Médecins étrangers: Comment leur faire une place ?

Plus spécifiquement, on parle de 137 médecins formés à l’étranger sur 179. « Ces médecins ont beaucoup de difficulté à être acceptés », observe Daniel Ducharme, chercheur à la Commission des droits de l’homme et des droits de la jeunesse du Québec. Le problème n’est pas nouveau. En 2010, le chercheur avait coécrit un rapport d’enquête relevant que ces professionnels n’avaient pas les mêmes chances de décrocher une place en résidence que leurs confrères et consœurs formés au Québec, même s’ils réussissaient l’examen de l’équivalence du Collège des médecins du Québec (CMQ). Parmi les obstacles rencontrés par les médecins diplômés hors Canada et États-Unis (DHCEU), l’enquête avait révélé que le critère de « l’éloignement de la pratique » était déterminant dans leur sélection, et ce, dans les quatre facultés de médecine québécoises. Selon ce critère, le médecin doit avoir exercé au cours des quatre dernières années, sans quoi les chances de décrocher un stage en résidence sont très minces, explique Daniel Ducharme. « Le processus d’immigration et d’équivalence des diplômes prend du temps. Durant cette période, les médecins en provenance de l’étranger ne peuvent pas exercer. Les quatre années passent très rapidement. Ce critère d’éloignement de la pratique est très nocif pour ces candidats », affirme le chercheur. « Nous n’avons jamais compris pourquoi des postes étaient vacants, alors que des médecins diplômés à l’étranger qui ont leur équivalence de diplôme sont prêts à les pourvoir. » Brice Betu, président de l’Association des médecins étrangers du Québec Biais discriminatoires De plus, dans le processus de sélection pour la résidence, les médecins diplômés à l’étranger peuvent être victimes de biais discriminatoires souvent inconscients, poursuit Daniel Ducharme. « Lors des mises en situation clinique, les évaluateurs pouvaient, par exemple, trouver un médecin diplômé à l’étranger trop directif lors de son interaction avec un patient. Parfois, cela laissait place à des préjugés et à des impressions. » Pour le président de l’Association des médecins étrangers du Québec, Brice Betu, ces biais discriminatoires ont pour effet d’entraîner le rejet de plusieurs candidatures de médecins DHCEU. « Généralement, c’est le comportement qui ne conviendrait pas et qui est évoqué comme raison du refus. Mais nous n’en savons pas plus. D’autres se font dire que leur temps de réaction est trop lent. Les raisons ne sont pas toujours très claires », dénonce-t-il. De son côté, le coordonnateur du Centre d’évaluation des diplômés internationaux en santé (CÉDIS), Guy Trottier, estime que l’importante augmentation des admissions en médecine ces 10 dernières années au Québec a bloqué le chemin aux médecins diplômés à l’international. « Lorsque tous les besoins sont comblés avec des finissants du Québec, il est certain qu’il y a moins de place pour les médecins issus de l’immigration. La concurrence est très forte avec les diplômés du Québec. » Selon lui, moins d’une personne diplômée à l’étranger sur deux qui fait une demande de stage de résidence n’y aura jamais accès. Pourtant, au Québec plus qu’ailleurs au Canada, plusieurs postes de résident restent vacants chaque année. En 2021, sur 34 stages de résidence en médecine familiale et en médecine d’urgence vacants au Canada, 18 sont au Québec, selon le Service canadien de jumelage des résidents (CARMS). « Nous n’avons jamais compris pourquoi des postes étaient vacants, alors que des médecins diplômés à l’étranger qui ont leur équivalence de diplôme sont prêts à les pourvoir », s’indigne Brice Betu. Les besoins liés à la pandémie ont permis à des médecins DHCEU d’occuper des postes notamment dans les résidences de personnes âgées et les CHSLD pour prévenir et limiter les éclosions. Malgré tout, la difficulté pour ces médecins d’être admis en résidence demeure, déplore-t-il. Guy Trottier avance une autre explication. « Certains GMF ne veulent pas pourvoir leurs postes avec ces diplômés parce qu’ils exigent beaucoup plus d’encadrement et prennent plus de temps pour faire leur résidence. Si leur résidence est de deux ans, ils mettront trois ans ou plus. De plus, le taux d’échec est plus élevé. » Selon lui, le CÉDIS, organisme financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, mis en place en 2010 à la suite du rapport de la Commission des droits de l’homme et des droits de la jeunesse du Québec, représente une bonne ressource pour aider les médecins formés à l’étranger. Tous les médecins qui n’ont pas été acceptés en résidence sont dirigés vers ce centre qui évalue leurs compétences en profondeur avec des cas cliniques. Selon le résultat, les participants sont ensuite dirigés vers un stage de mise à niveau au Centre de santé et de services sociaux du Sud-Ouest-Verdun ou au Centre hospitalier de St-Mary’s. « Chaque année, 10 à 15 médecins sont admis en résidence grâce à ce programme. Ce n’est pas négligeable », souligne Guy Trottier. Par contre, pour ceux qui ne réussissent pas l’examen initial du CÉDIS, l’organisme leur suggérera de réorienter leur carrière. « Le processus d’immigration et d’équivalence des diplômes prend du temps. Durant cette période, les médecins en provenance de l’étranger ne peuvent pas exercer. Ce critère d’éloignement de la pratique est très nocif pour ces candidats. » Daniel Ducharme, chercheur à la Commission des droits de l’homme et des droits de la jeunesse du Québec Une voie rapide Les médecins diplômés à l’étranger n’ont pas tous à passer par la résidence toutefois. Certains peuvent recevoir un permis restrictif du Collège des médecins s’ils ont, notamment, exercé pendant au moins un an dans les deux dernières années et réussi un stage de trois mois dans un milieu clinique. En 2019, 77 % des médecins qui avaient fait une demande de permis restrictif l’avaient obtenu. Durant cette année-là, le CMQ avait ainsi délivré 59 permis restrictifs et 60 permis réguliers aux médecins diplômés à l’étranger. Il s’agissait d’une hausse de 20 médecins par rapport à l’année précédente. « Les médecins qui ne reçoivent pas ce permis n’ont pas réussi à démontrer qu’ils avaient les compétences cliniques pour entrer en pratique au Québec et offrir des soins de qualité », indique la directrice générale adjointe et secrétaire du CMQ, la Dre Isabelle Tardif. Un médecin sur dix Ces 120 permis restrictifs octroyés chaque année au Québec aux diplômés à l’international, soit environ 13 % de tous les permis remis annuellement, sont toutefois peu nombreux comparativement à ce qui se fait dans les autres professions. Par exemple, en 2019-2020, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a délivré 810 permis à ces diplômés, dont 326 à ceux de la France, sur un total de 4183 permis octroyés. Cela représente 20 % des permis. Avec seulement 10 % des médecins inscrits au Tableau de l’ordre du Collège des médecins qui ont obtenu leur diplôme à l’étranger, le Québec fait bande à part au Canada, la moyenne au pays étant de 25 %, selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé. Par exemple, en Saskatchewan, plus de la moitié des médecins ont obtenu leur diplôme à l’étranger. En Ontario, ce pourcentage est d’environ 30 %. Ce pourcentage plus faible s’explique par le fait que cette province offre seulement 200 places de résidence aux médecins internationaux chaque année, souligne Guy Trottier. Malgré les efforts de l’Ontario pour corriger la situation, on compte 13 000 médecins et 6000 infirmières formés à l’étranger qui ne travaillent pas dans leur domaine dans cette province, selon l’organisme Professions Santé Ontario, une agence de promotion et de recrutement des professionnels de la santé. Au Québec, ces données ne sont pas colligées par le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais le chercheur Daniel Ducharme présume que le portrait doit être similaire.

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