Médecin de famille le jour, coroner le soir

Le Dr Dandavino n’est pas le coroner avec le plus d’expérience au Québec, mais presque : son collègue a été nommé seulement quelques jours avant lui en 1987. Noyades, accidents de voiture ou de vélo, incendies, suicides, fusillades, le coroner à temps partiel a été appelé à réaliser des milliers d’investigations depuis le début de sa carrière. Ces dernières années, il a même été chargé de faire la lumière sur l’attentat de Saint-Jean-sur-Richelieu qui a coûté la vie à un militaire, en octobre 2014. «J’ai travaillé sur plus de 3000 cas, il n’y a pas grand-chose que je n’ai pas vu», souligne le médecin, qui préside aussi l’Association des coroners du Québec. Dans la province, environ de 7 à 8 % des décès sont signalés aux coroners. Le mandat du Dr Dandavino et de ses collègues est de répondre à cinq questions: Qui est décédé ? Où cette personne est-elle décédée? Quand cette personne est-elle décédée? Quelles sont les causes probables du décès? Quelles sont les circonstances du décès? Pour répondre à ces questions, le coroner réalise des investigations qui mèneront à la publication d’un rapport public. S’il y a lieu, le coroner fait également des recommandations afin d'éviter d'autres décès semblables. En 2019, un coroner était payé près de 450 $ pour l'investigation d’un décès causé par une maladie. Le montant grimpait à environ 750 $ pour l'investigation d’un décès dû à un traumatisme ou un empoisonnement. Selon le Dr Dandavino, il faut de 8 à 12 heures de travail, selon la nature du décès, pour rendre son rapport. «On ne fait vraiment pas ça pour l’argent, car le salaire est faible par rapport au nombre d’heures que nous faisons. Pour un médecin, c’est plus payant de faire une journée au bureau que de travailler comme coroner!» lance-t-il. Ainsi, pour faire être coroner, il faut être passionné et avoir le désir de faire changer les choses afin de prévenir des décès. Discussion avec l’un des coroners les plus expérimentés du Québec. Pourquoi avez-vous décidé de devenir coroner? Ce travail me permet d’avoir une vision différente de la médecine. J’aime trouver les causes et les circonstances d’un décès en ayant tous les pouvoirs de la loi qui me permet d’avoir accès à des informations que le médecin n’a pas nécessairement. De plus, j’ai toujours eu une bonne curiosité scientifique. Quelles qualités faut-il avoir pour être un bon coroner? Le coroner doit être capable d’être impartial et d'avoir de bonnes connaissances scientifiques tout en ayant une capacité à aller au fond des choses. Il doit avoir de l’empathie pour la famille de la personne décédée, sans toutefois se laisser guider par les émotions. De plus, le coroner doit avoir un bon jugement clinique. Par exemple, le coroner ne peut pas automatiquement conclure à un décès par intoxication médicamenteuse seulement en se fiant aux analyses et aux prélèvements sanguin. Un taux élevé dans le sang peut être simplement dû au fait que la personne prend des médicaments depuis plusieurs années. Pourquoi un médecin fait-il un bon coroner? Le médecin a une formation scientifique et sait exactement comment le système de santé fonctionne, contrairement à des coroners qui ne sont pas médecins. En plus d’être capable de juger des actes professionnels des médecins, le médecin coroner est capable de lire un dossier médical, de le comprendre et l’évaluer. Quels sont les cas qui vous intéressent le plus dans votre profession? J’aime traiter des cas d’accident de la route avec alcool et drogue. Ce qui m’irrite actuellement, c’est que les restaurants et les bars ne sont pas obligés d’offrir un ivressomètre à leur clientèle. S’ils l’offraient, le passager du véhicule pourrait prendre la décision d’embarquer ou pas dans le véhicule, puisqu’il saurait quel est le taux d’alcool dans le sang du conducteur. De plus, le conducteur pourrait connaître son taux d’alcool. C’est comme si la police installait des radars sur toutes les autoroutes et qu’elle vous enlevait votre compteur de vitesse dans votre automobile. Si les conducteurs donnaient leur taux d’alcool à leurs passagers peut-être qu’il y aurait moins de décès. Est-ce qu’il y a des décès qui vous ont plus particulièrement marqué au cours de votre carrière? Les cas impliquant le décès d’enfant sont toujours très marquants. Lorsque je vois le regard de la mère qui vient de perdre son enfant, ça vient tout le temps me toucher. Je me souviens d’une investigation que j’ai réalisée il y a plusieurs années sur les circonstances d’un incendie qui a coûté la vie à cinq enfants… Est-ce que votre travail a déjà entraîné des changements? Deux exemples me viennent en tête. Dans le premier cas, une personne âgée qui roulait à vélo a accroché le rebord d’un trottoir et est tombée dans le canal de Chambly puisqu’il n’y avait pas de barrière de protection à cet endroit. Suite à mes recommandations, une barrière a été installée. Dans un deuxième dossier, une recommandation était de ne plus avoir de cordes sur les stores puisque, lorsqu’ils sont proches d’une bassinette, les enfants peuvent s’accrocher dans les cordes et se pendre. Depuis cette recommandation, il n’y a plus de cordes sur les stores. Des enfants ont sans doute évité la mort grâce à ce changement. Cela nous motive à avancer et à continuer notre travail. Quel est le plus important changement dans votre profession depuis les 30 dernières années? En 1987, le rapport du coroner, c’était quatre lignes pour les causes et quatre lignes pour les circonstances. Et nous l’écrivions à la main ! Aujourd’hui, le rapport est plus long et tout est informatisé. Le support informatique de plus en plus lourd fait que le processus est excessivement pénible. De plus, dans les années 80, 75 % des coroners étaient des médecins et 25 % étaient des juristes. Aujourd’hui, c’est presque le contraire: les deux tiers des coroners sont des avocats et des notaires. Les médecins ont abandonné ce travail parce que la tâche est trop exigeante pour la faible rémunération. Actuellement, parmi les coroners, il y a 31 médecins, dont la grande majorité sont médecins de famille, 44 avocats et 15 notaires. Depuis l’an dernier, Québec autorise les ingénieurs à être coroners. Est-ce une bonne idée selon vous? Un ingénieur coroner est pertinent dans le cas d’un accident de la route. Toutefois, dans le cas d’une personne qui meurt aux soins intensifs, il est plus difficile de juger d’une erreur médicale, par exemple, lorsque le coroner n’a pas de connaissances médicales. Que souhaitez-vous pour l’avenir de votre profession? Je crois qu’il va falloir réviser la Loi sur les coroners pour mieux protéger l’identité des mineurs et pour respecter la vie privée des personnes décédées. Au Québec, le rapport du coroner est public, mais j’estime que le public n’a pas à tout savoir. Par exemple, est-ce que c’est pertinent que le public sache qu’une personne décédée à domicile d’un infarctus a pris des amphétamines et de la cocaïne avant de mourir, si cette consommation n’est pas liée au décès? Est-ce pertinent de rentrer dans la vie des gens? C’est une question qui doit se poser, mais qui ne se pose malheureusement pas actuellement.

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