GDF15 présente dans le sang avant et pendant la grossesse détermine la gravité des symptômes. Le rapport confirme ainsi «que des taux plus élevés de GDF15 dans le sang maternel sont associés aux vomissements pendant la grossesse et à l'hyperémèse gravidique.» À lire aussi: Grossesse: l’insuline asparte ultrarapide est-elle aussi sûre que l’insuline asparte «classique»?Une découverte bienvenue pour Marie-Sophie Brochet, qui reste toutefois très prudente quant aux conclusions à en tirer. «Nous sommes ici dans la recherche fondamentale. Il faudrait d’autres études pour soutenir ces conclusions, cela prend du temps. Mais il est toujours intéressant d’ouvrir de nouvelles prises de traitement, de cibler de nouveaux récepteurs impliqués dans ces symptômes.»«Les pharmaciens communautaires sont en première ligne mais le réseau est très bien structuré, ils peuvent par exemple contacter le Centre IMAGe s’ils ont un souci de prise en charge des nausées et vomissements par exemple. Le principal étant de rester à l’écoute de la patiente, de lui apporter un soutien psychologique et de ne pas minimiser son vécu.» En attendant de nouveaux traitements, la pharmacienne conseille à ses confrères et consœurs de ne pas hésiter à se référer au médecin traitant de la patiente, et à aller chercher un soutien psuchologique si nécessaire.

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