Moins de tâches administratives, plus de consultations

48,82 millions d’heures. C’est le temps que les 93 998 médecins canadiens consacrent chaque année à des tâches administratives, a calculé la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) en se basant sur les résultats d’une enquête menée en Nouvelle-Écosse. Celle-ci a notamment permis de déterminer que 38% de ces activités cléricales sont superflues, dans le sens où 24% d’entre elles pourraient être accomplies par d’autres personnes tandis que 14% pourraient être purement et simplement supprimées. «Ce sont autant d’heures que les médecins ne passent pas en consultations à s’occuper de leurs patients», a souligné la vice-présidente exécutive de la FCEI, Corinne Pohlmann, lors d’une conférence intitulée «Des solutions pour alléger le fardeau administratif», organisée la semaine dernière dans le cadre du sommet 2023 sur la santé de l’Association médicale canadienne. «Si l’on réduisait de 10% la paperasse superflue des médecins canadiens, ils pourraient accorder 5 565 772 rendez-vous médicaux en plus», a-t-elle affirmé. Ce qui reviendrait à ajouter quelque 7000 cliniciens dans les systèmes de santé au pays. L’élimination de 10% des tâches administratives inutiles permettrait aux médecins québécois de donner 1,3 million de consultations en plus chaque année, ce qui correspondrait à l’ajout de 1684 cliniciens au réseau de la santé. Selon la vice-présidente de la FCEI, l’allégement du fardeau des médecins nécessite des «efforts concertés entre les gouvernements et les associations médicales pour éliminer la paperasserie inutile». Elle cite en exemple la Colombie-Britannique, qui a dernièrement modifié les règles de référence vers les spécialistes, ou la Nouvelle-Écosse qui, suite à l’enquête sus-citée, a pris le taureau par les cornes. Le Bureau de l’efficacité de la réglementation et des services de la province a recensé avec les médecins les formulaires et les processus pouvant être raccourcis. Le formulaire de l’évaluation médicale requise dans le cadre du Programme de soutien de l’emploi et d’aide au revenu (appelé le «formulaire bleu») a ainsi été actualisé et simplifié. Certaines redondances ont aussi été éliminées. D’après des tests menés le Bureau, le nouveau formulaire prend de 10 à 30% moins de temps à remplir que le précédent et il permettrait de sauver l’équivalent d’environ 6000 heures par an, soit près de 18 000 consultations. Lire aussi: Les médecins passent des millions d’heures dans la paperasse chaque année DMÉ unique À Terre-Neuve-et-Labrador (TNL), la province a plutôt opté pour l’adoption d’un dossier médical électronique (DMÉ) unique dans le cadre du programme eDOCSNL, lancé en 2015. «Avant, tout se faisait sur papier. Désormais, on a tous le même DMÉ et des conseillers sont à notre disposition pour faire de la formation, nous apporter du soutien technique ou adapter l’outil à nos réalités», a détaillé la Dre Nicole Stockley, directrice de la mobilisation externe du Collège des médecins de famille de la province, qui a participé à la conférence du congrès de l’AMC par visioconférence. Très impliquée dans plusieurs comités qui visent à améliorer l’efficacité et le flux de travail en milieu clinique, la médecin a indiqué que l’équipe de eDOCSNL a mis en place un processus d’amélioration continue du DMÉ qui a été choisi en concertation avec les cliniciens terre-neuviens (Med Access, de Telus Santé, pour ne pas le nommer). «Ils ont développé des formulaires types et des modèles de requêtes préremplis pour la maladie pulmonaire obstructive chronique et le diabète. Ils vont bientôt faire de même pour d’autres maladies chroniques», ajoute-t-elle. À titre personnel, la Dre Stockley avait de la difficulté à intégrer un outil qui facilite le suivi de ses patients diabétiques et le partage de leurs informations à d’autres professionnels de la santé. «Un conseiller d’eDOCSNL est venu assister à une de mes consultations. Il a analysé mes besoins et mes enjeux. Ensuite, ils ont personnalisé le DMÉ pour qu’il s’arrime à mon outil pour le diabète», a-t-elle relaté. En Ontario, le contexte est différent et le modèle terre-neuvien y serait difficilement exportable, estime la Dre Chandi Chandrasena, interpellée par un participant de la conférence. La médecin-hygiéniste en chef de la province a indiqué que ses pairs utilisent 13 DMÉ différents. «Il faudrait que tous les médecins communautaires soient d’accord pour adopter un DMÉ unique. Or chacun a déjà investi du temps et de l’argent dans son propre DMÉ», observe-t-elle. Lire aussi: La dictée vocale pour gagner en efficacité Alléger le fardeau numérique Membre active du groupe de travail sur l’épuisement professionnel mis sur pied par l’Association médicale de l’Ontario, la Dre Chandrasena milite pour réduire le fardeau numérique de ses collègues, qui a été identifié comme l’une des causes de burn-out: «La technologie est une arme à double tranchant. C’est une piste de solution, mais elle peut aussi accroître la charge des médecins.» Pour elle, le fardeau, «c’est tout ce qui arrive dans la boîte courriel [des médecins]. Les résultats d’imagerie, de biologie, les rapports des spécialistes, les formulaires à remplir, etc.» Le Collège ontarien des médecins de famille a suggéré qu’ils soient envoyés directement dans les DMÉ des omnipraticiens, mais en l’absence de protocole commun, «tout y était envoyé. Ça a créé un goulot d’étranglement», rapporte la Dre Chandrasena. Un groupe de travail a alors été créé, «et on a mis tout le monde autour de la table — les médecins, les représentants des hôpitaux, le ministère de la Santé, les assureurs — pour déterminer quels rapports sont nécessaires». Des lignes directrices seront ainsi publiées le mois prochain, indique la médecin-hygiéniste en précisant qu’un comité mixte, composé de représentants de médecins et du ministère ontarien de la Santé, a également été mis sur pied pour simplifier les formulaires médicaux et éliminer ceux qui sont inutiles. «Idéalement, tout devrait être intégré aux DMÉ», souligne la Dre Chandrasena. Lire aussi: Des scribes pour soulager les médecins et accroître leur disponibilité? De son côté, la vice-présidente FCEI a signalé que la Fédération avait sollicité ses membres afin de trouver des alternatives aux billets médicaux exigés par les employeurs pour le retour au travail de leurs salariés absents pour maladie. Ces derniers pourraient signer une déclaration sur l’honneur d’aptitude au travail ou obtenir un certificat d’un autre professionnel de la santé. «On doit malgré tout s’assurer que les employés sont imputables», a souligné Mme Pohlmann. Dans la salle, un médecin ottavien a néanmoins rappelé que les cliniciens «ne travaillent pas pour les entreprises, mais pour la santé de leurs patients. On n’est pas là pour renvoyer les gens au travail.»

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