MedActuel DPC - L'accident vasculaire cérébral : quand la prévention (primaire) fait la différence ! 1re partie

*MD, FCMF, CSPQ, Gériatre, Chef du service de gériatrie, Hôpital Laval, Québec Chef du département de gériatrie, CSSS de la Vieille-Capitale, Québec Professeur titulaire, Faculté de médecine, Université Laval, Québec Objectifs pédagogiques Connaître l’épidémiologie des AVC au Canada. Connaître les principaux mécanismes physiopathologiques des AVC. Connaître les données probantes sur l’impact des mesures de prévention primaire sur certains facteurs de risque. Mots-clés Accident vasculaire cérébral, prévention primaire. L’accident vasculaire cérébral(AVC)fait partie des maladies qui bouleversent la vie des personnes qui en sont victimes. En effet, en une fraction de seconde, tout peut basculer. Une enquête menée auprès d’individus à risque élevé d’AVC a montré que la moitié des répondants jugeaient que subir un AVC majeur était pire que la mort. Cas clinique Juliette, 60 ans, vous consulte pour son suivi habituel. Elle a un diabète de type 2 et son hypertension artérielle est assez bien maîtrisée(135/80). Sédentaire, elle souffre d’embonpoint et fume 8 à 10 cigarettes par jour. Sa belle-sœur vient de subir un accident vasculaire cérébral et elle vous demande si elle est à risque. Peut-on prévenir l’AVC ? L’ÉTAT DE LA SITUATION On estime l’incidence annuelle de l’AVC au Canada entre 40 000 et 50 000 cas. Parmi eux, 16 000 en mourront, soit environ 35 %. L’AVC devient ainsi la troisième cause de décès au pays. Entre 1966 et 1996, les décès par AVC ont décru de 60 %, mais depuis 10 ans, le taux de mortalité par AVC reste stable. Plus de 300 000 Canadiens vivent avec des séquelles d’un AVC. Le quart de ces survivants seront dirigés vers un centre de réadaptation pour plusieurs mois avec une récupération variable et 40 % des survivants devront vivre en établissements de façon permanente. Les coûts directs annuels sont estimés à 2,7 milliards $, soit 27 500 $ par AVC. Les AVC seraient responsables de trois millions d’hospitalisations chaque année au Canada. Après l’âge de 55 ans, le risque de subir un AVC double à chaque décennie et après un premier AVC, le risque d’en subir un deuxième est de 20 % dans les deux ans qui suivent. Comme 70 % des AVC sont des premiers épisodes, on comprendra l’importance de la prévention primaire de cette maladie 1,6,7. Le présent article vise à faire le point sur les interventions pouvant prévenir l’AVC. On s’intéressera plus particulièrement aux recommandations de prévention primaire soutenues par des données probantes. La prévention des AVC, c’est aussi la prévention de la démence, qu’elle soit vasculaire, de type Alzheimer ou mixte. De récentes données probantes nous permettent d’affirmer que les démences sont moins fréquentes à l’âge avancé quand on maîtrise l’hypertension artérielle, les dyslipidémies, le diabète et que l’on anticoagule les patients âgés avec une fibrillation auriculaire. Ces vertus de prévention restent toutefois à démontrer chez les patients qui présentent déjà un déclin cognitif. Le tableau I résume les différents mécanismes physiopathologiques impliqués dans le déclenchement d’un AVC. L’athérosclérose étant mise à contribution dans plusieurs de ces mécanismes, on pourrait être tenté d’extrapoler à l’AVC les données probantes sur la prévention des maladies vasculaires cardiaques et rénales; ce qui est bon pour le cœur et les reins n’est-il pas bon pour le cerveau ? Avant de revoir les données probantes pour les facteurs de risque modifiables de l’AVC, considérons les facteurs de risque non modifiables de l’AVC(tableau II). LE PROFIL DE RISQUE DE L’AVC L’évaluation du profil de risque d’AVC d’un patient présente plusieurs avantages. Cela permet au patient une prise de conscience qu’il est à risque et, pour le médecin, d’apprécier le cumul de plusieurs facteurs de risque et l’identification des facteurs de risque à traiter en tenant compte des populations étudiées lors des études à l’origine des données probantes. De plus, ce profil peut déboucher sur une investigation complémentaire. Par exemple, le Framingham Stroke Profile 2 est un outil utile au dépistage des patients à risque d’un premier AVC. Les paramètres considérés comme des variables indépendantes sont les suivants : l’âge, la tension artérielle systolique et diastolique, le diabète, le tabagisme, les antécédents d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance coronarienne, l’insuffisance cardiaque congestive, l’insuffisance artérielle des membres inférieurs, la fibrillation auriculaire chronique ou paroxystique, l’hypertrophie ventriculaire gauche selon les critères d’électrocardiogramme. LES FACTEURS DE RISQUE MODIFIABLES ET LES IMPACTS DU TRAITEMENT D’emblée, soulignons que la manifestation d’une atteinte athéromateuse autre que cérébrale est un puissant facteur de risque d’un premier AVC, c’est-à-dire une maladie coronarienne, une insuffisance cardiaque et une maladie vasculaire périphérique. Au tableau III, sont présentés les facteurs de risque modifiables avec leurs risques relatifs et attribuables. Ces facteurs de risque modifiables seront traités par ordre décroissant de fréquence et de la robustesse des données probantes qui soutiennent les interventions recommandées. L’hypertension artérielle(HTA) On sait depuis longtemps que le risque d’AVC est associé à une augmentation de la tension artérielle(TA)systolique, et ce, de façon linéaire après 50 ans. Plus récemment, on a constaté qu’il en est de même pour la TA diastolique. Toutefois, nous disposons davantage de données d’efficacité en faveur de la maîtrise de la TA systolique que de la TA diastolique. Ce niveau de preuve est acceptable, car l’AVC survient plutôt chez les patients âgés qui présentent le plus souvent une HTA systolique isolée. Les données probantes dont nous disposons montrent que la réduction de la TA diminue le risque d’AVC, et ce, à la limite, quelle que soit la classe de médicaments choisie. Toutefois, certaines classes d’hypotenseurs, à des réductions de TA comparables, protègent mieux de l’AVC. Il est intéressant de noter que dans les études cliniques sur le traitement de l’HTA, il y a davantage d’AVC que d’infarctus du myocarde, confirmant ainsi le risque beaucoup plus élevé d’AVC chez les hypertendus. Les sociétés québécoise et canadienne d’hypertension artérielle ont suggéré les cibles de la maîtrise tensionnelle pour réduire l’incidence de l’AVC à moins de 140 mm Hg pour la TA systolique et à moins de 90 mm Hg pour la TA diastolique. La cible reste la même si un patient a déjà fait un premier AVC. Une réduction de la TA systolique de 10 mm Hg est associée avec une réduction du risque d’AVC d’environ 30 %, soit 35 % pour les patients âgés entre 60 et 69 ans, et de 30 % chez les patients de plus de 70 ans. Revoyons les grandes classes pharmacologiques du traitement de l’HTA dans la perspective de la prévention de l’AVC. Les bêtabloquants(BB) L’ensemble des données probantes laisse croire que cette classe d’hypotenseurs est moins efficace pour diminuer le risque d’AVC, que ce soit dans des études comparatives ou contre placebo. Il ne s’agit donc pas d’un choix avisé en monothérapie, mais les bêtabloquants peuvent se révéler utiles en thérapie d’association. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II(IECA)et les diurétiques Les IECA donnent des résultats inconstants quand il s’agit d’évaluer leur capacité à protéger du premier AVC. Une méta-analyse publiée en 2005 montre une réduction du risque absolu d’environ 10 % en faveur des IECA. Toutefois, l’étude CAPPP(CAPtopril Prevention Project)a montré une augmentation de 25 % des AVC dans le groupe captopril(Capoten)comparativement à un traitement conventionnel. Dans l’étude ALLHAT(Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to Prevent Heart Attack Trial), l’amlodipine(Norvasc)et la chlorthalidone(Tenoretic)ont mieux fait que le lisinopril(Zestril). Cependant, dans cette dernière étude, les baisses de TA étaient moins importantes avec le lisinopril. L’étude HOPE(Heart Outcomes Prevention Evaluation)montrait une diminution importante du risque d’AVC, mais il s’agissait d’une population à risque cardiovasculaire très élevé; on doit donc nuancer l’application de ces conclusions à la population générale. Comme l’ont montré les études NORDIL et ALLHAT, les diurétiques sont efficaces, mais moins que les bloquants des canaux calciques(BCC)(voir plus loin). On se rappellera que l’étude SHEP 5 avait montré une diminution de 36 % des AVC avec les diurétiques thiazidiques(en association ou non avec un bêtabloquant)par rapport au groupe placebo. Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II(ARA) L’étude LIFE 3 a montré que le losartan(Cozaar)réduisait de 25 % les AVC fatals et non fatals par rapport à l’aténolol(Tenormin)chez des patients hypertendus avec hypertrophie ventriculaire gauche(HVG). Les baisses de TA étaient les mêmes dans les deux groupes. Une analyse subséquente a permis de mettre en évidence une diminution de nouveaux cas de fibrillation auriculaire dans le groupe losartan, vraisemblablement en raison d’une régression accrue de l’HVG avec cette molécule. On a aussi remarqué moins de diabète de novo dans le groupe losartan, le diabète étant un puissant facteur de risque d’AVC. D’autres hypothèses peuvent expliquer ce résultat : l’amélioration de la fonction endothéliale ou la diminution de l’agrégation plaquettaire avec régression de l’athérosclérose. Le losartan a donc un impact positif important dans la prévention d’un premier AVC. Un groupe de recherche québécois a estimé que si les critères d’inclusion de l’étude LIFE 3 avaient été appliqués à la population canadienne avec un traitement par le losartan plutôt qu’un traitement par un bêtabloquant pendant une durée de 5 ans, 7239 AVC auraient été évités au Canada pendant cette période. Le losartan semble être le seul ARA à avoir la propriété de diminuer les taux d’acide urique. Toutefois, l’impact de cette constatation en prévention vasculaire reste à démontrer. L’étude SCOPE 9 a montré la supériorité du candésartan(Atacand)à prévenir les AVC par rapport aux diurétiques. Cette étude évaluait aussi l’impact du traitement sur les fonctions cognitives. Or, aucun impact n’a été objectivé. L’étude MOSES, qui comparait l’efficacité de l’éprosartan(Teveten)et celle d’un BCC à prévenir la récurrence d’AVC et d’ICT(ischémie cérébrale transitoire), a démontré que le groupe éprosartan présentait 25 % moins d’événements vasculaires cérébraux(AVC + ICT). Cependant, des biais de co-interventions et de critères diagnostiques à l’égard des ICT fragilisent les conclusions. Les bloquants des canaux calciques(BCC) Les BCC ont donné des résultats reproductibles dans les études NORDIL, VALUE et ASCOT. Il s’agit de la classe d’hypotenseurs ayant fourni les résultats les plus constants en matière de prévention des AVC. L’étude VALUE qui comparait le valsartan(Diovan)et l’amlodipine(Norvasc)a montré un léger avantage de l’amlodipine sans toutefois atteindre le seuil de signification statistique. Une sous-analyse de cette étude montre que la supériorité de l’amlodipine sur le valsartan s’épuise au fur et à mesure que l’étude avance. L’étude ASCOT-BPLA 11 confirme une diminution de 23 % des AVC mortels et non mortels avec l’association périndopril(Coversyl)avec ou sans amlodipine comparativement à l’aténolol(Tenormin)avec ou sans diurétique. Une méta-analyse publiée en 2004 montre de justesse la supériorité des BCC pour prévenir les AVC par rapport à d’autres traitements. Les ARA sont toutefois en nombre insuffisant pour juger de la supériorité des BCC sur les ARA. L’étude Syst-Eur 4, comparant un BCC et un placebo, a montré une diminution de 42 % des AVC en faveur du BCC. Les recommandations Bien que les données probantes suggèrent que certaines classes d’hypotenseurs(prises isolément ou en association avec d’autres classes)préviennent davantage l’AVC, les cliniciens constatent qu’il faut souvent associer plusieurs classes d’hypotenseurs pour atteindre les objectifs recommandés, particulièrement chez l’hypertendu diabétique. Un diabétique hypertendu voit souvent sa liste d’hypotenseurs s’allonger tant que la tachycardie réflexe n’est pas maîtrisée. Le tabagisme Des études majeures ont montré que le tabagisme double le risque de faire un AVC et qu’il est présent dans 12 % à 14 % des décès par AVC. Ce facteur de risque semble particulièrement plus important chez les jeunes. La fumée secondaire serait aussi un facteur de risque, mais celui-ci n’apparaîtrait qu’au-delà d’un certain seuil d’exposition. Les recommandations Inciter et soutenir le patient à cesser de fumer est une intervention gagnante. La cessation du tabac amène une réduction rapide du risque d’AVC(en quelques années)sans toutefois ramener le risque au niveau des personnes qui n’ont jamais fumé. Le diabète sucré(DS) Malgré le fait que le diabète sucré soit un facteur de risque bien connu d’athérosclérose, il demeure un facteur de risque indépendant de l’AVC(risque relatif = 1,8 à 6,0). À noter que les femmes diabétiques font davantage d’AVC que les hommes diabétiques. Seule une approche d’intervention multifactorielle permet de réduire le risque d’AVC chez les diabétiques. On a observé une diminution de 47 % des AVC chez des patients diabétiques de type 2 avec une microalbuminurie ayant une maîtrise stricte des glycémies, une maîtrise de la TA et des dyslipidémies. Ils recevaient une statine, un IECA, un ARA et un antiplaquettaire. Dans cette étude, le suivi était d’environ huit ans. Dans l’étude UKPDS8, la maîtrise stricte de la TA a réduit de 44 % le risque d’AVC. Cette réduction avait été de 20 % dans le sous-groupe des patients diabétiques dans l’étude SHEP5. Comme l’étude HOPE visait une population à risque élevé, le sous-groupe des patients diabétiques avait vu son risque d’AVC diminuer de 33 % quand un IECA était ajouté pour maîtriser la TA. Dans l’étude LIFE 3, le sous-groupe des patients diabétiques a présenté une diminution de 21 % des AVC sans toutefois atteindre le seuil de signification statistique. Enfin, dans l’étude HPS 10, les diabétiques ayant reçu une statine ont vu leur risque d’AVC réduit de 24 %, et ce, sans égard au taux de lipides au début de l’étude. Les recommandations L’approche d’intervention multifactorielle est donc essentielle pour réduire le risque d’AVC chez le patient diabé-tique(maîtrise stricte de la TA < 130/80 et de la glycémie, une statine, de l’acide acétylsalicylique(AAS), la cessation du tabac, faire de l’exercice pour perdre du poids). La fibrillation auriculaire(FA) Après ajustement pour les autres facteurs de risque vasculaires, la FA augmente le risque d’AVC de trois à quatre fois. L’incidence de l’AVC est de 2 % à 4 % par an tous âges confondus et de plus de 6 % annuellement chez les plus de 75 ans présentant une FA. Plus du quart des AVC après l’âge de 80 ans sont imputables à une FA. Les AVC secondaires à une FA sont particulièrement massifs et débilitants. La FA paroxystique accroît le risque d’AVC autant que la FA chronique. Seuls les anticoagulants réduisent le risque d’AVC, la maîtrise du rythme ventriculaire n’étant utile qu’à améliorer la fonction cardiaque. Les manœuvres visant à rétablir le rythme sinusal ne sont indiquées que chez les patients avec une FA de novo et chez les patients de moins de 60 ans, car le taux de récidive en FA est très élevé chez les patients de plus de 60 ans et qui sont en FA chronique. Les recommandations La warfarine(Coumadin)et l’AAS réduisent respectivement le risque d’AVC chez les patients en FA de 68 % et de 21 %. Compte tenu de l’incidence annuelle d’AVC, il est recommandé d’utiliser la warfarine chez les patients en FA de plus de 75 ans et chez ceux de 60 à 75 ans ayant, en plus d’une FA, un des facteurs de risque suivants : HTA, DS, insuffisance cardiaque, maladie coronarienne, antécédents d’ICT ou d’AVC. Les autres patients pourraient être sous AAS. L’AAS est une solution de rechange pour les patients en FA présentant une contre-indication à la warfarine. On notera que les chutes ne sont pas une contre-indication à la warfarine, car le risque d’AVC chez un patient âgé en FA sans anticoagulant dépasse largement le risque d’hématome sous-dural ou d’hémorragies majeures pour ces patients anticoagulés. L’inobservance thérapeutique, l’inaccessibilité au monitoring sanguin et l’éthylisme paroxystique constituent les vraies contre-indications à la prise de warfarine. Notons que la maîtrise de la TA chez un patient âgé anticoagulé réduit le risque d’hémorragie intracrânienne, qu’il soit traité par l’AAS ou par la warfarine. Nous vous incitons à revenir la semaine prochaine pour la seconde partie qui traitera toujours de la prévention primaire de l’AVC, alors que nous aborderons les recommandations pour les dyslipidémies, la sténose carotidienne asymptomatique, l’usage des contraceptifs oraux, l’hormonothérapie, la nutrition, l’alcool, l’apnée du sommeil, la migraine, la sédentarité, l’obésité et l’hyperhomocystéinémie. Références bibliographiques

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