Moments de repos

Travailler, c'est trop dur et voler c'est pas beau1… L’ancien foyer, un vieux Winterwarm encastré, ne fonctionnait plus. Sous l’effet de la chaleur, la fonte s’était tordue et le catalyseur était devenu inopérant. Je l’ai remplacé par un poêle à bois à combustion lente moderne. Une merveille de technologie. Une structure en fonte recouverte de panneaux de pierres qui permettent d’éviter les écarts de température et de conserver la chaleur pendant de longues heures. Des catalyseurs qui limitent la pollution atmosphérique et permettent de respecter les normes environnementales. Des ventilateurs thermolabiles silencieux qui diffusent une douce chaleur ambiante. Tant qu’à changer le poêle pourquoi ne pas changer aussi le décor? J'ai commencé par refaire le mur en remplaçant le placoplâtre par des planchettes de teck et d'acajou africains que j’ai coupées, planées et assemblées, une à la fois. Toute un job! Cela m'a inévitablement rappelé mon grand ami, Robert – aujourd’hui décédé –, puisque ces planches et madriers, nous étions allés les chercher ensemble chez un copain dans les Cantons-de-l’Est qui lui-même les avait fait venir d’Afrique. Quelle belle expédition! je m’en souviens encore. Le résultat est impressionnant: le brun presque rouge de l’acajou tranche avec le teck tout en nervures, chacune de ces lignes correspondant à une année de vie. J’ai travaillé très fort. Nous travaillons tous très fort… Mais, on ne peut pas que travailler. On ne peut pas travailler 24 heures sur 24, 365 jours par année. C’est impossible. On n’est pas des machines! Ça n’a pas de bon sens. Ça use. Ça fatigue. Ça brûle. Un visa pour l’épuisement professionnel. Un aller simple vers l’écœurantite. Le concept du vieux docteur du village qui soignait toute la collectivité, de la naissance au trépas, que l’on pouvait appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, peu importe les circonstances, et qui savait et pouvait tout, est dépassé. Nous le savons. Tous ceux qui font de l’hospitalisation, des soins intensifs, de l’obstétrique, des soins palliatifs, des soins de longue durée, des soins à domicile ou du dépannage; tous ceux qui sont de garde savent ce que c’est que de porter une «pagette». Foutue pagette qui sonne et qui résonne – même en position vibration – à tout bout de champ. Surtout dans les moments les plus inopportuns: au cinéma, en faisant du ski pendant sa journée de congé («Oups! Désolé, vous étiez sur la liste d’appel…»!), le soir alors que vous commencez à vous endormir («Docteur, le patient dans la 324 est réveillé, pourriez-vous lui prescrire un somnifère» !!), ou dans les moments d’intimité (!!!) Foutue machine qui a le don de vous déranger n’importe où, n’importe quand, et qui n’a d’égal que sa version moderne: le cellulaire. Assez, c’est assez. Le dernier rapport annuel du Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ) indique que 2260 personnes ont bénéficié d’une aide pendant l’année 2021-2022. Parmi celles-ci: 42% de médecins de famille, 38% de spécialistes, 15% de résidents et 5% d'étudiants. En tout, les personnes ayant bénéficié de services d’intervention au cours de cet exercice représentent 5% de l’ensemble des médecins et résidents du Québec... À noter que 2102 demandes concernaient du soutien-conseil individuel (la moitié ayant été reçues dans l'année, l'autre moitié étant des demandes d'années antérieures en cours de suivi). Quant au dernier Sondage national de l’Association médicale canadienne (AMC) sur la santé des médecins de 2021, il indiquait que plus de 50% d’entre eux se sentaient épuisés: «L’épuisement professionnel a été mesuré au moyen de l’échelle à deux énoncés du questionnaire de Maslach sur l’épuisement professionnel (MBI). Plus de la moitié des personnes répondantes (53%) rapportent des symptômes d’épuisement professionnel, c’est-à-dire qu’ils indiquent un niveau élevé d’au moins un des indicateurs d’épuisement professionnel suivants: la dépersonnalisation (28%) ou l’épuisement émotionnel (50%)», peut-on lire dans le rapport. Ce qui fait que, quand moi je me sens fatigué, brûlé, au bout du rouleau, quand je suis à deux doigts de la crise de nerfs, je m’en vais m’allonger sur le divan face à mon poêle au bois à combustion lente. Je goûte la chaleur. Je ferme les yeux. J’écoute le silence. Je me transforme en gros matou qui ronronne. Purs moments d’extase. Purs moments de délice. Moments de repos bénis. C’est ce que je vous souhaite pour l’année prochaine et pour les suivantes. Un endroit, un refuge, un Godmanchester pour vous reposer et vous reconstruire. Psitt…N’oubliez pas d’éteindre vos pagettes, cellulaires et autres bidules …(sic) 1. Zachary Richard, Album Mardi Gras, 1977 (vidéo Youtube)

Bâbord amures

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Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

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