À l’Hôpital Général Juif, des bénévoles au chevet des patients âgés

C’est depuis leur petit bureau, niché au 6e étage de l’Hôpital Général Juif (HGJ) de Montréal, qu’Isabelle Lamontagne et son adjoint coordonnent un programme révolutionnaire pour prévenir la perte d’autonomie et le délirium chez les personnes âgées hospitalisées, et leur placement en Centres de soins de longue durée (CHSLD). Baptisé HELP – pour Hospital elder life program, ou programme de vie pour les aînés – ce programme n’est pourtant pas nouveau. Né il y a 30 ans aux États-Unis, son efficacité est prouvée par plusieurs études, il est reconnu comme «best practice» par l’Organisation mondiale de la santé et est utilisé par de nombreux établissements de santé à travers le monde, dont beaucoup au Canada. Mais au Québec, le HGJ est le seul à l’avoir intégré, il y a sept ans.Et les bénéfices sont visibles: selon une étude interne, le programme a permis de réduire la durée d’hospitalisation des patients de 7,6 jours, et 76% des bénéficiaires en 2023-2024 ont obtenu leur congé, sont retournés chez eux ou ont été admis dans un hôpital de réadaptation. Tout ça, grâce à l’action des bénévoles au sein de l’hôpital. «Ils se rendent auprès des patients âgés et font des activités physiques et récréatives, de l’assistance alimentaire et de la préparation au sommeil», précise Isabelle Lamontagne. «Ça leur redonne de l'espoir»Sept jours sur sept, avec trois quart de travail de quatre heures par jour, les 55 bénévoles du HELP couvrent au total 12 unités de soins. «Médecine interne, médecine familiale, oncologie, chirurgie orthopédique, soins intensifs, cardiologiques, gériatrie…, égrène la coordinatrice. Je leur demande un engagement ferme de 104 heures par an, avec un minimum de quatre heures par semaine. Ils ont huit heures de formation théorique et 16 heures de pratique. Ce n’est pas un bénévolat facile pour tout le monde.» Et le rythme est soutenu: l’an dernier, les bénévoles du programme ont effectué 5500 visites pour 476 patients.Cet après-midi, Emily Sedighi et Shaina Balyasnyy effectuent leur dernier quart comme bénévoles. Quatre heures, pendant lesquelles elles vont rencontrer cinq patients. Armées de leurs chariots à activités, dans lesquels on trouve aussi bien des crayons de couleur que des mots croisés, des ballons ou des lingettes pour nettoyer les lunettes, les deux jeunes femmes vont discuter avec les personnes âgées hospitalisées. Elle vont les faire bouger – marcher si elles sont mobiles, ou simplement faire des exercices du bas et du haut du corps si elles sont alitées ou en chaise –, et vérifier que tout fonctionne dans leur chambre. «Ils me parlent de leurs expériences de vie, c’est vraiment très enrichissant, mais c’est aussi choquant de voir à quel point le milieu hospitalier peut affecter quelqu’un qui y passe beaucoup de temps, observe Emily, 18 ans, en sciences de la santé au Cégep Brébeuf. Ça fait du bien de savoir qu’on fait une différence dans la communauté.» Sa collègue acquiesce. «Au quotidien, je ne suis pas vraiment entourée de gens âgés. Je pensais que je n’avais rien à leur dire, que nous serions trop différents. Mais on peut connecter sur plein de choses, avec un patient nous avions le même livre préféré!», sourit Shaina, élève de 17 ans au Collège Dawson de Montréal. À lire aussi: L'activité physique et la stimulation intellectuelle ralentissent le déclin cognitifComme elles, la plupart des bénévoles sont des étudiants, parfois déjà en médecine ou en nutrition. Si ces interventions leur apportent une expérience de terrain et les arment pour intervenir auprès des patients à l’avenir, elles sont aussi primordiales pour les personnes âgées, car les urgences et l’hôpital peuvent engendrer du stress et de la confusion, explique Isabelle Lamontagne. «Ça leur change les idées, les aide à guérir plus vite et améliore leur moral, car ça leur redonne de l'espoir. Les patients se sentent davantage comme des êtres humains, ce qui peut être un peu perdu quand on est hospitalisé.» La qualité des soins reçus à l’Hôpital Général Juif n’est pas en cause, prévient la coordinatrice. Les personnes âgées sont tout simplement une population particulièrement fragile. «On ne peut pas traiter une personne âgée comme n’importe quel adulte plus jeune. Lorsque ces personnes sont hospitalisées, elles peuvent rapidement perdre leur autonomie, leur masse musculaire, attraper des maladies nosocomiales. Elles auront moins d’énergie pour combattre la confusion, à cause de l’environnement, de la médication, de la déshydratation, etc.» Une vulnérabilité d’ailleurs prise en considération par le MSSS dès 2011, via son Approche adaptée à la personne âgée, dont les objectifs sont similaires à ceux du HELP.Soulager les soignantsSauf que les conditions de travail des soignants les empêchent bien souvent d’accorder une attention particulière aux patients âgés, ne serait-ce que replacer leur table et leurs affaires à proximité, changer la batterie de leur appareil auditif ou leur apporter de l’eau, observe Isabelle Lamontagne. «Est-ce que les soignants ont le temps de passer 40 minutes avec chaque patient comme on le fait? Non. Sur un shift de 7h30, une infirmière ne peut passer que 20 minutes avec ses patients. Donc nous on prend le relais, parfois plusieurs fois par jour. Nos interventions n’ont rien de clinique, et viennent en complément des soins que les patients reçoivent. Et plus on voit les patients, plus la récupération est rapide.»Et le personnel hospitalier en ressent les effets, selon elle. «Les infirmières ont plus de facilité à soigner les patients, car ils sont de meilleure humeur, plus actifs, plus mobilisés et enclins à bouger, affirme la coordinatrice. On leur libère aussi du temps pour travailler avec d'autres patients plus complexes, elles se sentent plus soutenues. Même les médecins ont constaté qu’ils récupéraient mieux. C’est majeur!» À lire aussi: Étude du CIRANO: plus d'aînés en forte perte d'autonomie se retrouvent dans les RPACôté gestion, libérer des lits plus tôt signifie immanquablement désengorger les urgences et permettre à l’établissement de réaliser des économies. «Une journée d’hospitalisation coûte 3000$. Avec 500 patients qui ont libéré leur lit une semaine plus tôt, ça fait beaucoup. Et puis ça nous ramène du personnel, car beaucoup d’anciens bénévoles reviennent travailler ici», se félicite Isabelle Lamontagne. En déconstruisant les préjugés sur la gériatrie et la prise en charge des aînés, le programme permet aussi d’orienter les futurs professionnels vers les CHSLD, où les recrutements sont ardus. Plusieurs fois primé au Québec, ce programme clé en main s’adapte à tous les établissements, pour un investissement d’environ 120 000$ par année, assurés par la Fondation de l’Hôpital Général Juif dans ce cas. À mesure qu’elles gagnent en visibilité, les équipes du HGJ rencontrent de plus en plus d’hôpitaux québécois intéressés. «Il faut convaincre les instances d’investir, mais quand on regarde les économies sur les durées de séjour à l’hôpital, ce n’est vraiment pas coûteux. C’est gagnant pour tout le monde. Les patients, les familles, les bénévoles, l’hôpital. Le principal frein à son expansion à travers la province reste la langue dans laquelle le programme est proposé: l’anglais. «L’un de nos bénévoles travaille à le traduire, tranquillement», assure Isabelle Lamontagne.

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