Médecin d'un certain âge

Lorsque je passe les étudiants en entrevue pour des postes de résidence en médecine familiale, je leur demande souvent de me raconter l'histoire d'un patient qui a été significatif pour eux, ou qui leur a enseigné quelque chose d'important. Ce que je trouve incroyable, c’est qu’il est souvent question de la mort et de leurs premières rencontres avec des personnes en fin de vie. Dans notre culture, nous avons très peu de contacts avec la mort. La maladie est si proprement aseptisée à l'hôpital que très peu d'étudiants en médecine ont été confrontés à la mort d'un proche avant de devoir y faire face dans un contexte professionnel. Ma propre initiation avec la mort a eu lieu alors que j’étais étudiante en médecine dans le service de chirurgie oncologique de l'ancien hôpital Royal Victoria de Montréal. Seule à l'hôpital, le résident étant de garde une fois sur deux, j'ai beaucoup appris sur la façon d’appréhender la mort et la fin de vie, même si on ne me l'a pas vraiment enseigné. En tant que médecin de famille, j'ai constaté que nombre de mes expériences les plus intenses ont consisté à soigner des patients en danger de mort ou sur le point de mourir. J'ai toujours essayé d'être présente et d'utiliser mes compétences au mieux et de faire preuve de compassion afin d’apporter aux gens l'aide dont ils ont besoin. Mais aujourd'hui, j'ai l'impression que la mort me harcèle! Depuis la crise cardiaque de mon mari l'année dernière, on dirait que de nombreux amis, collègues et parents ont été confrontés soit à une maladie mortelle, soit à un deuil, soit à un changement radical de l'état de santé d'un être cher. Rendue à mon âge, je suppose qu'il faut m'y attendre, mais, franchement, je préférais l'époque où nous allions tous aux mariages des uns et des autres. Ces trois dernières semaines, les pertes sont allées crescendo. Une collègue a perdu son frère, le père d'une autre collègue est tombé gravement malade le jour où elle couvrait la salle d'accouchement et nous avons tous fait des pieds et des mains pour la remplacer afin qu'elle puisse se rendre à son chevet. La semaine dernière, le cousin bien-aimé de mon mari est décédé à Minneapolis. Lorsque Dave a appris la nouvelle, il a hésité moins de dix minutes avant de prendre des dispositions pour se rendre à l'enterrement. Le lendemain, il a appelé un taxi pour se rendre à l’aéroport, mais l'application et les options téléphoniques ne fonctionnaient pas. Soudain, tout son stress, sa colère et sa tristesse ont explosé. Il criait et tapait sur la table. Je l'ai serré contre moi. Je lui ai dit: «C'est bon, je suis là.» Le reste de la semaine, j'ai lutté, j'ai eu une sinusite épouvantable et j'ai dû fonctionner sans le soutien de mon mari qui est à mes petits soins depuis qu'il a pris sa retraite au début de la pandémie. Ensuite, la mère de deux de mes amies est décédée. Cette femme occupait une place très importante dans ma vie. Notre groupe d'amis passait de nombreuses heures dans son salon ou sa cuisine à discuter de psychologie, d'art, de vérité et de la façon de diriger le monde. La mère de mes amies était toujours présente et s'intéressait sincèrement à nous en tant que personnes. Elle a été l'un de mes premiers modèles de communication. Lors des funérailles et de la Chivah, beaucoup de mes amis du secondaire, du CEGEP et de l'université se sont réunis pour évoquer leurs souvenirs. «Parmi les mères de mes amis, c'est la seule que j'ai connue», a déclaré l'un de mes anciens amis. «Et c'est certainement la seule qui me connaissait vraiment.» Parfois, les gens arrivent dans votre vie quand vous en avez besoin. Lors du cinq à sept, j'ai rencontré un jeune médecin spécialisé dans les soins palliatifs, qui travaille à McGill depuis peu. Nous avons eu une discussion agréable sur la façon de gérer la mort et les nouveau-nés (il a un bébé de six semaines). Il a aimé mes imitations de bébés et j'ai aimé ses idées sur la manière de guider les gens doucement dans cette bonne nuit. D'une certaine manière, je me suis sentie mieux. Le lendemain, après une retraite de renforcement d'équipe de la clinique, certains membres de notre groupe sont allés boire un verre et grignoter. Je me suis retrouvée assise à côté de deux de mes collègues qui travaillent également comme médecins en soins palliatifs. Une fois de plus, j'ai déversé ma tristesse, et débriefé sur ce qui s'était passé, sur ce qui aurait pu se passer, sur ce que je pouvais faire désormais pour aider les familles. Comment y parvenir sans m'effondrer? En rentrant chez moi, j'ai lu l’un de mes Sonnets sacrés préférés de John Donne: Hymne à Dieu mon Dieu, en ma maladie. Les Sonnets sacrés sont des méditations de Donne sur la mort, la croyance en Dieu et la vie après la mort. J'ai toujours aimé ce poème parce qu'il décrit comment ses médecins, «par leur amour, deviennent cosmographes, et [lui] leur carte.» Ce magnifique poème utilise une métaphore comparant le processus difficile de la mort à l'exploration du monde en quête de contrées inconnues. Aujourd'hui, j'essaie d'aider mes amis à se frayer un chemin à travers les détroits. J'espère que lorsque ce sera mon tour d'entreprendre ce voyage vers l'ouest, j'aurai suffisamment de foi pour entrer courageusement et sereinement en terre inconnue.

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